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Élire ou abolir le Sénat?

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Jean Leclair

2014-04-30 11:15:00

Professeur à l’Université de Montréal, l’auteur analyse la décision de la Cour suprême suite au renvoi sur le Sénat. Entre élection et abolition, il revient sur la fonction de la chambre haute…

Jean Leclair est professeur à l'Université de Montréal
Jean Leclair est professeur à l'Université de Montréal
Sans surprise, la Cour suprême vient de confirmer que le gouvernement central ne peut réformer unilatéralement le Sénat, ce dernier étant « une des institutions politiques fondamentales du Canada. »

Il ne peut, entre autres, le transformer en chambre élective sans le consentement d’au moins sept provinces dont la population confondue représente au moins cinquante pour cent de la population de toutes les provinces. La Cour a également conclu que l’abolition du Sénat requerrait, quant à elle, l’unanimité des provinces.

Encore une fois, la Cour fait la démonstration qu’en interprétant la constitution, elle envisage la longue durée et qu’en conséquence, il lui faut regarder bien au-delà des controverses partisanes du moment, lesquelles ne monopolisent l'attention que de manière aléatoire et éphémère.

Selon la Cour, l’élection des sénateurs modifierait radicalement la nature et le rôle assigné au Sénat et toucherait ainsi à « l’architecture interne » de notre Constitution. « D’un organe législatif complémentaire chargé de porter un second regard attentif aux lois, il (deviendrait) un organe législatif doté d’un mandat populaire et d’une légitimité démocratique. » Une telle réforme exigerait donc la participation des provinces.

Le Sénat, un lieu de réflexion

Les débats idéologiques et partisans sont choses courantes et normales à la Chambre des communes. C’est le lieu des débats engagés où la volonté des partis tente de s’imposer. Le Sénat, quant à lui, a pour fonction d’être un lieu de réflexion plutôt qu’un lieu de combat. Son rôle consiste à poser un « second regard attentif » indépendant et serein sur les projets de loi proposés par la Chambre des communes. Il doit donc servir de complément à cette dernière et non en être « l’éternel rival. »

Or, comme le souligne la Cour, c’est le caractère nominatif, c’est-à-dire non électif du mode de sélection des sénateurs qui confère à ceux-ci l’indépendance et l’impartialité nécessaires à un examen serein et éclairé des projets de loi : « Les rédacteurs (de la Constitution) ont cherché à soustraire le Sénat au processus électoral auquel participaient les députés de la Chambre des communes, afin d’écarter les sénateurs d’une arène politique partisane toujours soumise aux impératifs des objectifs politiques à court terme. »

Que l’élection des sénateurs ne puisse aisément devenir réalité en chagrinera plusieurs. Toutefois, il faut se rappeler que cette élection introduirait des distorsions majeures dans la dynamique politique canadienne. Deux chambres élues (Chambre des communes et Sénat) pourraient soient être redondantes, parce que contrôlées par le même parti, soit impotentes, parce que dominées par des partis différents. Bref, tout ce qui brille n’est pas or.

En outre, le processus nominatif a ouvert la porte à un grand nombre de personnes souvent défavorisées par le jeu électif: les femmes, les Autochtones, les minorités visibles, les membres de professions ou de corps de métiers traditionnellement sous représentés dans les assemblées législatives.

Faut-il abolir le Sénat alors ? C’est la solution facile, mais en agissant ainsi, on se trouve à détruire l’un des derniers contre-pouvoirs (autre que les tribunaux) à la toute-puissance d’un premier ministre à la tête d’un gouvernement majoritaire. C’est donc un pensez-y-bien.

Est-ce à dire que le Sénat ne pourra jamais être réformé ? Non. Plusieurs réformes pourraient être entreprises qui ne nécessitent pas qu’on s’embarque collectivement dans un Titanic constitutionnel. La plupart d’entre elles exigent cependant des gouvernements qui se succèdent à Ottawa la volonté d’agir en hommes d’État lorsque vient le temps de nommer un sénateur et celle de réfléchir sérieusement au rôle qu’ils entendent donner à notre chambre haute avant d’agir.

Sur l’auteur:

Jean Leclair est professeur titulaire à la faculté de droit de l’Université de Montréal. Il est membre associé du Centre de recherche en éthqiue, et est l’auteur de nombreuses publications en matière de fédéralisme et de droit constitutionnel canadien
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