Le devoir d'assistance des juges sous la loupe de la Cour d’appel


Réprimandée pour avoir outrepassé son devoir d’assistance à l’endroit d’un locataire non représenté par un avocat, la juge du Tribunal administratif du logement (TAL) Amélie Dion s’est vue accorder la permission de faire appel devant le plus haut tribunal du Québec.
La décision a été rendue le 3 octobre par le juge Simon Ruel.
C’est Me Giuseppe Battista, du cabinet Battista Turcot, qui représente la juge administrative Dion.
Mes David Ferland et Cassandra Iorio, de Stein Monast, agissent pour le compte du Conseil de la magistrature.

Droit-inc avait fait état de cette affaire en août dernier. Elle remonte à une audience opposant un locateur, représenté par un avocat, et un locataire, accompagné de sa conjointe et sans représentation légale.
Le locataire avait reçu deux avis : un d'augmentation de loyer et un de reprise de logement (éviction). Il n'avait contesté que le premier, laissant le second sans réponse, ce qui équivalait à une acceptation de l'éviction.
Lors de l’audience, la juge Amélie Dion avait multiplié les interventions auprès du locataire. Elle l'avait informé des conséquences de son inaction face à l'avis d'éviction, lui avait expliqué les procédures pour remédier à cette situation et lui avait suggéré des moyens de défense possibles.
La décision du Conseil
Dans sa décision rendue le 25 novembre dernier, le Comité d’enquête du Conseil de la justice administrative a conclu que les actions de la juge administrative avaient été initiées de son propre chef et non pas à la suggestion ou à la demande d’une partie.
« Le Comité d’enquête constate qu’elle prend en main l’audience afin de privilégier le locataire. Ses actions vont au-delà du devoir de secours et d’assistance puisqu’elle verse dans le conseil », a-t-il estimé.
Selon lui, la juge Dion a ainsi outrepassé son devoir d’assistance et de secours équitable.

« Elle lui indique les recours à sa disposition et les motifs pouvant être invoqués pour contrer l’action prise par le locateur. Ce seul élément tend à démontrer un manque d’impartialité. Ce sentiment est renforcé par le fait qu’elle refuse de répondre à la question du plaignant quant à son droit de percevoir le loyer dans le contexte alléguant qu’elle ne peut lui prodiguer de conseils juridiques », écrivait encore le Comité.
Les positions des parties
Devant la Cour supérieure, la juge Amélie Dion a soutenu que ses interventions relevaient de son devoir d'assistance et de secours, prévu par la loi. Selon elle, il était essentiel d'aider un justiciable non représenté pour assurer un procès juste et équitable.
Elle a plaidé que si elle avait commis une erreur, il s'agissait d'une erreur de droit susceptible d'appel, et non d'une faute déontologique justifiant une sanction disciplinaire. Elle a affirmé que la jurisprudence sur ce devoir est vaste et parfois imprécise, et qu'elle avait agi de bonne foi pour éviter une injustice.
Le Conseil de la justice administrative a contesté ces arguments. Il a maintenu que la juge a franchi une ligne cruciale en prodiguant de véritables conseils juridiques stratégiques au locataire, allant bien au-delà de la simple information procédurale.
Pour le Conseil, une telle conduite crée une apparence de partialité qui ébranle la confiance du public dans l'administration de la justice. Il a également soutenu qu'une même conduite peut constituer à la fois une erreur de droit et une faute déontologique.
La décision de la Cour supérieure
Il a rappelé qu'en contrôle judiciaire, il ne s'agit pas de juger si la décision initiale était la meilleure, mais de déterminer si elle était raisonnable.
Pour le juge Tremblay, la décision du Comité d'enquête était une conclusion qui faisait partie des issues possibles et ne contenait aucune erreur fatale.
Le juge Tremblay a donc rejeté le pourvoi, confirmant que le Comité d'enquête pouvait raisonnablement conclure à un manquement déontologique.
Des questions de principe à trancher
Le juge de la Cour d’appel Simon Ruel a accordé à la requérante la permission d’appeler.
Selon lui, l’affaire soulève des questions de principe qui déborde l’intérêt immédiat des parties.
Ces questions sont plus particulièrement « l’existence et, le cas échéant, la définition des paramètres et la portée d’un devoir déontologique d’assistance raisonnable d’un décideur administratif envers une personne non-représentée, dans une optique d’accès à la justice administrative, devoir devant être concilié avec le devoir déontologique du décideur de préserver son impartialité envers les autres parties au litige ».
La juge Dion et le Conseil de la justice administrative auront respectivement jusqu'au 21 novembre et au 23 janvier 2026 pour déposer leur exposé.