Des réserves de caisse considérées comme des éléments d’actif dans une entreprise exploitée activement

Michael H. Lubetsky
2025-06-18 11:15:49

Dans l’affaire Ehresman, la Cour canadienne de l’impôt (la « CCI ») a examiné en détail les situations dans lesquelles l’excédent de caisse et les placements d’une entreprise peuvent constituer des « éléments d’actif utilisés principalement dans une entreprise exploitée activement » (« éléments d’actif dans une entreprise exploitée activement ») aux fins de détermination du droit d’un actionnaire à l’exonération cumulative des gains en capital (l’« exonération ») prévue à l’article 110.6 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « LIR »).
Les contribuables dans cette affaire (M. et Mme Ehresman, ci après « les appelants ») étaient les actionnaires d’une entreprise qui possédait et exploitait des puits de pétrole. Selon eux, l’excédent de caisse visait à couvrir les futurs coûts de mise hors service et d’assainissement.
La CCI a rejeté leur argument, fournissant des orientations utiles sur la façon dont d’autres contribuables pourraient aider à assurer le traitement des éléments d’actif dans une entreprise exploitée activement pour la partie des bénéfices non répartis qui vise à couvrir les éventualités.
La jurisprudence oblige à ce qu’il y ait « un lien rationnel entre le risque raisonnablement déterminé et le montant des réserves (…) et ne permet pas qu’un nombre quasi illimité de biens soit mis en réserve sous prétexte qu’il existe un risque faible de responsabilité illimitée dans un avenir lointain ». Les contribuables doivent alors activement évaluer à l’avance la quantité de réserves raisonnablement nécessaire pour couvrir les risques, documenter ces décisions et divulguer les justifications et les montants dans les états financiers de l’entreprise.
Les faits
Dans le cadre de l’affaire Ehresman, les appelants sont un couple marié qui détenait la totalité des actions de C.C.M. Resources Ltd. (« C.C.M. »). C.C.M. exploitait deux branches d’activité distinctes : l’une possédait et exploitait des puits de pétrole en Saskatchewan et l’autre fournissait des services financiers, notamment la vente de fonds communs de placement et de polices d’assurance vie, ainsi que des services de planification financière et successorale. Les deux branches étaient prospères, ce qui a permis à l’entreprise d’accumuler des réserves de caisse.
Le couple a vendu les actions de C.C.M. en 2014. À l’époque, les éléments d’actif de l’entreprise s’élevaient à 4,1 millions de dollars. Si 50 % d’entre eux constituaient des éléments d’actif dans une entreprise exploitée activement, les gains provenant de la disposition des actions seraient admissibles à l’exonération.
L’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») a déterminé que 1,37 million de dollars des actifs de C.C.M. constituaient des éléments d’actif dans une entreprise exploitée activement, incluant ses puits de pétrole, le goodwill associé à sa branche de services financiers, son compte bancaire d’exploitation, ses comptes clients et d’autres éléments d’actif.
La question à l’étude consistait à déterminer si au moins 710 000 $ des réserves de caisse constituaient également des éléments d’actif dans une entreprise exploitée activement. En règle générale, ces derniers excluent les actifs utilisés dans le cadre d’une « entreprise de placement déterminée », c’est-à-dire une entreprise dont le principal objet consiste à tirer un revenu de biens (y compris des intérêts, dividendes, loyers et redevances).
Les appelants ont fait valoir que C.C.M. devait maintenir des réserves importantes pour couvrir les futurs coûts de mise hors service et d’assainissement de ses puits de pétrole, de sorte qu’au moins 710 000 $ des réserves de caisse devaient être considérés comme des éléments d’actif dans une entreprise exploitée activement.
La décision
Le juge Ezri, au nom de la CCI, a fait une revue de la jurisprudence pour déterminer si les placements de fonds liquides peuvent constituer ou non des éléments d’actif dans une entreprise exploitée activement. Il s’est notamment penché sur la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Ensite.
Celle-ci portait sur d’importantes réserves de caisse déposées dans des banques aux Philippines en tant qu’exigence légale d’obtention d’un permis d’exploitation d’une usine dans ce pays. Cette affaire a établi le critère pour déterminer si l’encaisse est utilisée dans une entreprise exploitée activement : le fait de ne plus avoir le bien « a-t-il un effet résolument déstabilisateur sur les activités de l’entreprise »?
C’est ce qui a été conclu dans l’affaire Ensite. La jurisprudence ultérieure a confirmé que les éventualités ne sont pas une justification suffisante pour considérer les fonds mis en réserve comme étant utilisés dans une entreprise exploitée activement. Il faut plutôt a) que ces éventualités ne soient pas lointaines et b) qu’il y ait un lien rationnel entre elles et le montant des réserves.
