Opinions

Quel refuge pour les opéraphiles de la francophonie d’ici  ?

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Daniel Turp

2022-08-30 11:15:00

L’érosion de la place de l’opéra et de l’art lyrique à Radio-Canada est non seulement indéfendable, mais injuste.
L'auteur de cet article, Daniel Turp. Source: Site web de l’Université de Montréal
L'auteur de cet article, Daniel Turp. Source: Site web de l’Université de Montréal
Les artistes lyriques du Québec brillent ici et à l’étranger. Des interprètes comme Marie-Nicole Lemieux, Karina Gauvin, Hélène Guilmette, Michèle Losier, Julie Boulianne, Nora Sourouzian, Kimy McLaren, Jean-François Lapointe, Étienne Dupuis, Frédéric Antoun, Philippe Sly et Tomislav Lavoie chantent aujourd’hui sur les plus grandes scènes du monde. Des metteurs en scène tels Robert Lepage, François Girard ainsi que le tandem André Barbe et Renaud Doucet sont sollicités par les plus célèbres maisons lyriques de la planète. Les chefs Bernard Labadie, Jacques Lacombe et Jean-Marie Zeitouni se voient confier des productions majeures, sans parler de notre Yannick Nézet-Séguin, qui assure la direction musicale de la plus importante compagnie lyrique du monde, le Metropolitan Opera de New York (Met).

Et que fait Radio-Canada pour reconnaître ce phénomène qui ne peut que s’accroître avec le succès d’autres jeunes artistes d’ici dont les carrières d’interprète, de metteur en scène ou de chef connaissent un si bel élan, s’agissant notamment de Rihab Chaieb, Marie-Ève Munger, Florie Valiquette, Myriam Leblanc, Magali Simard-Galdès, Catherine St-Arnaud, Klara Martel Laroche, Hugo Laporte, Thomas Oriol, Dina Gilbert et Nicolas Ellis ?

La réponse est venue lors du dévoilement de la nouvelle programmation de la radio de Radio-Canada le 15 août dernier : une diminution significative du temps consacré à l’opéra et à l’art lyrique sur ces multiples plateformes du radiodiffuseur public. Après avoir éliminé l’opéra sur la bande FM en 2013, ce que nous avions qualifié alors de « Requiem pour l’Opéra du samedi » dans Le Devoir, voilà que les architectes de la programmation de la radio publique francophone choisissent d’éliminer les diffusions d’opéra en septembre, octobre et novembre et de priver les opéraphiles, comme ils l’ont d’ailleurs fait cet été, de diffusions d’œuvres lyriques.

Sans doute, dira-t-on dans les cercles radio-canadiens, que l’on peut s’estimer chanceux que la retransmission des opéras du Met ait été maintenue. Et que l’on aura encore droit, entre le 10 décembre 2022 et le 10 juin 2023, à la diffusion de 25 opéras en direct du Met. Nous devrions être d’autant plutôt soulagés que l’on a songé, dans le passé, à cesser de telles retransmissions. Heureusement que Yannick Nézet-Séguin y est le directeur musical, car le couperet serait tombé aussi — il est difficile de ne pas y croire — sur de telles retransmissions.

Nouvelle génération de fossoyeurs

Que devront donc maintenant faire les opéraphiles de la francophonie québécoise et canadienne souhaitant écouter, le samedi, des diffusions radiophoniques d’opéras, avant le début des Saturday Matinee Broadcasts du Met ? La seule avenue possible sera d’aller syntoniser la chaîne anglaise de Radio-Canada et d’écouter l’émission Saturday Afternoon at the Opera, en ondes sur CBC-Radio 2 ou sur la section CBC-Musica de la plateforme CBC Listen, où les opéras continueront d’être diffusés sur une saison entière… sans interruption estivale d’ailleurs !

Les lyricomanes pourront aussi franchir les frontières — sans les franchir — et aller écouter en ligne — mais en ligne seulement — les diffusions d’opéras sur la BBC et son extraordinaire chaîne de musique classique Radio 3 (Opera on 3) ou sur les ondes de la non moins excellente chaîne France Musique (Samedi à l’opéra).

