Budget 2025 : amortissement accéléré (la soi-disant « superdéduction à la productivité ») et lutte contre le report d’imposition au moyen de paliers de sociétés
Andrew Stirling
2025-11-18 11:15:44

Le budget 2025 annonce diverses mesures concernant la passation en charges accélérée de l’amortissement fiscal sur certaines immobilisations. Il réitère en outre l’intention du gouvernement de donner suite à certaines mesures d’amortissement fiscal accéléré annoncées précédemment.
Collectivement, toutes ces mesures sont désignées dans le budget 2025 comme la « superdéduction à la productivité ». Le budget 2025 propose également des dispositions législatives visant à mettre fin à certaines stratégies de report d’imposition au moyen de paliers de sociétés employées par certains contribuables.
Déduction pour amortissement accéléré
Régime actuel de DPA
L’amortissement aux fins de l’impôt canadien (ci-après : la « déduction pour amortissement » ou « DPA »), permet généralement à une entité faisant affaire au Canada de demander des déductions pour amortissement à des taux déterminés à l’égard de certaines immobilisations. En général, les immobilisations amortissables sont divisées en différentes catégories, chacune étant admissible à un taux de DPA fiscal différent.
Habituellement, les immobilisations à plus longue durée de vie se voient attribuer un taux d’amortissement plus faible, ce qui reflète la durée de vie plus longue de l’actif, alors que les immobilisations à plus courte durée de vie sont généralement admissibles à un taux d’amortissement plus élevé.
Toutefois, conformément à une tradition canadienne qui existe depuis longtemps, l’amortissement accéléré (c’est-à-dire des taux d’amortissement plus élevés ou la renonciation à appliquer la « règle de la demi-année », comme décrit ci-dessous) est utilisé comme mesure incitative à l’égard de certaines activités, de manière à mettre en œuvre la politique du gouvernement alors en vigueur.
Ces taux de DPA accéléré permettent à un contribuable de demander une déduction de l’impôt sur le revenu à l’égard d’une dépense en immobilisations plus tôt qu’il ne serait autrement possible si les taux d’amortissement étaient établis uniquement dans le but de faire correspondre la durée de vie utile d’une immobilisation.
En outre, le régime ordinaire de la DPA prévoit que la plupart des actifs sont assujettis à la « règle de la demi-année » qui réduit généralement la demande de DPA admissible au cours de l’année où une immobilisation est accessible pour la première fois à la moitié du taux qui s’appliquerait autrement.
À l’heure actuelle, le taux de DPA prescrit des bâtiments admissibles servant à fabriquer ou à transformer des biens destinés à la vente ou à la location (bâtiments de fabrication ou de transformation) est de 10 %. Or, le taux de DPA des autres bâtiments admissibles n’est que de 4 %. Les règles existantes prévoient qu’au moins 90 % de la superficie de plancher d’un bâtiment doit être utilisée pour fabriquer ou transformer des biens destinés à la vente ou à la location pour qu’il soit admissible à la DPA supplémentaire de 6 %.
Accélération proposée de la DPA pour les bâtiments de fabrication et de transformation
Le budget 2025 propose d’apporter des modifications temporaires au régime de la DPA. Ainsi, un contribuable aurait le droit d’immédiatement passer en charges le coût des bâtiments de fabrication ou de transformation admissibles, y compris le coût des ajouts ou des modifications admissibles apportés auxdits bâtiments. Pour être admissible à une telle passation en charges immédiate, 90 % de la superficie de plancher d’un bâtiment doit être utilisée pour fabriquer ou transformer des biens destinés à la vente ou à la location.
Ce seuil est analogue à celui qui s’applique à la DPA supplémentaire de 6 % à laquelle sont admissibles les bâtiments de fabrication ou de transformation aux termes des règles existantes, comme nous l’avons décrit ci-dessus. Les bâtiments admissibles au régime de passation en charges immédiate ne sont pas assujettis à la règle de la demi-année décrite ci-dessus, de sorte que la totalité des coûts admissibles du bâtiment peut être passée en charges dès la première année où il est utilisé pour la fabrication ou la transformation.
Pour être admissibles au régime de la DPA, les biens qui ont déjà été utilisés, ou acquis pour être utilisés, à quelque fin que ce soit avant d’être acquis par un contribuable qui cherche à demander une DPA accéléré devront remplir les deux conditions qui suivent :
Ni le contribuable ni aucune personne ayant un lien de dépendance avec lui n’était auparavant propriétaire du bien.
Le bien n’a pas été transféré au contribuable dans le cadre d’un transfert avec report d’imposition, par exemple aux termes de l’article 85 de la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada) (la « Loi de l’impôt»).
Le budget 2025 indique que le contribuable qui fait une demande de DPA accéléré et change ensuite l’utilisation du bâtiment peut être assujetti à une récupération, c’est-à-dire qu’il peut être confronté à l’annulation de la totalité ou d’une partie des demandes de DPA accéléré.
