Carrière et Formation

Dossiers à hauts conflits : quand l’avocat devient coach

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Camille Dufétel

2023-05-05 13:15:00

En droit familial, concernant les situations de hauts conflits, les avocats ont tout intérêt à repenser leur rôle et à agir en coach auprès de leur client, croit une associée.
Me Sophie Gauthier
Me Sophie Gauthier
Me Sophie Gauthier, avocate associée en droit de la famille chez Verdon Armanda Gauthier avocats, à Québec, se spécialise en droit de la famille. Cela fait plusieurs années qu’elle affine sa réflexion sur le rôle de l’avocat dans les situations de hauts conflits.

Elle a en effet travaillé en collaboration avec un partenariat de recherche basé à l’Université Laval sur la séparation parentale et la recomposition familiale, entre autres, entourée de psychologues, de chercheurs universitaires, de travailleurs sociaux… De personnes ayant une vision complémentaire à la sienne sur les situations de hauts conflits.

Cela l’a amenée à mettre sur pied un projet pilote PCR-2 (Parentalité-Conflit-Résolution), disponible sur le site de la Cour supérieure du Québec, une nouvelle forme de gestion des dossiers à hauts conflits.

Pour la Barreau 1992, dans ce type de dossiers, l’avocat pourrait repenser son rôle. Il ne peut pas être une simple courroie de transmission. Droit-Inc lui a posé quelques questions.

En quoi consiste ce projet pilote ? Il concerne notamment les situations d’aliénation parentale ?

On a réorganisé la manière dont l’appareil judiciaire accueille et gère les dossiers à hauts conflits. J’y inclus des situations dans lesquelles on va retrouver de l’aliénation parentale.

L’aliénation parentale pour moi, c’est employé à plusieurs sauces pour expliquer des situations où un enfant refuse de voir son parent de manière incompréhensible, sans motif juste.

Ce sont des situations où un parent va exercer une influence négative à l’égard de l’autre avec l’enfant, ce qui fait que ce dernier en vient à couper les liens avec son parent.

J’ai aussi écrit un article paru dans la revue de l’Association internationale francophone des intervenants auprès des familles séparées en 2018 qui parle de ce rôle repensé de l’avocat dans des situations d’aliénation parentale.

Vous avez donc contribué à repenser le rôle de l’avocat dans ce type de dossiers… Pourquoi et comment ?

Il faut que l’avocat s’adapte, premièrement parce qu’en matière familiale, on « deale » avec la nature humaine, qui est excessivement complexe. Et ce n’est pas vrai qu’un avocat formé à l’université et au Barreau commence avec des outils utiles pour gérer ce genre de situations extrêmes.

On est bien peu outillé avec notre formation juridique. Pour moi, repenser le rôle de l’avocat signifie aller plus loin dans la formation qu’on va s’auto-administrer. Ça va plus loin qu’une formation essentiellement juridique. Ça veut dire avoir une vision plus globale de ce qu’on doit avoir comme formation.

Deuxièmement, ça veut dire que dans une situation d’aliénation parentale, l’avocat ne peut pas se contenter d’être une courroie de transmission de ce que son client veut auprès du tribunal.

Le rôle de courroie de transmission, je le refuse. Je refuse de porter un message que j’estime personnellement contraire à l’intérêt d’un enfant. C’est mon choix personnel. Je m’arroge le droit de regard sur ce que j’ai envie de dire et de représenter devant le juge et ça, j’ai le droit de le faire.

J’espère ainsi faire œuvre utile et non pas devenir un avocat mercenaire engagé par quelqu’un pour nuire à une situation familiale.

Je pense qu’en étant plus minutieux sur les conseils qu’on donne à nos clients, on respecte encore plus le Code de déontologie des avocats parce qu’on permet au client de réfléchir sur les conséquences à long terme de mauvais comportements qu’il va avoir.

On permet au client d’avoir une vision globale de l’ensemble de sa situation. On se pose en coach et pas seulement en courroie de transmission.

C’est beaucoup plus plaisant aussi pour un avocat d’avoir cette possibilité. Si je me présente comme étant un mercenaire, c’est sûr que j’aurai de la difficulté par la suite à ramener mon client vers une attitude plus constructive. Il faut sortir de sa zone de confort.

En somme, vous pensez que dans ce type de dossiers complexes, l’avocat doit être proactif et faire comprendre à son client les enjeux à long terme de leurs décisions pour le bien-être de l’enfant ?

Oui, et je donnerais la nuance que le cas de l’aliénation parentale fait souvent appel à une problématique systémique au sein de la famille. Le parent qui se voit privé de son enfant va parfois lui aussi avoir des comportements qui n’aident pas.

Le rôle de l’avocat est de dire à ce client qu’il amplifie peut-être le problème alors qu’il pourrait y avoir des façons différentes d’accueillir ce que son enfant lui dit. Ça veut dire que moi, comme avocate, je vais plus loin que ma formation juridique.

Il faut donc avoir de la psychologie, en tant qu’avocat…

Oui, beaucoup ! C’est pour ça que pour moi, de base, le rôle repensé de l’avocat signifie qu’on a une responsabilité d’aller chercher de la formation supplémentaire. Ce n’est pas juste l’offre du Barreau que je dois regarder, il y a aussi ce que propose l’Ordre des psychologues, l’offre de formation des thérapeutes…

C’est important d’aller faire ces formations, on ne peut pas se contenter du Code civil.

Il y a des choses qu’on peut faire, aussi au niveau des outils juridiques, il faut être imaginatif.

Vous avez donné une formation offerte par le Barreau du Québec sur le sujet en décembre 2022... Poursuivez-vous aujourd’hui votre réflexion sur le sujet ?

On essaie d’avoir encore du budget pour faire le PCR-3 parce qu’on a des choses à corriger dans le PCR-2.

C’est vraiment un modèle d’intervention psycho-judiciaire avant-gardiste. On l’a présenté à bien des endroits à travers le monde et on est jalousé par beaucoup de juridictions, d’avoir un programme comme ça au Québec.

C’est important selon vous, aussi parce que ce type de dossier est courant ? L’est-il d’ailleurs de plus en plus ?

Les conflits sévères de séparation, les CSS, on en a de plus en plus, oui. Les procès sont de plus en plus longs, les méthodes alternatives de règlement des conflits sont mises en échec par les parents.

Mais on a aussi de plus en plus d’avocats épuisés de devoir travailler dans ces dossiers, parce que c’est interminable. Beaucoup trouvent des façons alternatives d’intervenir.

Normalement, les avocats qui travaillent en droit de la famille font preuve de beaucoup d’imagination. Et de plus en plus depuis le PCR, car on s’est permis de réfléchir et de s’en parler.

C’est inévitablement un changement qui s’en vient dans la pratique. On n’y échappe pas parce qu’autrement, on n’y arrive pas.
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