La réponse de cette nouvelle génération de fossoyeurs de l’art lyrique de Radio-Canada est prévisible : une nouvelle émission a été conçue pour faire le bonheur du milieu. Comme on le lit sur le communiqué présentant la nouvelle saison d’ICI Musique, « [l]es dimanches matin à 10 h seront marqués par le retour de l’animateur tant aimé de tous, Marc Hervieux, avec une nouvelle émission, Quand ça vous chante. Ce sont tous ces chanteurs et chanteuses d’hier, d’aujourd’hui et de demain, leurs histoires, leurs voix, leurs musiques et les grands artistes qu’ils ont côtoyés, que racontera Marc Hervieux chaque semaine ».

Si l’on peut se réjouir de la volonté de donner la parole aux artistes lyriques, l’on ne saurait se satisfaire d’un tel prix de consolation. Cette émission de deux heures par semaine ne compensera aucunement la perte des quatre heures de diffusion hebdomadaire pour les cinq mois où la loi du silence sera imposée sur les diffusions d’œuvres lyriques.

Cette nouvelle ponction nous privera ainsi de la possibilité d’entendre des œuvres diffusées dans les grands festivals européens, comme nous y avait habitués Sylvie L’Écuyer. Il y a d’ailleurs lieu de rendre hommage à celle-ci pour l’excellence d’une programmation qui a permis d’entendre les artistes lyriques du Québec et du Canada se produire notamment à Aix-en-Provence, à Salzbourg et à Wexford, ce que ne pourra plus offrir sa successeure, Katerine Verebely.

De la défunte Chaîne culture à l’éphémère Espace Musique, en passant maintenant par ICI Musique, on assiste à l’indéfendable et injuste érosion de la place de l’art lyrique à Radio-Canada. Le confinement quasi total de l’opéra sur les plateformes numériques en dit d’ailleurs long sur la vision qu’a Radio-Canada d’un genre musical né pourtant il y a plus de 400 ans, pour lequel les artistes lyriques d’ici brillent et auquel d’autres radios publiques du monde continuent d’accorder une importance significative.

Sans doute doit-on considérer dans les hautes sphères radio-canadiennes que cette musique est trop savante, comme la musique classique en général. N’est-il d’ailleurs pas temps de faire renaître une véritable chaîne culturelle et de ranimer le projet d’une Radio-Québec qui permettra en outre de redonner à l’art lyrique et à la musique classique la place qu’elle mérite ?

À propos de l’auteur

Daniel Turp est président de l’Observatoire québécois d’art lyrique et directeur de L’Opéra – Revue québécoise d’art lyrique. Ce texte est d’abord paru au Le Devoir.
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3 commentaires
  1. Me
    À qui le blâme?
    L’art lyrique bénéficierait sans doute d’une programmation avantageuse si les cotes d’écoute le justifiaient. Ça n’est pas le cas. Ce domaine d’expression artistique est sur un respirateur artificiel, devant sa survie à quelques amateurs nostalgiques dont le nombre souffre d’un sévère problème d’attrition.

  2. Anonyme
    Anonyme
    il y a un an
    L'opéra en italien, en allemand ou en français ?
    ça c'était les débats d'autrefois.

    Aujourd'hui cet art élitiste est classé "blanc" et "colonialiste".
    Ce sont les "zartisses" racisés et le hip hop qui ont la cote. Même l'OSM se sent obligé de faire "peuple", avec de plus en plus de progammes de concerts "inclusifs".


    A law firm’s review of the University of Toronto’s faculty of music has found it guilty of racism, sexism and other violations:

    - https://slippedisc.com/2022/05/just-in-toronto-faculty-of-music-faces-racism-blast/


    Classical Music’s Suicide Pact:

    - https://www.city-journal.org/classical-music-under-racial-attack-part-1

    - https://www.city-journal.org/classical-music-under-racial-attack-part-2

  3. DSG
    Who listens to the radio?
    The CBC could put sounds of cows chewing on cud for all I care. I haven't listened to the radio since, like never. Welcome to the digital age, prof.

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