Un procès criminel entièrement mené en français au Manitoba
Radio Canada
2025-12-01 13:15:47

Un procès criminel s’est récemment déroulé entièrement en français à la Cour provinciale du Manitoba, de la poursuite jusqu’à la décision écrite. L’affaire n’est pas une première dans la province, mais demeure suffisamment rare pour attirer l’attention des juristes, qui y voient à la fois une avancée concrète et un rappel des défis encore présents dans l’appareil judiciaire bilingue du Manitoba.
Selon Tarik Daoudi, directeur général de l’Association des juristes d’expression française du Manitoba (AJEFM), cet épisode illustre une réalité nuancée. Selon lui, le système est capable d’offrir des services judiciaires complets en français, mais il n’y est pas encore parfaitement rodé.Ce n’est pas une première, mais c’est certainement rare dans un contexte francophone minoritaire , dit-il.
Une décision écrite rendue en français
Pour l’avocate de la défense Laura Nagy, associée chez Simmonds & Associates, la logique était simple : un procès mené en français devait naturellement se conclure par une décision rédigée dans la même langue.
Dès la première comparution, l’avocat doit préciser la langue officielle choisie par l’accusé, une responsabilité éthique inscrite dans le code de déontologie. Ce qui retient l’attention des juristes, souligne-t-elle, c’est que la décision a été rendue non seulement à l’oral, mais aussi par écrit et en français.
Un geste rare, et d’autant plus significatif, puisqu’on dit que les paroles s’envolent, mais que les écrits restent. Le procès a mobilisé un ensemble d’acteurs bilingues : le juge, le greffier, le procureur de la Couronne et les avocats, tandis que deux interprètes se relayaient pour faciliter la participation d'une témoin anglophone de participer.
Le tribunal doit ensuite planifier le dossier de manière à respecter ce choix linguistique du début à la fin. Mais dans la pratique, Laura Nagy cite plusieurs défis récurrents liés aux causes francophones : délais administratifs, difficulté à trouver du personnel bilingue, réassignation de dossiers à des procureurs francophones, traduction de documents, disponibilité des interprètes et obstacles au dépôt de documents en français.
Elle explique qu’il arrive encore que le greffier manque de personnel capable de traiter des dépôts en français. On nous dit : Il n’y a personne de francophone aujourd’hui, revenez demain. Il faut insister, rappeler que c’est un droit. Ces réalités ne concernent pas seulement cette cause, mais témoignent d’un système souffrant d'un manque de personnel et d'une organisation encore perfectible, selon l’avocate.
Une pratique rare, mais pas inédite : la perspective des juges
La juge bilingue Rachel Rusan, qui a présidé le procès, confirme que la décision écrite en français n’est pas unique , mais demeure peu courante.
La Cour provinciale entend environ une trentaine de causes criminelles en français par année : un chiffre qui fluctue et ne représente qu’une fraction des dossiers traités. Selon les données de la Cour provinciale, les audiences en français seraient davantage en demande à Winnipeg et à Steinbach.
Sa collègue, la juge en chef adjointe Lee Ann Martin et responsable des services juridiques en français, insiste sur un point central : le tribunal priorise les causes en français lorsqu’un accusé exerce ce droit. Cela implique parfois de libérer un juge bilingue ou de réorganiser l’horaire des audiences.
Une pénurie de main-d'œuvre judiciaire francophone
Pour la professeure Lorna Turnbull, directrice de la concentration en accès à la justice en français à l’Université du Manitoba, ce procès aide à ancrer le français comme langue de fonctionnement au sein de l’appareil judiciaire. Plus ces cas existent, plus ils contribuent à normaliser l’accès à la justice en français. Selon ses recherches et ses observations, le système judiciaire bilingue souffre depuis longtemps d’une pénurie d’avocats, de greffiers, de juges et de personnel judiciaire francophones.
Cette rareté n’est pas seulement logistique : elle s’enracine dans une histoire marquée par plus d’un siècle de non-respect des droits linguistiques au Manitoba, ce qui a laissé une certaine hésitation chez les francophones à exercer leurs droits. Elle met également en évidence un obstacle d'ordre structurel : la quasi-totalité des décisions judiciaires rédigées précédemment sont en anglais.
Cela oblige les avocats à naviguer constamment entre les deux langues dans leurs argumentaires. L’Université du Manitoba tente d’y répondre. Ainsi, une trentaine d’étudiants sont actuellement inscrits à la concentration, dont plusieurs sont issus des écoles d’immersion et de la Division scolaire franco-manitobaine. Au total, cela représente environ 10 % des étudiants du programme, une proportion supérieure aux quelque 4 % de francophones que compte la population manitobaine.
Matt
il y a 43 minutesUne belle victoire contre la suprématie anglophone et la canadianité toxique.