Peut-on faire annuler un testament ?
Stéphanie Tremblay
2021-11-11 11:15:00
Ce n’est pas dans tous les cas que le défunt laisse un testament au moment de son décès. Lorsqu’aucun testament ne peut être trouvé, la loi détermine la façon dont les avoirs du défunt seront partagés. Il est toutefois assez fréquent que le défunt laisse un testament qui reproduit ses volontés quant à la dévolution de ses avoirs.
Dans ce dernier cas, il arrive que les proches du défunt remettent en cause le testament signé par ce dernier. Ils peuvent se questionner, entre autres, quant à l’état mental dans lequel le testateur se trouvait lorsqu’il a signé le testament ou quant au fait que les dispositions du testament ne ressemblent pas du tout à ce que le défunt aurait prévu par lui-même. C’est alors qu’ils se demandent s’il serait possible de faire annuler ledit testament du défunt.
La liberté de tester est un principe bien connu en droit québécois depuis 1774 et ce principe est respecté et appliqué par les tribunaux. En effet, le droit québécois reconnaît le droit au testateur de décider entièrement de la dévolution de ses biens, c’est-à-dire, de la manière dont il souhaite le faire ainsi que du choix de ses héritiers, quels qu’ils soient. Ainsi, ce n’est que dans certains cas spécifiques que les tribunaux accepteront d’intervenir et d’invalider le testament d’un défunt.
Dans cet article, nous expliquerons brièvement quels sont les deux principaux motifs retenus par les tribunaux afin de prononcer la nullité d’un testament.
Les motifs d’annulation d’un testament
Incapacité
Un testament peut être annulé lorsqu’il est possible de conclure à l’incapacité du testateur au moment de la signature du testament.
Il est important de comprendre qu’au Québec, toute personne est présumée être saine d’esprit. Il appartiendra donc à la personne qui demande la nullité d’un testament d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que le testateur n’avait pas la capacité nécessaire pour tester au moment de signer le testament (1).
Afin de déterminer si un testateur avait la capacité de tester, le tribunal prendra notamment en considération les facteurs suivants :
#S’il connait, sans qu’on l’aide, la nature et l’étendue des biens dont il veut disposer;
#S’il connait et comprend la nature et les conséquences de l’acte qu’il s’apprête à effectuer;
#S’il connait (se souvient) du nom et de l’identité des personnes destinataires de son don;
#S’il connait la nature de la relation qu’il a avec eux;
#S’il comprend et se souvient de tous ces faits;
#S’il est capable de comprendre les relations de tous ces facteurs entre eux;
#S’il a la capacité de se souvenir de la décision qu’il a prise (2).
En résumé, le testateur devait comprendre l’étendue de son patrimoine et se souvenir à qui il a légué quels biens. Il devait également avoir compris l’ampleur de ce que représentaient les legs.
Dans le cadre d’un litige sur la validité d’un testament pour cause d’incapacité à tester, il est fréquent d’obtenir et d’examiner les dossiers médicaux du testateur relativement à la période ayant entouré la signature du testament.
Les parties pourront également choisir d’avoir recours à une expertise médicale pour déterminer la capacité à tester du testateur au moment de la signature du testament, et ce, si les faits au dossier s’y prêtent.
En conclusion, il est important de noter que la nullité d’un testament ne sera pas automatiquement prononcée en présence de pertes de mémoire momentanées. Il y aura lieu d’analyser les critères ci-haut mentionnés afin de déterminer si ultimement, le testateur était en mesure de comprendre ce qu’il faisait au moment de signer son testament.
Captation
Le second cas, dans lequel le tribunal peut annuler un testament, est lorsqu’il y a présence de captation au moment où le testateur signe son testament.
À titre d’exemple, le testateur aurait pu être influencé, dans le cadre de la signature de son testament, par l’un de ses enfants, un frère ou une sœur, un nouveau conjoint, etc.
Pour que le tribunal puisse conclure qu’il s’agit d’un cas de captation, il faut pouvoir démontrer qu’une tierce personne a usée de manœuvres dolosives ou frauduleuses qui ont été déterminantes dans la façon dont le testateur a testé (3).
Le tribunal pourrait conclure qu’il y avait présence de manœuvres dolosives ou frauduleuses lorsque les gestes posés par la tierce partie s’accompagnaient, à titre d’exemple, de l’interception de correspondance ou du fait d’empêcher la personne de recevoir des visites, ou encore du dénigrement systématique à l’adresse des proches du défunt (4).
La personne qui allègue la captation comme motifs d’annulation d’un testament a le fardeau de prouver que le consentement du testateur a été vicié par l’influence de la tierce partie accusée et que les manœuvres dolosives ou frauduleuses de cette dernière ont provoqué la décision du testateur.
Cette preuve doit être démontrée selon le principe de la prépondérance des probabilités, ce qui veut dire que de simples soupçons, hypothèses ou ouï-dire seront insuffisants pour prouver qu’il y a eu captation.
Les effets de l’annulation d’un testament
Si le tribunal prononce l’annulation d’un testament, alors ce testament ne trouvera plus application. Il y aura donc lieu de liquider la succession en conformité avec les dispositions du testament précédent signé par le défunt, le cas échéant. Dans la mesure où le testament frappé de nullité était le seul testament signé par le défunt, la succession sera liquidée en conformité avec la loi.
Conclusion
Il y a donc deux motifs principaux retenus par les tribunaux québécois pour prononcer la nullité d’un testament, à savoir l’incapacité pour cause d’inaptitude et la captation.
Il est important de retenir qu’à la base, le fardeau de preuve revient à la partie qui demande l’annulation d’un testament.
Certains pensent parfois être en présence d’un cas flagrant justifiant l’annulation d’un testament, mais la preuve ne mène pas toujours à cette conclusion de façon si évidente.
Avant d’investir énergie, temps et argent dans les procédures judiciaires en annulation de testament, nous vous recommandons de consulter un conseiller juridique qualifié en la matière afin d’évaluer la preuve qui sera soumise au tribunal et les chances de succès d’un tel recours.
Stéphanie Tremblay est associée chez Miller Thomson. Elle pratique dans les domaines du droit familial, des droits de la personne et des successions. Ce texte est d’abord paru sur le site internet du cabinet.
(1) Bourke c. Serres, 2020 QCCA 840; Brusenbauch c. Young, 2019 QCCA 914;
(2) Succession de Lemasson, 2020 QCCS 233; St-Pierre c. St-Pierre, 2018 QCCS 3892;
(3) Succession de Charrette, 2017 QCCS 1381
(4) Jacques BEAULNE mis à jour par Christine MORIN, Droit des successions, 5e éd. 2016, Montréal, Wilson & Lafleur, pp. 245-246.