Les nouvelles mesures s’appliquent aux biens admissibles qui sont acquis au jour du dépôt du budget ou après et qui sont utilisés aux fins de fabrication ou de transformation pour la première fois avant 2030. Un taux de DPA accéléré de 75 % s’applique aux biens utilisés pour la première fois à des fins de fabrication ou de transformation en 2030 ou en 2031, pour la première année.
Un bien utilisé pour la première fois à des fins de fabrication ou de transformation en 2032 ou en 2033 sera admissible à un taux de DPA de 55 %, pour la première année. Le taux bonifié ne s’applique pas aux biens qui sont utilisés pour la première fois aux fins de fabrication ou de transformation après 2033 (auquel moment, le taux annuel de la DPA de 10 % décrit ci-dessus s’appliquera vraisemblablement).
Accélération proposée pour les installations de gaz naturel liquéfié à faibles émissions de carbone
Le budget 2025 propose également d’adopter un régime de DPA accéléré pour certaines installations et certains équipements de gaz naturel liquéfié (« GNL ») à faibles émissions de carbone afin de remplacer un régime précédent de DPA accéléré qui a expiré en 2024.
Une mesure temporaire de DPA ayant expiré à la fin de 2024 augmentait de 8 % à 30 % le taux de DPA applicable sur certains équipements liés au GNL, et de 6 % à 10 % le taux applicable de DPA sur certains bâtiments liés au GNL.
Le budget 2025 propose de remplacer les dispositions sur le GNL échues par un régime de DPA accéléré plus restreint pour les installations de GNL à faibles émissions de carbone. Pour être admissible à la DPA accéléré en vertu du nouveau régime, une installation doit se respecter certaines normes élevées de rendement en matière d’émissions. Deux niveaux de soutien potentiels pourraient alors s’appliquer :
Les installations qui se classent parmi les 25 % les plus performantes au chapitre des émissions sont admissibles à la DPA accéléré aux mêmes taux que ceux des mesures précédentes, soit 30 % pour le matériel de GNL admissible et 10 % pour les installations de GNL admissibles.
Les installations qui se classent parmi les 10 % les plus performantes au chapitre des émissions sont admissibles à des taux de DPA accéléré de 50 % dans le cas de l’équipement de GNL admissible et de 10 % dans le cas des bâtiments de GNL admissibles.
Ces taux élevés s’appliqueraient aux biens acquis après le jour du dépôt du budget, mais avant 2035.
Propositions de DPA accéléré précédemment annoncées
Outre les déductions pour amortissement accéléré nouvellement annoncées à l’égard des bâtiments de fabrication et de transformation et de certaines installations de GNL, le budget 2025 réitère l’intention du gouvernement de prolonger les propositions précédemment annoncées concernant la DPA accéléré à l’égard des « actifs permettant d’améliorer la productivité » et des « logements construits expressément pour la location ».
Répercussions
Le budget 2025 indique à plusieurs reprises que les diverses mesures incitatives de DPA accéléré proposées et celles annoncées ou mises en œuvre précédemment (la « superdéduction pour la productivité ») réduiront le taux effectif marginal d’imposition (le TEMI) du Canada (c’est-à-dire le taux d’imposition sur le prochain dollar nouvellement investi) à 13,2 %, ce qui serait le taux le plus bas parmi les pays du G7 (y compris celui de 17,6 % prétendument applicable aux États-Unis).
Une telle mesure est largement considérée comme étant nécessaire au maintien de la compétitivité par rapport aux réformes fiscales américaines découlant de la One Big Beautiful Bill Act qui, en général, permet la passation en charges immédiate des immobilisations sur une base permanente (ce qui contraste notamment avec les mesures temporaires d’amortissement accéléré du budget 2025). Le gouvernement exprime, dans le budget 2025, l’espoir que cet avantage fiscal stimule l’investissement et la productivité au Canada.
Il ne fait aucun doute que ces mesures seront utiles aux entreprises visées. Toutefois, les moyennes à l’échelle nationale dissimulent une grande variabilité du taux applicable, selon la nature des immobilisations utilisées dans une entreprise en particulier. Le budget 2025 indique que les différences entre les TEMI moyens applicables aux différents secteurs d’activité sont très marquées. En effet, certains ont un TEMI considérablement plus faible que d’autres.
En outre, étant donné que le Canada n’autorise généralement pas les déclarations de revenus consolidées entre les membres d’un groupe de sociétés affiliées, les déductions importantes pour amortissement accéléré peuvent n’être que d’une utilité limitée si une partie importante des revenus d’une entreprise est gagnée par une entité juridique différente de celle qui est propriétaire des immobilisations admissibles à l’amortissement accéléré. Certaines entreprises peuvent tirer avantage de transactions ciblées liées à une réorganisation dans le but de mieux faire correspondre les déductions fiscales avec leurs recettes.
