Refuser un chien d’assistance : une pratique illégale qui persiste au Québec

Radio Canada
2025-09-08 13:15:27
Malgré l’interdiction légale de discriminer les personnes handicapées, des locataires continuent de se voir refuser un logement en raison de leur chien d’assistance.
Une entreprise immobilière de Québec et sa gestionnaire devront verser 7000 $ à une femme à qui elles ont refusé de louer un logement en raison de son chien d’assistance, tranche le Tribunal des droits de la personne. Une histoire qui démontre que le rôle des animaux utilisés pour pallier un handicap demeure souvent méconnu ou incompris du grand public.

L’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne interdit toute distinction, exclusion ou préférence fondée sur le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap, qu’il s’agisse d’un fauteuil roulant, d’un chien-guide, d’une prothèse ou, dans le cas présent, d’un chien d’assistance. Cynthia Martin-Desgagné souffre d’un trouble de stress post-traumatique. Pour l’aider à gérer ses symptômes anxieux et à briser l’isolement dans lequel son problème de santé médicale l’a enfermée, elle a recours à un chien d’assistance.
L’animal, un American Staffordshire terrier nommé Raziel, a été entraîné par l’organisme Anakim Assistance, qui se spécialise dans l’éducation des chiens d’assistance en santé mentale et en trouble du spectre de l’autisme. Mme Martin-Desgagné affirme qu’elle ne peut fonctionner normalement sans Raziel.
Ma chienne gère les symptômes de dissociation en lien avec mon trouble de stress post-traumatique. Quand ça commence, elle va beaucoup me toucher avec son museau ou me lécher la jambe pour me faire sentir : eh, il y a quelque chose qui se passe. Donc, à ce moment-là, je vais beaucoup plus me recentrer vers moi (...) Ça m'est impossible de sortir sans elle, dit la jeune femme en entrevue à Radio-Canada.
Refus
À l’automne 2022, elle s’est vu refuser un logement offert en location par l’entreprise 9444-0831 Québec en raison de sa chienne. La copropriétaire de la société immobilière et responsable des locations, Allison Turcotte-Cloutier, a indiqué à Mme Martin-Desgagné que les chiens pesant plus de 20 livres (Raziel en pèse 50) n'étaient pas admis, et que pour déroger à cette règle, l'animal devait servir à pallier l'un des handicaps applicables, lesquels n'incluent pas le stress post-traumatique.

On m'a répondu que mon diagnostic n'était pas suffisant, vu que ce n'était pas de la cécité ou de la surdité, ou que je n'étais pas autiste, raconte la propriétaire de Raziel.
Pourtant, les tribunaux québécois ont à maintes reprises reconnu que d’autres handicaps pouvaient requérir l’utilisation d’un chien d’assistance. Le Tribunal des droits de la personne a d’ailleurs jugé que l’affirmation de Mme Turcotte-Cloutier sur les handicaps applicables était erronée et contraire à la loi ainsi qu’à la jurisprudence.
La propriétaire immobilière, qui dit avoir par le passé agi comme bénévole pour la Fondation Mira, a également expliqué son refus par le fait que les chiens de race American Staffordshire terrier ne sont généralement pas reconnus comme des chiens d’assistance. Elle a fait valoir qu’en raison de leurs puissantes mâchoires, ces chiens, souvent confondus à tort avec ceux de type pitbull, peuvent causer de graves blessures en cas de morsure.
Une affaire de comportement
La fondatrice et directrice d’Anakim Assistance, Sonia Baillargeon, qui a personnellement entraîné Raziel, affirme que ce n’est pas tant la race du chien qui importe, mais plutôt son comportement. J'ai des labradors qui ne sont pas capables de faire la job. J'ai des bouviers bernois pour qui c'est plus dur de faire la job. Pourtant, ce sont des chiens typiques utilisés habituellement. C'est vraiment le tempérament du chien qui va nous dire si oui ou non il peut être chien d'assistance, explique-t-elle.

