Les crimes contre les biens, indemnisables ou pas?
La Cour d’appel s’est penchée sur l’interprétation de la nouvelle Loi visant à aider les personnes victimes d’infractions criminelles et à favoriser leur rétablissement…

Le plus haut tribunal du Québec a rendu un arrêt important dans le dossier d’un homme dont la résidence a été la proie d’un incendie criminel. Bien que ce dernier n’ait pas été sur les lieux au moment du sinistre, il a subi des atteintes à son intégrité physique. Est-il une victime au sens de la Loi visant à aider les personnes victimes d’infractions criminelles et à favoriser leur rétablissement (LAPVIC)?
Les juges Marie-Josée Hogue, Sophie Lavallée et Peter Kalichman ont répondu à cette question dans une décision rendue le 21 novembre.
La position du Procureur général du Québec (PGQ), l’appelant, était défendue par Me Koryne Fradet, alors que l’intimé, identifié avec les initiales S.G., n’était pas représenté.
Le contexte
La résidence de l'intimé est l’objet d’un incendie d’origine criminelle le 29 octobre 2021. L’homme n’est pas sur les lieux au moment du sinistre, il travaille.
L’intimé dépose une demande de qualification à la Direction générale de l’indemnisation des victimes d’actes criminels (IVAC), qui la refuse au motif qu’il ne répond pas à la définition de personne victime au sens de la LAPVIC, le crime commis n’étant pas un crime contre la personne.
Cette décision est confirmée par le Bureau de la révision administrative de l’IVAC. Insatisfait, l’intimé conteste cette décision devant le Tribunal administratif du Québec (TAQ), qui lui donne raison.
Le juge du TAQ conclut en effet qu’alors que la Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels (« LIVAC ») énumérait de façon limitative les actes criminels susceptibles de donner droit à une indemnisation, la LAPVIC, qui l’a remplacée, « n’écarte aucune infraction au départ, tout en excluant les infractions perpétrées “ contre un bien ”, mais s’attache surtout à l’effet du geste criminel, à savoir porte-t-il atteinte ou non à l’intégrité physique ou psychique d’une personne », rapporte la Cour d’appel dans sa décision.
Interprétant libéralement la LAPVIC, et prenant appui sur les propos d’un auteur, le juge administratif estime ainsi qu’une personne est admissible à titre de victime dès lors qu’une infraction criminelle, même perpétrée contre un bien, a porté atteinte à son intégrité physique ou psychique. L’intégrité psychique de S. G. ayant été atteinte, le juge du TAQ conclut que l’homme se qualifie pour recevoir une indemnisation, résume la Cour d’appel.
Insatisfait, le PGQ dépose une demande de contrôle judiciaire devant la Cour supérieure. Il soutient que la décision du TAQ est déraisonnable puisqu’elle interprète erronément la notion de personne victime qu’on retrouve à la LAPVIC.
Appliquant la norme de la décision raisonnable, le juge de la Cour supérieure retient que les conclusions du TAQ font partie des issues possibles et ne sont pas déraisonnables. Il rejette donc la demande du PGQ.
La position du PGQ
C’est ce jugement de la Cour supérieure que le PGQ a porté en appel. Devant le plus haut tribunal du Québec, l’appelant a maintenu sa position voulant que la décision du TAQ soit déraisonnable puisque contraire au texte de la LAPVIC et à l’intention clairement exprimée par le législateur d’exclure les crimes contre les biens du régime d’indemnisation des victimes d’actes criminels.
Même si le juge de la Cour supérieure avait identifié la bonne norme de contrôle (la décision raisonnable), il l'a mal appliquée en validant la décision du TAQ, a soutenu le PGQ.
La décision de la Cour d’appel
D’emblée, la Cour d'appel a rappelé que son rôle était de vérifier si le juge de la Cour supérieure avait correctement appliqué la norme de la décision raisonnable.
Elle s'est ensuite penchée sur les articles 15 et 18 de la LAPVIC. Ces articles définissent la « personne victime » comme celle qui subit une atteinte à son intégrité due à une « infraction criminelle », précisant que cette infraction « porte atteinte à l’intégrité physique ou psychique d’une personne; ainsi n’est pas visée une infraction criminelle perpétrée contre un bien ».
Selon les juges Hogue, Lavallée et Kalichman, ces deux articles, lus conjointement, sont clairs et non équivoques.
La Cour d’appel a souligné que l'interprétation littérale est appuyée par les débats parlementaires. Elle a cité le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, qui a clairement indiqué que le choix du législateur était de couvrir les infractions contre la personne et d'exclure les infractions contre les biens. L'objectif était d'élargir le régime pour les crimes contre la personne, tout en assurant la pérennité du système.
Puisque l'incendie criminel est une infraction contre les biens (art. 434 C.cr.) et que l’intimé n'était pas sur les lieux, la Cour d’appel a conclu qu'il était déraisonnable pour le TAQ d'accorder une indemnité.
La Cour d'appel a aussi estimé que le juge de la Cour supérieure avait erré en validant le raisonnement du TAQ. La conclusion du TAQ ne faisait pas partie des issues possibles et raisonnables au regard de la loi, a tranché le tribunal.
Les trois juges ont donc accueilli l'appel, cassé le jugement de la Cour supérieure, annulé la décision du TAQ et déclaré que l’intimé n’était pas admissible au régime.