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Budget 2025 : il est temps de mettre fin à la fraude de type carrousel liée à la TPS/TVH

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Jamie M. Wilks

2025-11-21 11:15:13

Focus sur la fraude de type carrousel liée à la TPS/TVH…

Jamie M. Wilks - source : McMillan


Le budget 2025 propose un « mécanisme de versement inversé » (le « MVI ») pour i) dispenser un fournisseur inscrit de facturer la TPS/TVH sur les fournitures taxables de services de télécommunication déterminés aux revendeurs inscrits des services et de percevoir la taxe auprès d’eux, et ii) obliger les revendeurs inscrits à s’autocotiser et à déclarer la TPS/TVH à payer dans leurs déclarations de TPS/TVH.

S’il a le droit de demander un crédit de taxe sur les intrants (un « CTI ») pour récupérer la TPS/TVH autocotisée, l’acheteur inscrit pourrait demander le CTI dans la même déclaration de TPS/TVH que l’autocotisation de la TPS/TVH. Ainsi le revendeur inscrit pourrait être dispensé de payer la TPS/TVH.

Selon la proposition actuelle, le MVI ne s’appliquerait qu’aux fournitures taxables de services de télécommunication déterminés à des revendeurs inscrits. Les services de télécommunication déterminés comprennent :

la communication orale instantanée ou comportant seulement un faible retard entre la transmission et la réception de signaux;

la transmission d’écrits, d’images et de sons, ou de renseignements de toute nature, lorsqu’elle est fournie en lien avec des services qui permettent une telle communication orale.

Un exemple en serait la fourniture de minutes de voix par le protocole de l’internet. Le MVI s’applique lorsque la totalité ou presque des services de télécommunication déterminés sont acquis par le revendeur inscrit afin de les fournir.

Accent sur le stratagème de fraude de type carrousel ou de commerçant disparu en lien avec la TPS/TVH

Le MVI proposé vise à contrecarrer les stratagèmes de fraude de type carrousel ou de commerçant disparu en lien avec la TPS/TVH utilisés par des acteurs malveillants. Une forme courante de fraude liée à la TPS/TVH est le stratagème de type carrousel. Dans le cadre de ce dernier, des biens ou des services sont vendus par une série d’entités inscrites, qui doivent payer la TPS/TVH au fournisseur et demander un CTI. Souvent, la dernière transaction de cette série vise des biens ou des services détaxés exportés du Canada sans le paiement de taxes. Au moins un fournisseur, appelé le « commerçant disparu », dans la chaîne de distribution disparaît sans verser la TPS/TVH qu’il a perçue.

Ainsi, les fraudeurs s’esquivent avec l’argent du gouvernement. Par conséquent, pour recouvrer les sommes que les fraudeurs se sont appropriées, l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») a souvent ciblé des parties innocentes pour les payer en rejetant les demandes de CTI des clients inscrits qui n’ont ni participé à l’activité frauduleuse ni n’en ont tiré profit. L’ARC pourrait justifier à tort son rejet de ces demandes en invoquant l’un ou l’autre des motifs suivants : a) les clients n’ont reçu aucune fourniture taxable (« transaction fantôme »); b) le demandeur avait connaissance du stratagème frauduleux auquel participaient les clients inscrits (c.-à-d. alléguant une collusion avec les fraudeurs).

Dans une décision de la Cour canadienne de l’impôt l’an dernier, l’ARC a rejeté les demandes de CTI d’un contribuable et la Couronne a fait valoir que le contribuable était complice de la fraude commise par certains de ses fournisseurs ou aurait dû en avoir connaissance.

Dans sa décision d’annuler la cotisation, la Cour canadienne de l’impôt a jugé que l’ARC avait commis une erreur lorsqu’elle n’a pas averti le demandeur de CTI que ses fournisseurs frauduleux ne percevaient pas la TPS/TVH. L’ARC aurait pu prendre des mesures pour annuler les numéros d’inscription à la TPS/TVH des entités frauduleuses. Ces numéros sont restés valides des années après la cotisation initiale, ce qui a permis au fraudeur de continuer à perpétrer la fraude auprès d’autres clients. En d’autres termes, l’ARC a ciblé une partie innocente en rejetant sa demande de CTI et a permis la répétition de la fraude.

Autres caractéristiques du MVI

Les fournisseurs inscrits seraient tenus d’indiquer sur leurs factures que les services de télécommunication déterminés seraient assujettis au MVI, ce qui obligerait les revendeurs inscrits à autocotiser la TPS/TVH en application de ce mécanisme. Vraisemblablement, les fournisseurs inscrits devraient vérifier le statut d’inscription à la TPS/TVH de ces clients sur le site Confirmation d’un numéro de compte de TPS/TVH de l’ARC et s’assurer que la totalité ou presque des services de télécommunication déterminés sont acquis par ces clients afin de les fournir.

Selon les règles actuelles de la collecte de la TPS/TVH, une personne qui la paie par erreur à un fournisseur a deux ans pour soit a) demander un remboursement à l’ARC, soit b) recevoir un remboursement de la TPS/TVH payée par erreur directement de son fournisseur. Une personne qui paie la TPS/TVH par erreur directement au receveur général du Canada dans le cadre du MVI peut en demander le remboursement à l’ARC dans un délai de deux ans.

