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Une avocate gagne sa cause contre son ancien cabinet

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Élisabeth Fleury

2025-08-11 15:00:13

Une avocate congédiée sans cause juste et suffisante sera indemnisée par son ancien employeur. Voici pourquoi…

Dans une décision étoffée rendue le 1er août, la juge Véronique Girard du Tribunal administratif du travail (TAT) a statué que Me était bel et bien une salariée au sens de la Loi sur les normes du travail (LNT) et que son congédiement par son ancien employeur, Me Jean-Charles Phillips, du cabinet gatinois Mantha Phillips, était lié à son absence pour maladie.

Marlène Iradukunda - source : LinkedIn

Me Cindy Dumais était représentée par Me Marlène Iradukunda, de Laroche Avocats CNESST. Me Jean-Charles Phillips s’est représenté lui-même.

La demanderesse a déposé deux plaintes contre Mantha Phillips le 1er mars 2023, contestant la fin de son emploi survenue le 19 janvier précédent. Elle alléguait avoir été congédiée sans cause juste et suffisante, soit en raison d'une absence pour maladie ayant débuté le 27 octobre 2022.

Salariée ou travailleuse autonome?

Au cœur du litige se trouvait la question fondamentale du statut d'emploi de Me Dumais.

La plaignante a soutenu qu'elle était une salariée à part entière de Mantha Phillips, malgré une rémunération partiellement versée sous forme de revenus d'entreprise. Elle a mis l'accent sur le lien de subordination juridique qui la liait à Me Jean-Charles Phillips, l'administrateur du cabinet.

Me Dumais a argué que la quasi-totalité de ses clients provenaient du cabinet, que son travail était effectué sous la bannière Mantha Phillips et qu'elle utilisait les outils et infrastructures du cabinet.

Elle a également souligné le contrôle exercé par Me Phillips sur ses dossiers, ses heures de présence au bureau et même ses vacances. Celui-ci est allé jusqu’à lui demander de travailler à domicile lors d'un précédent arrêt maladie, en 2021, a-t-elle illustré.

Me Jean-Charles Phillips a contesté le statut de salariée de Me Dumais, arguant qu'elle était une travailleuse autonome opérant au sein d'une « société de dépenses », où chaque avocat gère sa propre clientèle et contribue aux frais communs.

Il a soutenu que les versements de salaire n'étaient que des avances sur ses revenus d'entreprise.

Me Phillips a plaidé subsidiairement que si Me Dumais devait être jugée salariée, la fin d'emploi était justifiée par des motifs sérieux et sans lien avec son absence pour maladie, notamment son rendement insuffisant, sa négligence dans le suivi des dossiers et des fautes déontologiques liées à la planification de son absence.

La décision du Tribunal sur le statut de salariée


Le TAT a procédé à une analyse approfondie pour déterminer la véritable nature de la relation entre Me Dumais et Mantha Phillips, ainsi que la légalité de son congédiement.

Sur le statut de salariée, le tribunal a rappelé que la LNT définit largement la notion de salarié pour inclure les « entrepreneurs dépendants » qui demeurent subordonnés juridiquement à un employeur.

L'analyse s'est concentrée sur plusieurs critères :

  • Le contrôle de l'exécution du travail : malgré l'autonomie professionnelle inhérente à la profession d'avocat, le Tribunal a constaté que Me Phillips exerçait un contrôle significatif, gérant l'administration, et surveillant les travaux en cours et les heures facturables. Le fait que les clients continuaient de le contacter directement pour des mises à jour de dossiers et qu'il relayait ces informations à Me Dumais a démontré selon le TAT un contrôle persistant. De plus, la quasi-totalité des clients est restée avec Me Phillips après le départ de Me Dumais, renforçant l'idée d'une intégration forte.
  • La propriété des outils de travail : tous les outils essentiels à son travail — bureaux, ordinateurs, serveurs, archives — appartenaient à Mantha Phillips. Me Dumais n'a récupéré que ses livres personnels à son départ.
  • La possibilité de profits ou de pertes : bien que la rémunération de Me Dumais était liée à son rendement, elle n'assumait pas les risques financiers du cabinet. C'est Mantha Phillips qui a absorbé les pertes dues à la baisse de ses revenus. Le cabinet lui a même imposé des objectifs de performance.
  • L'intégration dans l'entreprise : le Tribunal a jugé que Mantha Phillips n'était pas une simple « société de dépenses » pour Me Dumais. Tous ses actes professionnels étaient posés au nom du cabinet, les factures étaient émises au nom du cabinet et les honoraires gagnés étaient versés au compte en fidéicommis de Mantha Phillips.
  • L'exécution personnelle du travail : Me Dumais exécutait personnellement son travail et ne pouvait le déléguer à une personne extérieure au cabinet.

Pour le TAT, donc, l'analyse globale des faits penchait clairement en faveur d'un lien de subordination juridique, faisant de Me Cindy Dumais une salariée au sens de la LNT.

La cause du congédiement

Le Tribunal a appliqué l'article 122 de la LNT, qui interdit le congédiement d'un salarié en raison de l'exercice d'un droit prévu par la loi.

La concomitance entre l'absence pour maladie de Me Dumais, qui a débuté le 27 octobre 2022, et son congédiement, survenu le 19 janvier 2023, juste avant son retour prévu le 30 janvier 2023, a créé, selon le TAT, une présomption de congédiement illégal.

Il incombait alors à Mantha Phillips de prouver, par une preuve prépondérante, que le congédiement était dû à une cause sérieuse totalement étrangère à l'absence pour maladie.

Le Tribunal a noté que la relation entre les parties était excellente jusqu'en 2022. Bien que Me Phillips ait relevé des problèmes de rendement et de suivi de dossiers durant l'année 2022, il n’en a jamais discuté avec Me Dumais avant l'avis de congédiement. Au contraire, il lui a même offert un cadeau pour « excellent travail » en juin 2022, alors qu'il était déjà au courant des lacunes alléguées, souligne le TAT.

La « goutte de poison »

Jean-Charles Phillips - source : Mantha Phillips


La juge Véronique Girard a rappelé le principe de la « goutte de poison » : si un motif illicite, comme l'absence pour maladie, joue le moindre rôle dans la décision de congédier, la mesure est viciée.

Selon elle, Mantha Phillips n'a pas réussi à démontrer que la décision de congédier était entièrement étrangère à l'absence de Me Dumais. Le moment du congédiement, juste avant son retour de convalescence, a été jugé très révélateur.

Le TAT a donc conclu que Me Dumais avait été congédiée sans cause juste et suffisante. La réintégration n'a pas été ordonnée, les parties s'étant entendues sur son impossibilité.

Me Jean-Charles Phillips devra verser à Me Cindy Dumais, à titre d’indemnité de perte de salaire, l’équivalent du salaire et des autres avantages dont l’a privé son congédiement. Le Tribunal a réservé sa compétence pour déterminer les autres mesures de réparation.

Droit-inc a tenté de joindre les parties pour recueillir leurs commentaires, mais n’avait pas eu de retour au moment de mettre cet article en ligne.

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