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Les employeurs se voient reconnaître une limite à leur obligation d’accommoder leurs employés malades

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Mccarthy Tétrault

2008-07-28 08:15:00

Le 17 juillet dernier, la Cour suprême du Canada a renversé une décision de la Cour d’appel du Québec qui soulagera les employeurs.

Dans ''Hydro-Québec et Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ''), 2008 CSC 43, la Cour suprême a précisé le droit sur les sujets suivants :

1. l’employeur n’a pas à établir que son employé sera totalement incapable de fournir sa prestation de travail dans un avenir rapproché et qu’il lui est impossible de composer avec ses caractéristiques pour établir la preuve d’une contrainte excessive;

2. l’employeur aux prises avec un problème d’absentéisme peut considérer l’ensemble du dossier de l’employé malade ainsi que toutes les mesures déjà prises pour évaluer l’étendue de son devoir d’accommodement.

Contexte

La plaignante, employée d'Hydro-Québec, souffrait de nombreux problèmes physiques et psychologiques l’amenant à s’absenter régulièrement. Elle avait manqué 960 jours de travail sur une période d’un peu plus de sept ans.

L’employeur a procédé à plusieurs ajustements de ses conditions de travail afin de tenter de maintenir l’employée au travail, mais sans succès.

Lors de son congédiement, le 19 juillet 2001, elle était absente depuis plus de cinq mois et son médecin traitant lui avait prescrit un arrêt de travail pour une durée indéterminée. De plus, le psychiatre mandaté par l’employeur était d’avis qu’elle ne serait pas en mesure d’offrir une prestation de travail normale sans présenter un problème d’absentéisme excessif.

Son grief fut rejeté par l’arbitre aux motifs qu’il ne croyait pas la salariée capable de fournir sa prestation de travail de façon régulière et soutenue dans un avenir rapproché et que les solutions proposées par le syndicat constituaient une contrainte excessive.

La Cour supérieure a rejeté le recours en révision judiciaire du syndicat mais la Cour d’appel a renversé cette décision et a annulé la décision de l’arbitre.

La décision de la Cour d’appel

La Cour d’appel considérait en effet qu’Hydro-Québec n’avait pas fait la preuve d’une ultime tentative d’accommodement. Elle soutient que ce cas se distingue des autres cas préalablement abordés par la jurisprudence où l’incapacité totale d’effectuer toute prestation de travail dans un avenir raisonnablement prévisible était claire et incontestable.

Selon la Cour d’appel, bien que les expertises en preuve ne présentaient pas un pronostic très favorable à la salariée, elles démontraient une possibilité de retour au travail si on changeait l’ensemble des conditions de travail de l’employée que l’employeur se devait d’exploiter.

Elle était également d’avis qu’Hydro-Québec n’avait pas su démontrer qu’à la suite des évaluations psychiatriques de l’employée, il lui était impossible de composer avec ses caractéristiques. Dans son raisonnement, la Cour d’appel donne également beaucoup de poids à la taille de l’entreprise de l’employeur qui, selon elle, aurait la capacité de créer un poste et un horaire adaptés à l’employée malade.

Finalement, la Cour d’appel énonçait le principe suivant, maintes fois repris par les syndicats et employés désirant démontrer l’ampleur de l’obligation d’accommodement de l’employeur :

« Le fardeau qui incombe à l’employeur en matière de défense d’exigence professionnelle justifiée est lourd … L’obligation d’accommodement impose à l’employeur d’être proactif et innovateur, c’est-à-dire qu’il doit poser des gestes concrets d’accommodement, ou alors démontrer que ses tentatives sont vaines et que toute autre solution, laquelle doit être identifiée, lui imposerait un fardeau excessif. »

La décision de la Cour suprême

La Cour suprême soulève deux motifs d’intervention quant au raisonnement de la Cour d’appel dans cette affaire, l’un ayant trait à la norme de la contrainte excessive et l’autre à la période de temps où l’obligation d’accommodement doit être évaluée.