En appliquant ces principes, le juge Ezri a conclu qu’il n’existait aucune preuve démontrant que C.C.M. devait mettre en réserve près de 710 000 $ en 2014 pour couvrir les futurs coûts de mise hors service et d’assainissement. Il a ajouté que les appelants « ont simplement gagné de l’argent et conservé les bénéfices non répartis dans l’entreprise, réinvestissant le revenu tiré sans raison particulière ». Pour arriver à cette conclusion, le juge Ezri a mis en lumière les faits suivants :
- C.M. n’a comptabilisé aucun élément de passif au titre des coûts de mise hors service à quelque moment que ce soit durant les exercices précédant la vente de l’entreprise. En réponse à l’argument des appelants selon lequel les états financiers de C.C.M. ont été préparés exclusivement à des fins fiscales, la CCI a souligné ce qui suit :
Je ne peux tout simplement pas accepter qu’un comptable qui estime que son entreprise compte un élément de passif d’un million de dollars ne l’indique pas dans les états financiers ou au moins dans une note afférente. J’irais même jusqu’à dire que le défaut de le faire mine la crédibilité de l’appelant. Préparer des états financiers dépourvus de renseignements utiles en partant du principe que seule l’ARC les consultera ne joue pas vraiment en notre faveur quand on est amené à se présenter devant la Cour canadienne de l’impôt.
- Dans la liste d’éléments de passif que le comptable de C.C.M. a fournie à l’ARC, une provision de 100 000 $ seulement a été incluse pour la mise hors service.
- Il n’y a pas eu d’allocation des bénéfices non répartis entre les deux branches d’activité de l’entreprise, ce qui a empêché la CCI de déterminer si l’excédent de caisse était attribuable à la branche pétrolière ou non.
- C.M. ne disposait d’aucun plan écrit pour couvrir les coûts potentiels de mise hors service.
- Les appelants n’ont jamais informé l’ARC qu’ils avaient besoin d’importantes réserves de caisse pour assumer leur responsabilité en la matière. Au contraire, ils ont pris leur position « seulement après avoir réalisé qu’ils n’auraient pas droit à l’exonération des gains en capital ».
La CCI a critiqué les deux parties pour avoir omis de présenter une preuve d’expert indépendant concernant les coûts de mise hors service auxquels C.C.M. pourrait raisonnablement s’attendre, dénonçant que le peu d’éléments de preuve soutient « une fourchette de responsabilité allant de faible à infini, la plus faible étant la plus probable et la plus élevée, la moins probable ».
La CCI a conclu que la « possibilité théorique d’importants dépassements de coûts de mise hors service » ne suffisait pas pour justifier que les réserves de caisse soient considérées comme des éléments d’actif dans une entreprise exploitée activement. Elle a d’ailleurs fait remarquer que « tous les risques possibles ne peuvent pas justifier l’ajout de placements à une entreprise exploitée activement, car cela entraînerait beaucoup de dérapages ».
La CCI a conclu que seuls les montants indiqués dans les évaluations de mise hors service émises par le gouvernement de la Saskatchewan, soit un total de 52 000 $ que C.C.M. devait payer pour continuer à exploiter sa branche pétrolière, constituaient des éléments d’actif dans une entreprise exploitée activement.
Les appelants ont également avancé l’argument que l’excédent de caisse servait au financement de nouveaux placements. Le juge Ezri a soutenu que la jurisprudence a déjà établi qu’un tel objectif ne justifie pas la conversion de fonds en éléments d’actif dans une entreprise exploitée activement.
Les observations
L’affaire Ehresman fournit des orientations utiles aux propriétaires d’entreprise qui visent à préserver leur droit d’exonération en convertissant leurs réserves de caisse en éléments d’actif dans une entreprise exploitée activement. Essentiellement, il est probable que la CCI examinera avec scepticisme les justifications a posteriori concernant la constitution de réserves de caisse.
Elle s’attendra plutôt des contribuables qu’ils fassent des efforts raisonnables pour déterminer les risques et les éventualités qui nécessitent ces réserves, la probabilité qu’ils se concrétisent et les montants à mettre en réserve pour empêcher raisonnablement l’interruption des activités, le cas échéant. Ces justifications et montants doivent être documentés et consignés, y compris dans les états financiers de l’entreprise, même si les montants ne sont pas déductibles d’impôt.
À propos de l’auteur
Michael Lubetsky est à la tête de la pratique nationale de litige fiscal de McMillan.