« T’es fiché au TAL » : quand la transparence des plaintes dissuade les locataires

Radio Canada
2025-07-08 14:15:19
La discrimination au motif d'avoir défendu légitimement ses droits est illégale.

Que ce soit pour contester une hausse de loyer ou pour dénoncer de l'insalubrité, des locataires hésitent à porter plainte auprès du Tribunal administratif du logement (TAL) puisque les dossiers font partie du registre public. Un organisme plaide donc pour que les plaintes deviennent anonymes afin d'éviter que les locataires soient discriminés par les propriétaires.
De 2019 à 2024, Véronic Pageau a loué une maison à Saint-Zénon, dans Lanaudière, qui était, dit-elle, complètement insalubre.
« Il y avait des dégâts d'eau, je n'ai pas eu d'eau potable pendant plus d'un an et demi, il y avait des moisissures dans tout le sous-sol. Bref, je me suis rendue malade dans cette maison-là », raconte-t-elle.
Elle a donc porté plainte au TAL pour exiger que les propriétaires effectuent les travaux requis. Son dossier, qui est toujours actif, l'a cependant suivie dans ses recherches de logement puisque les noms apparaissent dans les dossiers du TAL. De plus, les noms ne s'effacent jamais, même si le dossier est clos.
« J’avais un bon travail, je suis solvable, j’ai un bon crédit, mais ça me nuisait vraiment. C’est une tache noire, t’es marqué au fer rouge. [...] T'es fiché au TAL, on ne veut pas de toi », déplore Véronic Pageau.
Cette locataire précise que ses recherches d'un nouveau logement ont duré deux ans et demi. « J'ai fait plus d'une centaine d’appels et je ne sais pas combien de messages [j'ai envoyés] sur Marketplace. [...] On ne me disait rien, on ne me rappelait pas », se rappelle-t-elle.
Le RCLACQ plaide pour l'anonymat
Selon Me Julien Delangie, un avocat en droit du logement, il n'est pas rare que des locataires hésitent avant d'ouvrir un dossier au TAL. « Il y en a beaucoup qui, avant d'entamer un recours, vont se demander si cela va leur nuire. Cela revient très souvent dans les discussions », affirme-t-il.
La discrimination au motif d'avoir défendu légitimement ses droits est toutefois illégale, soutient Me Delangie. « C'est illégal de refuser de conclure un bail avec un locataire potentiel pour la seule raison qu'il a exercé un droit qui lui est conféré par la loi », explique-t-il.
Sauf que dans les faits, il reconnaît que cette pratique est indétectable. « Le problème, c'est de prouver que c'est ça, la raison pour refuser un locataire. Très souvent, on ne le saura pas. »
Pour éviter de telles situations, le Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ) plaide désormais pour l'anonymisation des dossiers au TAL.
« Cette idée d'anonymiser les dossiers devient de plus en plus importante dans un contexte de crise du logement, dans un marché où il y a de plus en plus d'options et où les propriétaires reçoivent énormément de candidatures », dit Thomas Savy, chercheur au RCLALQ.
« Il y a des tribunaux dans lesquels les parties dites faibles ou vulnérables vont être anonymisées pour protéger la personne : on voit ça par exemple en droit de la jeunesse. Ce serait l'équivalent, mais pour les droits des locataires », poursuit Thomas Savy, qui est également intervenant au Comité logement Bas-Saint-Laurent.
« Situations anecdotiques », dit la CORPIQ
Cependant, du côté de la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ), le porte-parole Éric Sansoucy soutient que les situations lors desquelles un propriétaire refuse un locataire en raison d'une plainte au TAL demeurent anecdotiques.
« Le conseil qu'on donne aux locataires, c'est de le présenter de façon transparente plutôt que de laisser le propriétaire le découvrir par lui-même », explique-t-il. « Lorsqu'un locataire porte plainte au TAL pour une raison légitime, le propriétaire comprend. »
« La différence pourrait se jouer au niveau de la quérulence, par exemple une personne qui porterait plainte tous les deux ans au lieu d'avoir une discussion avec le propriétaire. [Cela peut être un] signe que la relation sera compliquée », ajoute Éric Sansoucy, porte-parole de la CORPIQ.
De plus, M. Sansoucy doute que l'anonymisation des dossiers se réalise puisque la transparence du système judiciaire est enchâssée dans la Charte des droits et libertés du Québec et du Canada.
« Cela nécessiterait une disposition de dérogation et c'est arrivé deux fois dans les 35 dernières années. Donc, on n'est pas à la veille que des situations anecdotiques transforment un des fondements de notre société de droit », estime le porte-parole de la CORPIQ.
Le RCLACQ fait toutefois remarquer qu'il est impossible de demander pardon en droit civil, contrairement au droit criminel. « Ça devient une marque indélébile, une tache au dossier [des locataires]. Ça n'a pas de sens », déplore M. Savy.
« Quand on dit que pour un dossier criminel, on peut demander un pardon, mais pas pour un dossier au TAL, ça fait peur », estime Véronic Pageau.