La norme à satisfaire pour démontrer une contrainte excessive

La Cour suprême mentionne qu’il n’est pas requis de démontrer l’impossibilité d’intégrer un employé qui ne respecte pas une norme mais que la preuve d’une contrainte excessive est suffisante. Cette contrainte excessive peut prendre autant de formes qu’il y a de circonstances.

Par ces propos, la Cour suprême reproche à la Cour d’appel d’avoir réduit le test à une seule contrainte excessive possible, soit celle de démontrer qu’un employé ne pourra plus jamais réintégrer son travail.

Or, la Cour suprême nous rappelle que l’obligation d’accommodement a pour objet d’empêcher que des personnes par ailleurs aptes ne soient injustement exclues du travail, alors que les conditions de travail pourraient être adaptées sans créer de contrainte excessive. Le fardeau ainsi imposé par la Cour d’appel était mal formulé en ce que l’obligation d’accommodement ne peut avoir pour objet de dénaturer l’essence du contrat de travail.

Ainsi, le critère n’est pas l’impossibilité pour un employeur de composer avec les caractéristiques d’un employé. Par ailleurs, l’employeur n’a pas à modifier de façon fondamentale les conditions de travail, mais plutôt d’aménager les tâches et le poste de travail existant, et seulement si cela ne lui cause pas une contrainte excessive.

Dans tous les cas, lorsque l’employé n’est pas en mesure de remplir les obligations fondamentales de son contrat de travail malgré les mesures prises par l’employeur, ce dernier fait face à une contrainte excessive le justifiant de mettre fin au lien d’emploi.

En effet :

« ... L’obligation d’accommodement qui incombe à l’employeur cesse là où les obligations fondamentales rattachées à la relation de travail ne peuvent plus être remplies par l’employé dans un avenir prévisible. »

Le moment de l’accommodement

Selon la Cour suprême, la Cour d’appel avait commis une autre erreur lorsqu’elle a estimé que l’obligation d’accommodement devait être évaluée au moment de la décision de congédier l’employé.

En effet, la Cour suprême affirme, conformément à sa décision dans l’affaire ''Centre universitaire de Santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l’Hôpital générale de Montréal'', qu’il convient d’opter pour une évaluation globale de l’obligation d’accommodement qui tient compte de l’ensemble de la période pendant laquelle l’employé s’est absenté.

Elle reproche à la Cour d’appel son approche compartimentée, d’autant plus que dans cette affaire, l’employeur avait adopté plusieurs mesures d’accommodement infructueuses sur une longue période de temps, mesures qui se devaient d’être toutes prises en compte.

En conséquence, elle accueille l’appel de l’employeur Hydro-Québec et rétablit la décision de l’arbitre de grief.

Impacts favorables de la décision pour les employeurs
L’assouplissement du fardeau de preuve en matière de contrainte excessive

En matière de contrainte excessive, les principes à retenir de la décision de la Cour suprême sont les suivants :

1. L’employeur n’a pas à démontrer qu’il lui est impossible de composer avec les caractéristiques d’un employé, ni l’incapacité totale d’un employé de fournir sa prestation de travail dans un avenir prévisible.
2. La modification fondamentale des conditions de travail constitue une contrainte excessive.
3. Lorsque la mesure d’accommodement dénature le contrat de travail, soit l’obligation de l’employé de fournir sa prestation de travail, elle constitue une contrainte excessive.
4. Lorsque l’employé demeure incapable de fournir sa prestation de travail dans un avenir prévisible, malgré les mesures antérieures prises par l’employeur, ce dernier est justifié de mettre fin au lien d’emploi.

L’analyse de l’ensemble du dossier de l’employé

De façon pratique, les échecs des mesures de réadaptation prises antérieurement pourront démontrer que l’employé ne présente pas de chance raisonnable de retour au travail dans un avenir rapproché, et ce, même si l’employeur ne connaissait pas alors le diagnostic précis.

De plus, le principe permet à l’employeur de traiter le dossier d’absentéisme de l’employé comme un tout, sans devoir remettre le compteur de l’accommodement à zéro pour chacune des pathologies diagnostiquées au fil du temps.

Par : Martine Bélanger et Rachel Ravary, sociétaires au bureau montréalais de McCarthy Tétrault.
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