Mme Baillargeon ajoute que certains chiens sont plus anxieux que d’autres et pourraient avoir peur des réactions de leur bénéficiaire en cas de crise. Elle ne croit pas, à titre d’exemple, qu’un bouvier bernois, un chien facilement anxieux, aurait été un animal de prédilection pour Cynthia Martin-Desgagné, en proie à des épisodes dissociatifs.
Lors de ses échanges avec Allison Turcotte-Cloutier à l’automne 2022, la propriétaire de Raziel a offert de lui fournir les coordonnées de Sonia Baillargeon et de son organisme pour qu’elle puisse s’informer davantage sur son animal et l’entraînement qu’il a suivi, mais en vain. La gestionnaire a fini par lui annoncer que le logement qu’elle convoitait avait été loué.
Poursuite
Estimant avoir été victime d’une discrimination fondée sur le moyen de pallier son handicap, Cynthia Martin-Desgagné a porté plainte auprès de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. Après avoir obtenu une décision favorable, elle a soumis le dossier au Tribunal des droits de la personne. Dans une décision rendue le 17 juillet dernier, le Tribunal a conclu que la jeune femme avait bel et bien été victime de discrimination fondée sur le moyen de pallier son handicap.
Il n’a pas retenu les arguments avancés par Mme Turcotte-Cloutier pour justifier son refus. Lors de l’audience, cette dernière a raconté que peu de temps après avoir été contactée par Cynthia Martin-Desgagné, son entreprise avait accepté un chien d’assistance pesant plus de 30 livres et que celui-ci avait mordu deux personnes en un mois. Elle a prétendu que les locataires de l’immeuble étaient terrifiés et menaçaient de déménager si d’autres chiens y étaient admis.

Mme Turcotte-Cloutier n’a cependant fourni aucune preuve de ce qu’elle a avancé, que ce soit la prétendue terreur des locataires ou la dangerosité alléguée de la race du chien de Mme Martin-Desgagné. Aux yeux du Tribunal, elle n’a pas réussi à démontrer que l'accommodement visé, soit l’acceptation de l’animal, correspondait à une contrainte excessive. Une contrainte excessive est plus qu’un inconvénient ou un risque financier potentiel. Elle s’apparente à un fardeau excessif, à un risque grave ou à un coût exorbitant.
La justification avancée par Mme Turcotte-Cloutier est loin de constituer une contrainte excessive, même si elle était prouvée, a précisé le Tribunal. Il a donc condamné la gestionnaire et son entreprise à payer solidairement à Cynthia Martin-Desgagné la somme de 6000 $, avec intérêt légal, pour préjudice moral. Le Tribunal les a également condamnées à payer chacune la somme de 500 $, avec intérêt légal, à titre de dommages-intérêts punitifs. Les deux parties défenderesses ont aussi été condamnées solidairement aux frais de justice.
Désaccord
Allison Turcotte-Cloutier et son entreprise ont décliné la demande d’entrevue de Radio-Canada. Leur avocat, Me Guillaume Lavoie, a indiqué que ses clientes n’étaient pas en accord avec certains des aspects de la décision, notamment sur le fait qu'aucune mention n'est faite de plusieurs plaintes ayant été faites par la plaignante envers plusieurs propriétaires et sur le fait que plus de 20 propriétaires (lui) auraient refusé (un) logis.

Malgré leurs réserves à l’endroit de certains éléments de la décision rendue par le Tribunal des droits de la personne, Mme Turcotte-Cloutier et sa société n’ont pas l’intention d'interjeter appel, vu l’enjeu monétaire, précise leur avocat.
Mes clientes sont d'avis que bien que le Tribunal a conclu qu’elles auraient pu agir différemment avec les paramètres fixés par la jurisprudence, leur conduite n'a jamais été empreinte de mauvaise foi et de désir de nuire à Mme Martin-Desgagné, indique Me Lavoie dans un courriel à Radio-Canada. Il ajoute que ses clientes n’ont jamais voulu empêcher la plaignante de pallier son handicap et qu’elles sont sensibles à cet argument. L’avocat mentionne que Mme Turcotte-Cloutier a elle-même un handicap physique, tout comme son père.
Encadrement à revoir
Me Lavoie et ses clientes croient qu’un meilleur encadrement des chiens d’assistance serait souhaitable et que cela pourrait entre autres passer par l’établissement d’un registre des chiens d’assistance et d’un registre des personnes ayant un état de santé nécessitant une telle mesure. En effet, trop souvent, les chiens d'assistance deviennent une expression quelque peu galvaudée qui regroupe des chiens de soutien émotionnel au même titre que de réels chiens d'assistance.
Un registre à ce sujet (auquel) seules les parties prenantes en matière de location auraient accès permettrait d'éviter des situations ambiguës qui sont néfastes autant aux locataires qu'aux propriétaires d'immeubles, fait valoir l’avocat.