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Qu’est-ce qu’un « appel public légal à l’épargne » à des fins fiscales?

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Michael H. Lubetsky Et Michael Friedman

2025-08-08 11:15:31

Focus sur un arrêt de la Cour d’appel fédéral en matière de droit fiscal…

Michael H. Lubetsky et Michael Friedman - source : McMillan


Dans son arrêt tant attendu dans l’affaire Grenon (RRSP), la Cour d’appel fédérale (la « CAF ») a examiné la signification de l’expression « un appel public légal à l’épargne » dans le libellé de la division 4801a)(i)(A) du Règlement de l’impôt sur le revenu (le « Règlement »). Il s’agit de l’un des critères devant généralement être satisfaits pour qu’une fiducie d’investissement à participation unitaire soit considérée comme une « fiducie de fonds commun de placement » aux fins de la Loi de l’impôt sur le revenu du Canada.

La CAF a estimé que ce libellé se réfère exclusivement au respect strict et intégral des lois sur les valeurs mobilières applicables et de la notice d’offre du fonds, et ne tient pas compte du fait qu’un fonds doit compter au moins 150 souscripteurs en application de l’alinéa 4801b). À la lumière de cet arrêt, les promoteurs de régimes enregistrés et de fonds communs de placement doivent garder à l’esprit que le fait de ne pas se conformer strictement aux lois sur les valeurs mobilières applicables lors du placement d’un fonds, ainsi qu’à toute exigence énoncée dans une notice d’offre, peut priver une fiducie du statut de « fiducie de fonds commun de placement » et entraîner de graves conséquences fiscales.

Parmi plusieurs autres questions examinées dans l’affaire Grenon (RRSP), la juge Monaghan a étudié si l’émission d’un « avis de cotisation de fiducie » en réponse à une déclaration T3GR fait démarrer ou non la « période normale de nouvelle cotisation » à l’égard de tout impôt de la partie I appartenant à un REER individuel figurant dans la déclaration. La CAF a répondu par la négative, estimant que les fiducies régies par un REER doivent habituellement produire leur propre déclaration d’impôt T3 générale pour que cette période commence.

Division 4801a)(i)(A) du Règlement

L’affaire Grenon (RRSP) mettait en cause le REER de l’homme d’affaires albertain James T. Grenon, qui compte une longue série de différends avec l’Agence du revenu du Canada (ARC). De multiples décisions l’impliquant ont été publiées au cours des 15 dernières années, dont cinq de la CAF et une de la Cour d’appel de l’Alberta, et au moins trois demandes ont été déposées auprès de la Cour suprême du Canada.

Entre 2004 et 2009, le REER de M. Grenon a investi massivement, en se fondant sur les règles de placement avec dispense de l’Alberta et de la Colombie-Britannique, dans six petits fonds de revenu que ce dernier a établi. Les fonds ont ensuite investi, par l’intermédiaire d’autres entités, dans diverses entreprises actives et différents investissements contrôlés par M. Grenon. La question était de savoir si les six fonds de revenu constituaient ou non des « fiducies de fonds commun de placement », ce qui en ferait, à leur tour, des « placements admissibles » pouvant être détenus dans un REER. L’ARC alléguait que les fonds n’étaient pas admissibles à titre de « fiducies de fonds commun de placement » et qu’ils ne constituaient donc pas des « placements admissibles », ce qui a entraîné d’importantes conséquences fiscales pour le REER et M. Grenon.

Dans son jugement rendu il y a plus de quatre ans, la Cour canadienne de l’impôt (la « Cour de l’impôt ») a estimé que les fonds de revenu n’étaient pas considérés comme des « fiducies de fonds commun de placement », puisqu’un appel public légal à l’épargne de leurs unités n’avait pas été effectué conformément à la division 4801a)(i)(A) du Règlement. La Cour de l’impôt en est arrivée à cette conclusion plus particulièrement parce qu’un grand nombre de souscripteurs étaient des mineurs ou des personnes ne souscrivant pas pour leur compte, de sorte que le nombre de souscripteurs réels était inférieur au seuil minimum de 150 prescrit par l’alinéa 4801b).

