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Frontières juridiques entre l’exploitation minière et l’IA

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Robert Piasentin, Cory Kent, Andjela Sabet Et Aki Kamoshida

2025-07-09 11:15:50

Quid des utilisations actuelles de l’IA dans le secteur de l’exploitation minière?


Robert Piasentin, Cory Kent, Andjela Sabet et Aki Kamoshida - source : McMillan


L’utilisation de l’intelligence artificielle (« IA ») ne cesse de prendre de l’ampleur dans différents secteurs et il est important de garder un œil sur cette tendance dans le secteur de l’exploitation minière. Dans un récent rapport (en anglais), Deloitte classe l’IA parmi les cinq principales tendances qui façonnent le secteur de l’exploitation minière et des métaux. Dans le présent bulletin, nous présentons un aperçu de la façon dont l’IA est actuellement utilisée dans le secteur minier et comment elle pourrait l’être à l’avenir. Nous abordons également les principales considérations juridiques qui pourraient découler de son déploiement dans l’industrie minière.

Utilisations actuelles de l’IA dans le secteur de l’exploitation minière

Nous présentons ci-après certains des principaux domaines dans lesquels des développements importants ont été enregistrés relativement à l’utilisation de l’IA dans le secteur de l’exploitation minière.

Exploration et analyses économiques

L’IA et les modèles d’apprentissage profond en particulier sont actuellement utilisés pour analyser et traiter les données géoscientifiques obtenues à la phase d’exploration des sites miniers, notamment les données géologiques, géophysiques, cartographiques et minéralogiques. Ces analyses basées sur l’IA aident à faire des prédictions complexes concernant la nature des gisements qui se trouvent dans les sites miniers. L’IA a également été utilisée pour combiner les résultats obtenus de l’analyse de ces données avec ceux des analyses de la faisabilité économique de l’extraction. L’IA peut également éclairer les décisions sur la conception efficace des sites miniers afin d’en optimiser le rendement.

L’accès public aux données géoscientifiques préconcurrentielles, qui comprennent notamment des données géologiques, géophysiques, géochimiques et autres, est crucial pour les analyses à l’aide de l’intelligence artificielle dans les études d’exploration et de faisabilité. L’initiative Géosciences et données pour les minéraux critiques (GDMC) du gouvernement du Canada finance actuellement plusieurs projets visant à améliorer l’accès aux données sur la localisation, la qualité et la viabilité économique des minéraux et ressources critiques. Ces efforts devraient améliorer l’accès aux données géoscientifiques et leur qualité, ce qui pourrait favoriser l’utilisation de l’IA dans l’exploration minière, la planification des sites et l’évaluation de la faisabilité économique.

Exploitation et sécurité

L’utilisation de l’IA est envisagée comme moyen d’améliorer la technologie d’évitement des collisions sur les sites miniers. Les systèmes d’évitement des collisions actuels sont équipés de capteurs qui ne signalent la présence des conducteurs d’engins que sur la base de la proximité, ce qui entraîne souvent de fausses alertes. L’intégration de systèmes d’IA peut permettre à ces systèmes de distinguer la proximité résultant des activités d’exploitation normales de la proximité dangereuse, et ainsi de déclencher des alarmes plus précises.

Certaines entreprises ont intégré l’IA dans la conception de camions de roulage autonomes, ce qui peut également réduire les risques d’erreur humaine et améliorer l’efficacité opérationnelle globale.

Outre l’évitement des collisions, des outils d’IA sont développés pour limiter l’exposition des travailleurs aux matières dangereuses et aux risques d’accident. Par exemple, des systèmes d’IA ont été connectés à des systèmes de capteurs pour surveiller de manière autonome les conditions atmosphériques afin de prévenir du mauvais temps.

Conformité environnementale

L’IA peut contribuer à la conformité environnementale en surveillant et en identifiant les incidents à un stade précoce. Par exemple, la vision par ordinateur, un sous-domaine de l’IA qui combine des systèmes de caméras et de capteurs avec un système autonome de surveillance par IA, peut permettre la détection en temps réel d’incidents environnementaux sur les sites miniers, ainsi que la surveillance générale des déchets. La vision par ordinateur peut également servir à surveiller les populations d’animaux sauvages et les paramètres de biodiversité dans les environs, contribuant ainsi à réduire les coûts associés aux exigences en matière de surveillance environnementale.

L’analyse assistée par l’IA peut également contribuer à optimiser l’utilisation des ressources en réduisant les déchets, en surveillant et en réduisant les émissions de gaz à effet de serre et en améliorant les systèmes de conservation de l’eau au stade du traitement des minerais.

En résumé, la capacité de l’IA à analyser rapidement et efficacement de grands ensembles de données, à optimiser l’efficacité et à minimiser les risques à différents stades du processus d’exploitation minière (exploration, extraction, traitement, logistique et remise en état) en fait un outil prometteur pour la réduction des coûts associés aux projets d’exploration et d’exploitation minière.

