Un avocat déclaré inhabile pour conflit d’intérêts dans un litige de franchise

Élisabeth Fleury
2025-09-05 11:15:32

Un avocat qui a conseillé à la fois un franchiseur et un franchisé potentiel dans le cadre d'un même projet a été déclaré inhabile à agir pour l'une des parties après l'échec de la transaction.
Dans un récent jugement, la juge de la Cour du Québec Magali Lewis a déclaré Me Arnaud Fraticelli, du cabinet Leroux Côté Burrogano, inhabile à exercer dans l'affaire opposant 9441-1170 Québec inc., une société de portefeuille, à Investissements 9413-9862 Québec inc. (Wagram Finances Canada), un franchiseur.

Me Fraticelli était représenté par un avocat de son cabinet, Me Jacques Castonguay, alors que le demandeur de la déclaration d’inhabilité, la société de portefeuille 9441-1170 Québec inc., était représenté par Me Ivan Kasic, du cabinet boutique IK-Legal.
Un avocat pour deux clients
Le litige a commencé quand le projet d'Arthur Le Doujet, président de 9441 inc., d'exploiter une franchise Columbus Café sur la rue Sainte-Catherine Ouest à Montréal n'a pas abouti, entraînant une réclamation pour le remboursement d'un dépôt de sécurité ainsi qu’un montant de 10 000 $ à titre de dommages-intérêts, pour une réclamation totale de 52 431,36 $.
Me Arnaud Fraticelli a d’abord été l'avocat de 9413 inc., le franchiseur. Il a ensuite été recommandé par le franchiseur à M. Le Doujet pour la constitution de sa société, 9441 inc., dans le but d’acquérir et d’exploiter la franchise.

Au soutien de sa demande en déclaration d’inhabilité, M. Le Doujet a plaidé que Me Fraticelli, qui représentait désormais 9413 inc. contre lui, se trouvait en conflit d'intérêts. Il a soutenu que l'avocat possédait des informations confidentielles à son sujet, obtenues dans le cadre du premier mandat, qui pourraient être utilisées à son détriment dans le litige actuel.
La position de Me Fraticelli
Me Arnaud Fraticelli a déclaré de son côté qu’il n’avait jamais été l’avocat de M. Le Doujet, son rôle auprès de ce dernier s’étant limité à constituer 9441 inc. Il a également nié avoir accompagné M. Le Doujet dans son projet d’achat de franchise, non plus que 9413 inc. dans la rédaction du contrat de franchise, puisqu’il n’œuvre pas dans le domaine du franchisage. Selon lui, le contrat qui liait les parties a été rédigé par un autre bureau d’avocats.
L’avocat a également nié avoir assisté à quelques négociations que ce soit en lien avec la préparation du contrat de franchise qui liait les parties.
Me Fraticelli a donc invité le tribunal à conclure qu’il n’avait obtenu aucune information confidentielle de la part de M. Le Doujet.
Connectivité des mandats et renseignements confidentiels
Le tribunal a tranché en faveur de l'ancien client en se basant sur la jurisprudence, qui établit une série de critères pour déterminer si un avocat est inhabile à agir.
Pour qu'une inhabilité soit prononcée, il faut qu’il y ait une connexité suffisante entre les deux mandats, ce qui crée une présomption que l'avocat a eu accès à des renseignements confidentiels, rappelle le tribunal.
Selon la juge Magali Lewis, la connexité s’établit facilement. Bien que le mandat de Me Fraticelli pour M. Le Doujet se soit limité à la constitution de la société, la juge Lewis estime que ce mandat était intimement lié au projet global d'acquisition et d'exploitation de la franchise. L'avocat agissait pour les deux parties dans la mise en œuvre d’un même projet, créant un rapport étroit entre les deux dossiers.
Le tribunal a aussi donné raison à M. Le Doujet qui affirmait s'être confié à son avocat sur les motivations et les défis de son projet, notamment ses démarches d’immigration. La preuve la plus éloquente est survenue durant la conférence de règlement amiable, où Me Fraticelli a fait allusion à une information très personnelle et confidentielle (la grossesse de la conjointe de M. Le Doujet) qui n'avait aucun lien avec la constitution de la société.
En contrepartie, Me Fraticelli n'a pas réussi à réfuter la présomption d'avoir reçu des informations confidentielles, estime la juge Lewis, qui souligne que les factures de son cabinet étaient trop peu détaillées pour prouver que les échanges avaient été limités au strict minimum nécessaire à l'incorporation.
Le risque de préjudice et l'apparence de justice
Selon le tribunal, les informations que M. Le Doujet a transmises à Me Fraticelli quant à ses motivations, sa situation financière et ses appréhensions face au projet d’investissement et d’exploitation de la franchise Columbus, informations qu’il n’aurait pas obtenues s’il n’avait pas été son avocat au moment des discussions de collaboration avec 9413 inc., « seront certainement utiles à 9413 inc. ».
Pour la juge Lewis, il y a bel et bien un risque que ces renseignements soient utilisés au détriment de 9441 inc.
« Il y a lieu, dans le présent dossier, de préserver la confiance du public et de la partie demanderesse envers l’administration de la justice et le système de justice, et d’y donner priorité », conclut la juge avant de déclarer Me Fraticelli inhabile à agir dans le dossier.
Le cabinet Leroux Côté Burrogano a lui aussi été déclaré inhabile « puisque le Tribunal ignore de quelle manière Me Fraticelli s’est assuré que les informations qu’il a obtenues dans le cadre de l’exécution de son mandat pour M. Le Doujet ne sont pas disponibles aux autres membres du cabinet au sein duquel il exerce sa profession ».
Le cabinet n’avait pas donné suite à notre invitation à commenter le jugement au moment de mettre cet article en ligne.