La CAF a estimé que la Cour de l’impôt avait commis une erreur dans son interprétation de la division, même si elle était d’accord avec ses conclusions. À la suite d’une analyse détaillée de la division, la CAF a conclu ce qui suit :

L’exigence d’un « appel public légal à l’épargne » de la division 4801a)(i)(A) est distincte de celle de l’alinéa 4801b) indiquant qu’un fonds commun de placement doit compter au moins 150 détenteurs d’unités qui détiennent chacun pas moins d’une tranche d’unités. Par conséquent, une fiducie d’investissement à participation unitaire peut potentiellement être considérée comme un fonds commun de placement si, par exemple, elle effectue un appel public légal à l’épargne auprès de 100 souscripteurs, puis obtient 50 détenteurs d’unités admissibles supplémentaires au moyen d’un deuxième appel à l’épargne ou du transfert d’une partie des unités à d’autres détenteurs. À cet égard, la CAF a renversé la décision de la Cour de l’impôt, qui estimait qu’un « appel public légal à l’épargne » au sens de la division 4801a)(i)(A) doit donner lieu à au moins 150 détenteurs d’unités admissibles.

D’autre part, l’expression « appel à l’épargne » désigne l’ensemble du processus par lequel les unités sont proposées collectivement à plusieurs investisseurs dans le cadre d’une seule offre. Par conséquent, pour satisfaire à l’exigence d’un « appel public légal à l’épargne », il ne suffit pas qu’au moins une personne entre licitement en possession d’unités.

Pour qu’un « appel public à l’épargne » soit « légal », il doit être conforme au régime réglementaire provincial pertinent, plus particulièrement aux règles prévoyant des dispenses des obligations relatives aux prospectus, ainsi que respecter les modalités essentielles de toute notice d’offre. Bien que la CAF ait admis que « tout écart par rapport aux obligations relatives aux prospectus ou aux dispenses de prospectus, ou par rapport aux modalités du prospectus ou de la [notice d’offre], ne permet pas nécessairement de conclure que l’appel à l’épargne est illégal », ce dernier doit néanmoins « être strictement conforme aux lois provinciales sur les valeurs mobilières ».

En appliquant ces principes, la CAF a confirmé les conclusions de la Cour de l’impôt : les notices d’offre des fonds en cause dans l’affaire Grenon (RRSP) exigeaient qu’au moins 160 investisseurs acquièrent des unités de chaque fonds et les souscriptions prétendument effectuées par des mineurs et des personnes ne souscrivant pas pour leur compte ne pouvaient pas être incluses dans ce nombre.

Ces souscripteurs exclus, le nombre total était bien inférieur à 160, de sorte qu’une modalité essentielle de chaque notice d’offre n’était pas respectée. L’appel à l’épargne pour les unités de chaque fonds s’avérait donc illégal. La CAF a suggéré que le « caractère illicite » aurait pu être corrigé si les notices d’offre avaient été modifiées, ce qui n’a pas été le cas. Il est toutefois dommage que la CAF n’ait pas précisé la distinction entre un « écart » et une « non-conformité ». En l’absence de telles orientations, les promoteurs et les gestionnaires de fonds doivent éviter tout écart et s’efforcer le plus possible d’assurer une conformité totale aux documents d’offre et aux lois provinciales applicables sur les valeurs mobilières.

Prescription par la loi

La CIBC était le fiduciaire du REER de M. Grenon. Conformément à la politique de l’ARC et aux lignes directrices qu’elle a publiées, la CIBC a produit une seule déclaration de renseignements (formulaire T3GR) pour tous les REER dont elle était fiduciaire conformément au même modèle de régime. Les déclarations T3GR qui comprenaient le REER de M. Grenon englobaient entre 241 000 et 365 000 régimes entre 2004 et 2009, dont près de 200 contenaient des placements non admissibles. L’ARC a émis un « avis de cotisation de fiducie » à la CIBC qui établit la cotisation sur la base de l’impôt de la partie XI.1 (abrogé en 2011) pour l’ensemble des placements non admissibles déclarés.

