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La vraie menace provient-elle du projet de loi 32 ?

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Collectif

2022-05-06 11:15:00

Les signataires estiment que le projet de loi 32 menace la liberté académique, celui-ci étant susceptible de brimer l’autonomie des universités et des enseignants…
Martine Delvaux, Francis Dupuis-Déri, Jean-Sébastien Fallu, Catherine Flynn, Sarah Ghabrial, Catherine Larochelle. Sources: Babelio, professeurs.uqam.ca, recherche.umontreal.ca, uqac.ca, explore.concordia.ca/
Martine Delvaux, Francis Dupuis-Déri, Jean-Sébastien Fallu, Catherine Flynn, Sarah Ghabrial, Catherine Larochelle. Sources: Babelio, professeurs.uqam.ca, recherche.umontreal.ca, uqac.ca, explore.concordia.ca/
Le 6 avril dernier, le gouvernement québécois déposait un projet qui, prétendant protéger la liberté d’enseignement, accomplira en fait tout le contraire. L’adoption de la loi 32 dans sa forme actuelle permettra au gouvernement de la CAQ (et ceux à venir) d’altérer radicalement la relation entre le milieu de l’éducation et le gouvernement provincial.

Si elle est adoptée, la loi 32 privera les universités et les enseignants de leur autonomie non seulement quant à la matière enseignée, mais également par rapport à la manière de l’enseigner, conférant ainsi au ministère de l’Enseignement supérieur le pouvoir inédit d’intervenir dans la gestion de nos classes. Nous nous interrogeons : cette loi vise-t-elle à protéger la liberté académique, ou signale-t-elle plutôt l’apparition d’une nouvelle bureaucratie permettant à l’État de surveiller ce qui se passe en classe ?

L’un des fondements les plus élémentaires et universellement acceptés de la notion de liberté académique est l’autonomie face au contrôle de l’État. Le projet de loi proposé reconnaît ce fait, mais contient néanmoins une lourde menace le concernant dans l’article 6, qui donne au ministre responsable de l’Enseignement supérieur le droit d’« ordonner à un établissement d’enseignement de prévoir dans sa politique tout élément qu’il indique » ainsi que le pouvoir de « faire apporter les correctifs nécessaires » à une institution jugée non conforme.

Cette clause accorderait ainsi un pouvoir massif et sans précédent au ministre, le laissant libre d’altérer des politiques universitaires ciblées, bafouant ainsi une valeur fondamentale de la liberté académique : être libre de toute interférence politique dans la recherche et l’enseignement.

En vertu des articles 4 et 5 du projet de loi, les universités seraient tenues de créer des politiques devant être envoyées au gouvernement – probablement pour obtenir l’approbation du ministre – ainsi que de créer des conseils et nommer des administrateurs afin « d’examiner les plaintes portant sur une atteinte au droit à la liberté académique universitaire ». Encore plus troublant, le projet de loi exige que les universités adoptent des pénalités pour ces atteintes. Puisque la raison d’être de la liberté académique est de protéger les professeurs contre la censure visant une activité intellectuelle qui critique le gouvernement ou remet en question des savoirs conventionnels, l’introduction d’une approche punitive de la « protection de la liberté académique universitaire » est elle-même une violation de cette liberté.

Si la liberté académique est déjà un élément constitutif de l’éducation supérieure, pourquoi le gouvernement propose-t-il ce projet ?

Le gouvernement affirme que cette loi constitue une réponse au sondage mené en 2021 sur la liberté académique. En tant que chercheuses et chercheurs, nous demandons : quelle est la valeur scientifique des revendications découlant de ces résultats ? Sur les 33 000 membres du secteur postsecondaire ayant reçu le sondage, seulement 1079 ont répondu – cela représente environ 3 % du nombre total de professeurs dans la province⁠1. La taille de l’échantillon à elle seule pose la question du poids statistique du sondage. De plus, le faible taux de réponse s’explique possiblement par le manque d’éthique et l’ambiguïté qui se dégagent des questions formulées dans le sondage, et indique la possibilité que seules les personnes ayant de fortes opinions sur la question aient choisi d’y répondre. En se basant sur ces résultats pour proposer le projet de loi 32, le gouvernement souffre de ce que l’on nomme en recherche un biais de confirmation, qui se traduit par l’usage de données confirmant des opinions préconçues au lieu de tenter d’obtenir des résultats dressant un portrait fidèle de ce qui se passe dans la province.

Puisque le sondage du gouvernement ne répondait pas à des cas réels de censure académique au Québec, mais plutôt au débat public concernant des évènements survenus à l’Université d’Ottawa, nous ne trouvons aucune preuve tangible que la liberté académique soit réellement menacée dans la province.

Le projet de loi contient une seule interdiction formelle ; il est stipulé qu’il est interdit d’obliger les avertissements lorsque du contenu ou un langage potentiellement offensant est utilisé en classe ou dans des activités universitaires. Nous reconnaissons qu’une obligation à faire usage d’avertissements de contenu constituerait une atteinte à l’autonomie que la liberté académique protège. Ceci dit, il n’y a tout simplement aucune preuve que les universités québécoises considèrent imposer une telle pratique. La décision concernant la nécessité, la manière et le moment de permettre aux étudiants de se préparer émotionnellement à du contenu potentiellement déshumanisant ou violent est déjà protégée par la liberté académique. Chaque professeur est, et doit demeurer, libre de déterminer si ou quand de tels avertissements peuvent être appropriés – souvent en consultation avec les étudiants.

En ciblant particulièrement la pratique des avertissements de contenu, ce projet de loi semble toutefois montrer que le gouvernement désapprouve cette pratique, laissant présager d’inquiétantes conséquences potentielles.

Nous percevons ainsi une seule motivation probable derrière ce projet de loi : accorder au gouvernement un pouvoir accru d’intervention dans le fonctionnement des universités, et autoriser les étudiants et le personnel enseignant à se punir mutuellement sous prétexte qu’ils ouvrent la discussion et le débat à des enjeux politiquement controversés. La liberté académique nous protège de la censure, et ce projet de loi introduit de nouveaux mécanismes beaucoup plus dangereux que ce qui existe actuellement. Nous ne pouvons que demander : la vraie menace à la liberté académique provient-elle en fait du projet de loi 32 ?

À propos des auteur.es
Martine Delvaux, professeure titulaire, UQAM ;
Francis Dupuis-Déri, professeur permanent à l’Université du Québec à Montréal/Tiohtià : ke (UQAM) ;
Jean-Sébastien Fallu, professeur agrégé à l’Université de Montréal ;
Catherine Flynn, professeure agrégée à l’Université du Québec à Chicoutimi ;
Sarah Ghabrial, professeure adjointe à l’Université Concordia ;
Catherine Larochelle, professeure adjointe, Université de Montréal ;
Robert Leckey, professeur, Faculté de droit, Université McGill ;
Geneviève Renard Painter, professeure adjointe à l’Université Concordia ;
Judith Sribnai, professeure adjointe à l’Université de Montréal


Consultez la liste complète des signataires. Ce texte est d’abord paru à La Presse.

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1 commentaire
  1. Anonyme
    Anonyme
    il y a 2 ans
    Cette brochette de gauchistes est un signe que le projet de loi vise juste !
    Cette brochette de gauchistes serait-elle prête à une consultation "populaire" (et honnête) au sein de la population universitaire ?

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