Lorsque les revendeurs inscrits sont tenus de s’autocotiser la TPS/TVH en vertu du MVI et qu’ils paient la TPS/TVH par erreur à leurs fournisseurs, ils ne peuvent demander un remboursement de la TPS/TVH qu’à leurs fournisseurs directement. On peut donc demander s’il serait impossible au revendeur inscrit de demander des remboursements de TPS/TVH directement auprès de l’ARC. On peut également demander quel recours le revendeur inscrit aurait si ses fournisseurs refusaient de rembourser la TPS/TVH payée par erreur.

Habituellement, la demande de remboursement de la TPS/TVH est la soupape de sûreté qui permet à celui qui a payé une telle taxe par erreur d’obtenir un remboursement de l’ARC lorsque le fournisseur refuse de coopérer. Un tel remboursement n’est que juste, puisque le fournisseur aurait été tenu de déclarer la TPS/TVH perçue par erreur et d’en rendre compte avec sa taxe nette dans sa déclaration de TPS/TVH.

Un premier pas positif du gouvernement pour lutter contre la fraude en matière de TPS/TVH

Dans une soumission faite le 20 septembre 2024 à l’ARC, la section Taxe à la consommation, douanes et commerce de l’Association du Barreau canadien (la « Section de l’ABC ») a fait part de ses préoccupations concernant ces stratagèmes frauduleux liés à la TPS/TVH et a proposé diverses solutions pour prévenir ce genre d’activité et le détournement des taxes du gouvernement (généralement des fonds en fiducie réputée). L’une des solutions proposées était le MVI.

Le MVI pourrait être élargi à d’autres industries et activités à risque élevé (mis à part les chaînes de distribution à plusieurs niveaux de services de télécommunication déterminés, comme pour les agences de placement et les ventes de métaux précieux). La proposition du budget 2025 prévoit d’inclure « une nouvelle autorisation légale qui permettrait au gouvernement d’assujettir d’autres fournitures à un MVI par voie réglementaire ».

Le Canada a emboîté le pas à d’autres gouvernements en utilisant un MVI pour lutter contre la fraude en matière de TPS/TVA. Par exemple, le Royaume-Uni a mis en œuvre des MVI en 2007 pour les téléphones mobiles et les puces informatiques, puis en 2014 pour le gaz et l’électricité. L’Australie a mis en œuvre un MVI pour les ventes de métaux précieux entre parties assujetties à la TPS à compter du 1ᵉʳ avril 2017.

D’autres outils d’application de la loi pour lutter contre la fraude en matière de TPS/TVH proposés par la Section de l’ABC pourraient être mis en œuvre et ajoutés au MVI. Ainsi, l’ARC pourrait retirer l’inscription des fournisseurs inscrits qui ont frauduleusement détourné la TPS/TVH perçue et elle pourrait informer les contribuables d’éviter de transiger avec de tels fraudeurs. Elle pourrait imposer des exigences de facturation et de déclaration électroniques pour les transactions dans les industries à risque élevé, afin d’assurer une surveillance et une vérification en temps opportun de la conformité à la TPS/TVH.

Lorsque des contribuables ou des inscrits concluent des transactions déterminées ou des contrats d’approvisionnement avec des contreparties, l’ARC pourrait délivrer des attestations ou des certifications de conformité à la TPS/TVH afin de satisfaire à une condition préalable à l’exécution de la transaction. À titre de protection supplémentaire, certains inscrits « à risque élevé » pourraient être tenus de maintenir une garantie pour les dettes de TPS/TVH impayées ou non remises. La mise en œuvre de ces mesures supplémentaires renforcerait et améliorerait les efforts de prévention de la fraude liée à la TPS/TVH.

Bien que le gouvernement ait laissé ouverte la possibilité de prendre d’autres mesures pour prévenir la fraude en matière de TPS/TVH (envisageant spécifiquement d’étendre le MVI au-delà des services de télécommunication déterminés, comme prescrit par la réglementation), il a fait un premier pas important dans la lutte contre ce genre de fraude. De plus, dans le cadre du MVI, les parties commerciales légitimes ne seraient plus ciblées par l’ARC pour payer le détournement frauduleux de sommes d’argent en fiducie réputée de la TPS/TVH par des éléments criminels.

Sans le MVI, les fraudeurs pourraient s’établir à l’étranger et y déplacer leurs gains mal acquis (c.-à-d. la TPS/TVH perçue et retenue), hors de portée de l’ARC, tandis que les entreprises commerciales légitimes qui contribuent à l’économie canadienne pourraient continuer d’être dans la mire de l’ARC en matière d’application.

Consultations sur la proposition

Les parties prenantes et les autres parties intéressées auront l’occasion de contribuer à la « conception des nouvelles règles et (au) dépôt de la loi habilitante » en envoyant leurs observations par courriel au ministère des Finances à l’adresse consultationlegislation@fin.gc.ca au cours d’une période de consultation qui devrait se terminer le 12 janvier 2026.

À propos de l’auteur

Jamie M. Wilks est associé en fiscalité chez McMillan.

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