Éventuelles considérations juridiques

Le recours à l’IA dans le secteur minier nécessite la prise en compte des répercussions pertinentes sur le plan juridique dans divers domaines du droit, y compris le droit en matière de protection des données, le droit de la technologie et le droit minier. L’élargissement du champ d’application de l’IA a également donné lieu à des changements réglementaires pour répondre à certains risques inhérents à cette technologie, dont les préjugés, le manque de transparence et de responsabilité et les résultats trompeurs ou « hallucinants », et d’autres changements de ce genre sont anticipé.

Considérations relatives à la protection des données, de la confidentialité et des renseignements personnels

Les opérations minières comportent souvent des échanges de renseignements confidentiels. Si de tels renseignements ou données confidentiels doivent être traités au moyen d’outils d’IA, les parties doivent adopter des dispositions rigoureuses en matière de confidentialité et effectuer les vérifications nécessaires en matière de cybersécurité afin de garantir le traitement sécuritaire des renseignements sensibles et d’établir à qui les responsabilités incombent en cas d’atteinte à la sécurité des données. Les atteintes à la sécurité des données peuvent avoir des répercussions financières importantes, surtout si elles touchent les infrastructures essentielles des grands projets.

De plus, si les données recueillies ou traitées comprennent des renseignements personnels (par exemple, des images ou des emplacements géographiques d’employés), une atteinte à la sécurité des données peut entraîner des responsabilités et des exigences de déclaration supplémentaires en vertu de lois provinciales ou fédérales sur la protection des renseignements personnels.

Par ailleurs, les systèmes d’IA peuvent générer de nouvelles données à partir des données recueillies ou autrement entrées. La propriété de ces données peut poser d’importants problèmes entre les différentes parties si la question n’est pas abordée dès le départ. C’est pourquoi, lors du déploiement de ces outils, il est essentiel que les parties précisent qui retiendra la propriété ou les droits d’utilisation de ces données génératives.

Responsabilité en matière de sécurité, de qualité et d’exactitude

Malgré son caractère pratique, la prise de décisions autonome n’est pas à l’abri des erreurs. En particulier, de graves problèmes peuvent survenir quant à l’attribution de la responsabilité si une erreur commise par un outil d’IA venait causer un préjudice aux personnes, au matériel ou à l’environnement. Par conséquent, les fabricants, les distributeurs et les entités qui utilisent l’IA pour fournir des services dans le secteur minier ont intérêt à inclure des clauses d’exonération de responsabilité bien claires dans leurs contrats afin d’atténuer le risque que leur responsabilité soit engagée dans ces cas.

À titre de mesure d’atténuation des risques liés aux décisions automatisées entraînant de graves conséquences, les parties peuvent convenir par contrat de recourir à un modèle « avec intervention humaine », dans lequel ces décisions automatisées se prennent sous supervision humaine.

Même dans les situations qui ne présentent aucun risque pour la sécurité des personnes et de l’environnement, les vendeurs et fournisseurs d’outils d’IA ont intérêt à inclure des clauses d’exclusion de responsabilité à l’égard des déclarations et des garanties concernant la qualité et l’exactitude des résultats de ces outils et à veiller à ce que toutes les parties comprennent que les outils d’IA peuvent ne pas toujours produire des résultats cohérents. Les sociétés minières, quant à elles, devraient prévoir des dispositions qui leur offrent des garanties et des recours assez solides à l’égard des vendeurs et fournisseurs d’outils d’IA en cas de dommages découlant de l’utilisation d’un outil d’IA.

Législation sur l’IA et Code de conduite volontaire

Au moment de la publication du présent bulletin, il n’existe aucune loi au Canada qui réglemente expressément l’utilisation de l’IA. Toutefois, avant les élections fédérales de 2025, le gouvernement fédéral avait présenté la Loi sur l’intelligence artificielle et les données (LIAD) comme un instrument législatif possible pour traiter des risques associés à l’utilisation de l’IA, en imposant notamment des mesures d’atténuation des risques pour les « systèmes à incidence élevée ».

En particulier, le gouvernement a publié le document intitulé La Loi sur l’intelligence artificielle et les données (LIAD) – document complémentaire, qui donne un aperçu des exigences réglementaires qui pourraient être abordées dans la législation, telles que i) la supervision humaine et la surveillance, ii) la transparence, iii) la justice et l’équité, iv) la sécurité, v) la responsabilité et vi) la validité et la robustesse. Ces exigences reflètent le Code de conduite volontaire visant un développement et une gestion responsables des systèmes d’IA générative avancés (le « Code de conduite volontaire ») publié par Innovation, Sciences et Développement économique Canada en septembre 2023.

La LIAD fait partie des nombreuses mesures législatives qui sont mortes au Feuilleton à la suite de la prorogation du Parlement en janvier, après la démission de l’ancien premier ministre Justin Trudeau. Étant donné que le Parti libéral fédéral a été réélu à la tête du gouvernement du Canada, il y a lieu de croire que la LIAD ou une mesure semblable en ce qui concerne la législation et la réglementation sur l’IA au Canada pourrait refaire surface.

