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Replacer son téléphone tombé n’est pas un « usage » prohibé au volant

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Élisabeth Fleury

Élisabeth Fleury

2025-10-23 13:15:46

La Cour supérieure clarifie la notion d’« usage » d’un appareil portatif au volant dans des circonstances factuelles particulières…


Marie-Eve Bélanger - source : archives


Un automobiliste reconnu coupable d’avoir fait usage d'un téléphone cellulaire en conduisant vient d’être acquitté par la Cour supérieure.

La décision a été rendue le 14 octobre par la juge Marie-Eve Bélanger.

L’appelant, Isaie Nkundabagenzi, était représenté par Me Lina Elofir, alors que la position du Directeur des poursuites criminelles et pénales était défendue par Me Michelle Arentsen.

Un parent pressé et un téléphone qui tombe

Les faits remontent au 14 mars 2023. Isaie Nkundabagenzi conduit en direction de l’hôpital Sainte-Justine, où son enfant prématuré est hospitalisé. Son téléphone cellulaire est inséré dans un support fixé sur une bouche d’aération de son véhicule. Il n’est utilisé pour aucune fonctionnalité.


Lina Elofir - source : LinkedIn

Soudainement, le support et le téléphone intégré tombent à ses pieds, près des pédales. Il prend le support, dans lequel se trouve toujours le téléphone, l’écran face à la paume. Il voit que l’écran de verrouillage est allumé et que le fil d’alimentation est encore branché au téléphone. D’un seul geste, il réinsère le support et le téléphone intégré sur la bouche d’aération. Il ne fait aucune autre manœuvre.

Le jugement initial

Le juge Pierre Fortin de la Cour du Québec a estimé que la version des faits de M. Nkundabagenzi était « crédible et vraisemblable », mais a conclu que le fait de prendre le téléphone et de le réinstaller constituait un « usage » en contravention de l'article 443.1 du Code de la sécurité routière (CSR). Il l’a donc déclaré coupable de cette infraction le 6 janvier 2024.

Décision « erronée » et « déraisonnable »

Selon le 2e alinéa de l’article 443.1 du CSR, le conducteur du véhicule est présumé faire usage du téléphone lorsqu’il le tient en main, rappelle la juge de la Cour supérieure dans sa décision, ajoutant qu’il s’agit d’une présomption réfutable.

« Cela signifie que si l’accusé présente une preuve contraire susceptible de soulever un doute raisonnable quant à l’usage du téléphone, le poursuivant ne bénéficie pas de la présomption. Il doit alors prouver hors de tout doute raisonnable que ce dernier fait usage du téléphone », souligne la juge Marie-Ève Bélanger.

Michelle Arentsen - source : LinkedIn

Le juge Fortin, poursuit le tribunal, ne s’est pas limité pas à appliquer cette présomption : il a tenu compte de la version des faits de l’appelant et a conclu que la manœuvre qu’il effectuait en prenant le téléphone intégré dans le support et en réinstallant le tout sur la bouche d’aération constituait un usage prohibé par la disposition législative.

Selon la juge Bélanger, cette décision est « non seulement erronée, mais déraisonnable ».

Une Interprétation trop large de l'« usage »

Tout en reconnaissant que la notion d'usage doit être interprétée largement pour réduire la distraction au volant, la juge Bélanger estime que le juge de première instance a commis une erreur de droit en l'interprétant trop largement.

Selon elle, le cas de M. Nkundabagenzi se distingue des précédents jurisprudentiels, comme l'affaire Hafez, où l'accusé avait posé des gestes impliquant une interaction avec les fonctionnalités du téléphone (vérifier s'il est brisé, débrancher le fil de recharge, poursuivre une conversation).

Dans le cas de l’appelant, il n'a utilisé aucune fonctionnalité, n'a appuyé sur aucune touche et n'a pas retiré le fil d'alimentation. Son geste se limitait à ramasser et à réinstaller le support contenant le téléphone, insiste la juge.

« Le poursuivant soutient que l’appelant fait usage de son téléphone, car il le réinstalle sur la bouche d’aération dans le but d’en faire un usage mains libres. Cependant, par cet argument, le poursuivant reconnaît qu’au moment même où l’appelant remet le tout en place, il n’utilise pas le téléphone », raisonne encore la juge Bélanger.

Le tribunal a rejeté une autre prétention du poursuivant, qui avançait que « si l’appelant avait déposé le support et le téléphone intégré ailleurs, par exemple sur le siège passager, cela aurait été différent ». « Cette distinction est inutile, car l’appelant n’utilise pas son téléphone lorsqu’il le remet en place », tranche la juge de la Cour supérieure.

Pour le tribunal, il est clair qu’en remettant tout simplement le support et le téléphone intégré sur la bouche d’aération, l’appelant ne fait pas usage de son téléphone. « Certes, cela engendre une distraction, mais celle-ci n’est pas causée par l’usage du téléphone », établit la juge Bélanger.

De l’avis de la Cour supérieure, donc, le juge d’instance a commis une erreur de droit dans l’interprétation et l’application de l’article 443.1 du Code de la sécurité routière. L’appel a donc été accueilli, la déclaration de culpabilité, annulée, et Isaie Nkundabagenzi, acquitté de l'infraction.

Questionné sur son intention de porter le jugement en appel, le DPCP nous a invités à refaire une demande à partir du 14 novembre, au terme du délai d’appel de 30 jours.

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