Enfin, nous remarquons que pour certains acheteurs, les programmes de DPA accéléré renforcent la modification de la préférence, dans le cadre de certaines transactions liées à des fusions et acquisitions, envers l’acquisition d’une entreprise par voie de vente d’actifs (de sorte que l’acheteur puisse demander une DPA accéléré sur les immobilisations « majorées » acquises dans le cadre de la transaction), par rapport à une acquisition d’actions où un acheteur est généralement tenu d’amortir les immobilisations en fonction de la base fiscale historique des biens amortissables.
Inversement, un régime d’amortissement accéléré augmente la probabilité que les vendeurs, dans le cadre de fusions et d’acquisitions, puissent tirer une récupération considérable d’une vente d’actifs, ce qui peut augmenter le coût fiscal d’une vente d’actifs pour un vendeur par rapport à une vente d’actions.
Report d’imposition au moyen de paliers de sociétés
Le budget 2025 présente également une mesure de lutte contre l’évitement afin de prévenir certaines stratégies qui ont été utilisées pour reporter (potentiellement indéfiniment) l’imposition de certains revenus de placement gagnés par des sociétés privées sous contrôle canadien (SPCC).
La planification alléguée se rapporte à certains taux d’imposition élevés qui s’appliquent à certains revenus de placement (y compris les dividendes reçus de certaines personnes morales non liées) gagnés par les SPCC et certaines sociétés privées (et sociétés assujetties), dont une partie est généralement remboursable au moment du versement de certains dividendes conformément au régime législatif régissant les soldes de l’« impôt en main remboursable au titre de dividendes déterminés » (IMRDD) et de l’« impôt en main remboursable au titre de dividendes non déterminés » (IMRDND, et avec l’IMRDD, l’« IMRD »).
En général, une société privée ou une société assujettie qui reçoit un dividende d’une « société rattachée » ayant un solde d’IMRD pourrait être redevable de l’impôt en vertu de la partie IV de la Loi de l’impôt, pour un montant généralement égal au moins élevé des montants suivants : i) 38,33 % du dividende reçu; ii) le solde d’IMRD du payeur de dividendes. Dans de telles circonstances, le payeur de dividendes peut avoir droit à un remboursement d’impôt de l’Agence du revenu du Canada jusqu’à concurrence du plus élevé des montants suivants : i) environ 38,33 % du montant du dividende imposable versé; ii) un montant égal au solde d’IMRD à ce moment-là.
L’impôt de la partie IV est généralement dû par la société bénéficiaire à la date d’exigibilité du solde de son année d’imposition au cours de laquelle le dividende est reçu, ce qui peut être après la date d’exigibilité du solde de l’année d’imposition de la société payeuse au cours de laquelle le dividende a été versé.
Le budget 2025 fait référence à certaines techniques de planification fiscale prétendument utilisées par certains contribuables pour tirer parti de cet écart entre les échéances afin de reporter (potentiellement indéfiniment) l’impôt à payer sur le revenu de placement en interposant, au sein d’une chaîne de sociétés, des sociétés dont les fins d’année d’imposition sont décalées.
Le budget 2025 cite un exemple simple : celui d’une société qui verse un dividende imposable à un moment qui survient au cours de l’année d’imposition 2025 de la société payeuse, mais au cours de l’année d’imposition 2026 de la société bénéficiaire.
Le budget 2025 propose de limiter les occasions offertes par une telle planification en suspendant le remboursement de dividendes qui pourrait être demandé par une société payeuse lors du paiement d’un dividende imposable à une société bénéficiaire affiliée si la date d’exigibilité du solde de la société bénéficiaire pour l’année d’imposition au cours de laquelle le dividende a été reçu se termine après la date d’exigibilité du solde de la société payeuse pour l’année d’imposition au cours de laquelle le dividende a été payé.
La suspension de tels remboursements ne s’applique pas si chacun des bénéficiaires de dividendes au sein de la chaîne de sociétés affiliées verse un dividende subséquent au plus tard à la date d’exigibilité du solde du payeur, de sorte qu’aucun report n’est réalisé par le groupe de sociétés affiliées. La société a généralement le droit de demander le remboursement de dividendes suspendu au cours d’une année d’imposition subséquente lorsque la société bénéficiaire verse un dividende imposable à une société non affiliée ou à un actionnaire en particulier.
Le budget 2025 reconnaît que certains dividendes de bonne foi, qui ne sont pas versés dans le cours normal des activités, peuvent survenir dans le contexte d’une prise de contrôle et, par conséquent, ne propose pas d’appliquer la règle de suspension du remboursement relativement à un dividende versé dans les 30 jours précédant une prise de contrôle.
La mesure anti-report proposée s’applique aux années d’imposition commençant à la date du dépôt du budget ou après.
À propos de l’auteur
Andrew Stirling est associé en fiscalité chez McMillan.