La CIBC a également produit des déclarations de revenus T3 pour chaque REER qui contenait des placements non admissibles, et l’ARC a établi toutes les cotisations exigibles en conséquence. Toutefois, la CIBC a déterminé que puisque le REER de M. Grenon ne contenait pas de placements non admissibles, aucune déclaration T3 n’était requise. Par conséquent, aucun formulaire T3 n’a été soumis.

L’ARC a établi les cotisations du REER de M. Grenon pour l’impôt de la partie I et de la partie XI.1 à l’égard de ses placements non admissibles. Celles-ci ont été contestées au motif qu’elles avaient été établies plus de trois ans après l’émission de l’« avis de cotisation de fiducie » applicable et qu’elles étaient donc prescrites. La CAF a jugé, sur le fond, que le REER n’était pas du tout responsable de l’impôt de la partie XI.1. Par conséquent, elle a limité son analyse de la prescription aux cotisations de la partie I. Elle a conclu que l’« avis de cotisation de fiducie » n’entraînait pas la prescription de l’impôt de la partie I étant donné que la déclaration T3GR ne visait pas ces cotisations.

La CAF a également constaté que le formulaire indiquait expressément qu’une déclaration T3 devait être produite pour les REER ayant un revenu imposable. Elle a conclu qu’« une déclaration du revenu imposable au titre de la partie I devait être produite pour le REER de M. Grenon. En manquant à cette obligation, l’émetteur du régime acceptait le risque que le ministre n’émette aucune cotisation de la partie I pour entamer la période normale de nouvelle cotisation ».

Compte tenu de cette décision, il est plus prudent pour les fiduciaires, les promoteurs et les rentiers de REER de produire chaque année des déclarations de revenus essentiellement nulles afin de déclencher la « période normale de cotisation » et d’obtenir ainsi l’avantage du caractère définitif.

Opinions incidentes

Enfin, le long arrêt de la CAF contient un certain nombre de commentaires spontanés qui pourraient susciter d’autres débats ou litiges :

Le jugement de la Cour de l’impôt comprenait une longue analyse d’une question en particulier : si les six fonds de revenu avaient été considérés comme des « fiducies de fonds communs de placement », la disposition générale anti-évitement (la « DGAE») aurait-elle été applicable? Le cas échéant, quel recours aurait été raisonnable? La CAF a grandement insisté sur le fait qu’elle n’exprimait aucune opinion quant à son accord ou à son désaccord avec cette analyse, ce qui ne nous permet pas de déterminer sa valeur de précédent.

La CAF s’est demandé si une notice d’offre devant être déposée auprès des organismes de réglementation des valeurs mobilières constituait un « document semblable » à un prospectus, de sorte que le sous-alinéa 4801a)(ii) du Règlement, qui s’applique si une catégorie d’unités peut « faire l’objet d’un appel public à l’épargne », aurait pu s’appliquer à la place du sous-alinéa 4801a)(i).

La CAF s’est montrée sceptique à l’égard d’une suggestion de la Cour de l’impôt selon laquelle un appel à l’épargne effectué sur la base de la « dispense pour les parents, les amis et les partenaires » pourrait constituer un « appel public à l’épargne ».

Compte tenu, entre autres, des sommes considérables en jeu, une demande d’autorisation d’appel auprès de la Cour suprême du Canada pourrait bien être la prochaine étape. Il est donc possible que l’arrêt de la CAF ne soit pas la décision qui tranche cette question de droit.

À propos des auteurs

Michael H. Lubetsky est à la tête de la pratique nationale de litige fiscal de McMillan.

Michael Friedman conseille des clients sur une vaste gamme de questions en matière de fiscalité nationale et internationale chez McMillan.

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