Le Code de conduite volontaire demeure le seul ensemble de règles traitant spécifiquement des questions découlant de l’IA, bien que l’adhésion à ce code, comme son nom l’indique, soit volontaire et ne prévoit pas de réelles conséquences en cas de non-conformité. Au moment de la publication du présent bulletin en juin 2025, le Code de conduite volontaire compte 46 signataires, qui se sont engagé à satisfaire aux exigences de la liste ci-dessus das le développement de systèmes d’IA. Les développeurs d’outils de l’IA dans le secteur minier gagneraient à souscrire au Code de conduite volontaire pour démontrer leur engagement à développer des systèmes d’IA responsables.

Obligations d’information des sociétés ouvertes du secteur minier

Le 5 décembre 2024, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ont publié l’Avis 11-348 du personnel des ACVM et de consultation : Applicabilité du droit canadien des valeurs mobilières à l’utilisation des systèmes d’intelligence artificielle dans les marchés des capitaux (l’« Avis du personnel des ACVM »). Entre autres orientations liées à l’interaction entre l’IA et les marchés financiers, l’Avis du personnel des ACVM indique que les émetteurs publics qui utilisent ou entendent utiliser l’IA dans le cadre de leurs activités doivent respecter leurs obligations d’information continue en aidant les investisseurs à comprendre facilement l’utilisation de l’IA et les risques connexes, notamment en ce qui concerne les éléments suivants :

  • la définition que l’émetteur donne à l’« intelligence artificielle» et la précision quant à savoir si l’IA est utilisée dans une mesure importante ou devrait l’être, y compris si le système est développé à l’interne ou fourni par un tiers;
  • la divulgation des risques importants que pose l’utilisation actuelle ou projetée de l’IA pour l’émetteur, ainsi que les mesures visant à les atténuer;
  • l’effet que l’utilisation actuelle ou projetée de l’IA est susceptible d’entraîner sur les activités, les résultats d’exploitation et la situation financière de l’émetteur;
  • les hypothèses ou les facteurs importants utilisés dans l’établissement de l’information prospective concernant l’utilisation envisagée ou future de l’IA, ainsi que les mises à jour de l’information prospective communiquée antérieurement.

Les sociétés ouvertes du secteur minier qui souhaitent utiliser ou développer des systèmes d’IA dans le cadre de leurs activités doivent garder à l’esprit ces exigences uniques d’information continue. Il serait également prudent pour eux d’évaluer de manière proactive si des systèmes d’IA tiers intégrés dans leurs activités d’exploitation présentent des risques ou des dépendances qui doivent être divulgués, en particulier lorsque ces systèmes ont une incidence sur des fonctions clés comme l’estimation des ressources, la surveillance environnementale ou la prise de décisions opérationnelles.

Obligations d’information concernant les projets miniers

En plus de ce qui précède, les sociétés ouvertes qui exercent des activités d’exploration et de développement de mines sont tenues de respecter les obligations d’information prévues par le Règlement 43-101 sur l’information concernant les projets miniers et l’Annexe 43-101A1, Rapport technique.

Au moment de la publication du présent bulletin, les autorités canadiennes en valeurs mobilières ne se sont pas encore prononcées officiellement sur l’incidence que pourrait avoir l’utilisation de l’IA dans le secteur minier sur ces obligations d’information. Toutefois, à mesure que l’utilisation de l’IA dans le secteur minier continue de prendre de l’ampleur, il est probable que d’autres indications seront données, en particulier en ce qui concerne le Rapport technique, sur la façon dont l’utilisation de l’IA peut influer sur les obligations d’information propres au secteur minier.

Entre-temps, les sociétés ouvertes du secteur devraient se poser la question de savoir si l’utilisation de l’IA aux fins de modélisation des ressources, d’interprétation des données ou à d’autres fins importantes d’évaluation de projets ne nécessiterait pas une divulgation volontaire pour assurer la transparence et maintenir la confiance des investisseurs.

Conclusion

À mesure que l’utilisation et la prévalence de l’IA continuent de croître, la réglementation sur l’emploi d’outils d’IA continuera probablement de se répandre et deviendra de plus en plus prescriptive. Compte tenu de la nature hautement réglementée du secteur minier et de la façon dont les outils d’IA propres à ce secteur continueront de se développer et de se répandre, il deviendra important pour les sociétés minières et les vendeurs et fournisseurs de l’industrie minière de rester au fait des évolutions juridiques pour assurer une conformité complète.

À propos des auteurs

Robert Piasentin occupe les fonctions de cochef du groupe Technologies et transactions dans le secteur des technologies, de chef du groupe Droit des technologies et de chef d’Ascent chez McMillan.

Cory Kent axe sa pratique sur le droit des sociétés et des valeurs mobilières chez McMillan, particulièrement dans les secteurs des ressources naturelles, du cannabis et des technologies.

Andjela Sabet est une avocate spécialisée dans les marchés de capitaux chez McMillan.

Aki Kamoshida fait partie du groupe propriété intellectuelle chez McMillan.

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