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Frais judiciaires : des experts appellent à une réforme de la justice administrative

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Radio Canada

2025-08-04 12:00:56

Que dénoncent les experts en relations de travail réclamant une réforme du Tribunal administratif du travail?

Me Marius Ménard et Jean-Luc Roberge, Daniel Gagnon ainsi que Caroline Dion avec Me Sylvain Lefebvre (source : Radio Canada)


Des experts en relations de travail demandent une réforme de la justice administrative au Québec, face aux coûts imposants et aux délais qui s'accumulent dans de nombreux dossiers devant le Tribunal administratif du travail (TAT).

Radio-Canada révélait jeudi que les coûts atteignent près de 1,1 million de dollars jusqu’à maintenant en procédures judiciaires et en enquêtes administratives dans le dossier du congédiement de deux cadres à Saguenay.

L’ancien directeur général de la Société de transport du Saguenay, Jean-Luc Roberge, et l’ex-greffière de Saguenay, Caroline Dion, contestent tous deux leur congédiement devant le TAT. Ils tentent de démontrer que leur licenciement est plutôt un congédiement politique.

Les deux dossiers s’étirent en raison de différentes procédures judiciaires et d’imprévus qui ont ralenti le déroulement de deux causes. Jean-Luc Roberge a été congédié il y a plus de trois ans, alors que Caroline Dion a été licenciée il y a plus de deux ans.

Moins cher et moins long ailleurs

Ces deux cas ne sont pas uniques, constatent des experts consultés par Radio-Canada. C’est trop long, trop cher, ça c’est clair, et il existe bien des endroits au monde aussi développés que nous ou c’est moins long, moins cher, lance le professeur titulaire en relations industrielles Jean-Claude Bernatchez, de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). Il estime que les tribunaux administratifs devraient être réformés, afin d’éviter de telles situations, qui coûtent des centaines de milliers de dollars en argent public et qui s’étirent sur plusieurs années.

En France, le même genre de cause coûte deux fois moins cher devant les tribunaux, donne-t-il en exemple. Pour accélérer le processus, la présentation de la preuve des deux parties s’appuie sur une preuve documentaire soumise aux juges, qui n’entendent pas de témoins. Les cas médiatisés comme ceux de Jean-Luc Roberge et de Caroline Dion ne sont pas les seuls dans la province dans les dernières années.

À Laval, une ancienne directrice générale adjointe congédiée en 2023 a obtenu gain de cause devant le Tribunal administratif du travail en février dernier. Les élus ont ensuite décidé de lui verser 245 000 $ au printemps. Le dossier est toujours étudié par le Tribunal, qui doit se prononcer sur les indemnités à verser à l’ancienne cadre.

À Saint-Jean-sur-Richelieu, un ancien chef de cabinet s’est aussi tourné vers la même instance pour contester son congédiement. Il a obtenu gain de cause en juillet 2024, alors que son licenciement remontait à 2018. Dans ce cas également, le Tribunal doit se pencher sur l’indemnité qui lui sera versée.

Des procédures qui doivent être allégées

Le professeur en relations de travail à la retraite Daniel Gagnon, anciennement de l’Université du Québec à Chicoutimi, estime aussi que les façons de faire doivent être revues, puisqu’un tribunal spécialisé comme le Tribunal administratif du travail devait permettre à l’origine un traitement plus rapide des dossiers.

Normalement, le tribunal est plus spécialisé et normalement le déroulement du débat se fait de manière beaucoup plus expéditive que dans le cadre d’un tribunal de droit commun, pointe-t-il. Sauf que ce qu’on remarque présentement, c’est qu’il y a énormément de recours qui sont déposés devant le Tribunal administratif du travail.

Dans une cause différente, le dossier de la directrice générale du Centre de services scolaire des Rives-du-Saguenay, Chantal Cyr, congédiée en 2018, avait par exemple demandé 26 jours d’audience devant le Tribunal administratif du travail et 10 jours de médiation.

L’employeur avait alors fait témoigner 23 personnes et déposé 9 déclarations assermentées, en plus de soumettre près de 250 éléments de preuve, peut-on lire dans le jugement rendu. Chantale Cyr a été réintégrée dans ses fonctions après que son congédiement eut été jugé illégal, en 2019. Il a également été reconnu qu’elle avait subi du harcèlement psychologique.

Une question de ressources

La disponibilité des ressources consacrées aux dossiers à travers le Québec peut aussi avoir un impact, soulève de son côté Gilles Dulude, professeur en relations de travail à l’Université du Québec à Montréal. À Saguenay, les dossiers reviennent de façon périodique, en étant souvent espacés de quelques mois entre les nouvelles dates d’audience, selon la disponibilité des juges, des avocats et des intervenants appelés à témoigner.

Il y a une question d’efficacité à regarder de ce côté-là de la part du Tribunal. Au Saguenay, vous n’êtes pas la seule région, j’ai quand même eu des dossiers et j’ai des dossiers dans d’autres régions du Québec, souligne-t-il. Dans les causes de Jean-Luc Roberge et de Caroline Dion, la dimension politique des deux dossiers peut aussi affecter leur déroulement et les stratégies déployées, estime-t-il.

Un manque de préparation des municipalités

La professeure titulaire en relations de travail Diane Gagné, de l’Université du Québec à Trois-Rivières, constate de son côté que le manque de préparation des dossiers par les municipalités a souvent un impact sur la longueur des procédures dans le cas de congédiements de cadres.

Une fois devant le tribunal, les villes doivent présenter une preuve détaillée et de nombreux témoins pour faire valoir leur décision.

« C’est qu’on voit qu’il y a nettement un manque, souvent, de préparation de la part des élus municipaux qui sont vites sur la gâchette sur le congédiement. Ça fait que ça amène toutes sortes de délais de coûts », constate Diane Gagné. Elle estime qu’une réforme des façons de faire au Tribunal administratif du travail devrait être une priorité pour le ministère du Travail, auquel il est rattaché.

« Au lieu de s’attaquer au droit de grève des travailleurs, il (le ministre du Travail, Jean Boulet) devrait s’attaquer à cette lenteur administrative, ça, c’est certain », tranche-t-elle, en faisant référence au projet de loi 89 adopté par Québec qui limite le droit de grève.

« Il y a bien plus de problématiques au niveau de ces dossiers-là, au Tribunal administratif du travail qu’il y avait des problèmes avec le droit de grève », ajoute-t-elle.

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