La Charte des droits de la personne et de la jeunesse énonce à son article 4 que « Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation.» Sauf Claude Jutra?
La Charte ajoute à l'article 5 que: « Toute personne a droit au respect de sa vie privée.» Sauf Claude Jutra?
La Charte ajoute aussi, à l'article 33: « Tout accusé est présumé innocent jusqu'à ce que la preuve de sa culpabilité ait été établie suivant la loi. » Et cette présomption d'innocence comporte le droit à un procès juste et équitable. Sauf pour Claude Jutra? qui n'a jamais été accusé de quoi que ce soit?
Par ailleurs, la Commission des droits de la personne n'a-t-elle pas spécifiquement pour mission « de veiller au respect des principes énoncés dans la (...) Charte », comme le stipule son article constitutif, l'article 57 de la Charte?
Par conséquent, comment se fait-il que, sauf erreur, on n'ait entendu ni la Commission ni aucun de ses membres rappeler ces principes de la Charte et rappeler aussi que la Charte existe d'abord et avant tout pour éviter des dérapages pareils, des chasses aux sorcières, des lynchages publics ou des exécutions par tribunaux populaires.
Comment se fait-il aussi que la ministre de la Justice n'ait pas jugé bon d'intervenir pour rappeler qu'il s'agissait d'une affaire d'ordre public, qui est de sa responsabilité, et qu'elle a le devoir fondamental de voir au respect des droits garantis à chaque citoyen du Québec, y compris Claude Jutra?
Faut-il rappeler que la Charte n'est pas là pour protéger des droits que tous sont prêts à protéger spontanément d'un commun accord, mais que son utilité, sa nécessité, se manifeste pour protéger l'exercice de droits impopulaires et qu'elle sert alors à protéger les droits des minorités, voire des individus, face à des mouvements de masse et des manifestations aussi dangereuses et injustes qu'impulsives.
Un type de justice par délire populaire
L'origine douteuse de cette affaire et l'ampleur des réactions, souvent plus émotives que réfléchies, qu'elle a provoquées méritent un examen sérieux. Accepter ainsi ce type de justice par délire populaire est indigne d'un État de droit.
Déjà le code d'Hammourabi, l'un des premiers textes juridiques, adopté il y a plus de 3700 ans, prévoyait la peine de mort pour l'auteur d'accusations qu'il ne pouvait prouver. Et depuis ce temps, cette condamnation des accusations sans fondement a été constamment reprise dans d'innombrables codes et textes juridiques visant à protéger des droits fondamentaux.
Or, sur quoi reposent ces condamnations de Jutra? Rappelons d'abord que Claude Jutra n'a jamais été accusé de quoi que ce soit de son vivant (ni après sa mort d'ailleurs il y a de cela 30 ans) et que, par conséquent, il n'a jamais eu le besoin ni la possibilité de se défendre contre quelque accusation que ce soit.
L'affaire repose sur quelques ragots exploités par le biographe de Jutra, M. Lever: « Quand j'ai écrit le livre, on m'a suggéré de traiter ce passage en disant simplement qu'il aimait les jeunes garçons sans employer le mot pédophilie, explique M. Lever. Mais je me suis dit que si je ne le faisais pas quelqu'un d'autre le ferait à ma place.» (Déclaration de M. Lever au Journal de Montréal, le 16 février 2016, p. 38)
Peut-on vraiment condamner quelqu'un ainsi? Remplaçons le mot « pédophilie » par le mot « meurtre » pour voir l'absurdité grossière du procédé de M. Lever. Par la suite, comme souvent dès qu'une affaire de sexe est soulevée dans les médias, deux accusateurs, que certains médias identifient comme des « victimes », sont apparus; l'un exige l'anonymat (quelle serait la valeur d'un témoignage anonyme et non contesté devant un tribunal?), l'autre s'identifie.
La façon normale de procéder est alors d'aller à la police et de porter plainte. C'est leur droit le plus strict. Il conviendrait alors de prendre leur témoignage et de l'examiner à la lumière des règles de droit puis de décider s'il y a matière à procès et, éventuellement, de faire un procès juste et équitable.
Des condamnations à l’emporte-pièce
Au lieu de cela, on a immédiatement droit à une avalanche de condamnations à l'emporte-pièce, certaines provenant de gens de bonne foi plus inquiets que bien renseignés, d'autres de gens aux motivations beaucoup plus sombres.
On a notamment l'impression que c'est une belle occasion d'accuser de pédophilie, par amalgame, les homosexuels, les bisexuels, les amateurs de sexe en général, les « flower people » , les intellectuels et les « artisses ». Bel exercice de défoulement populaire et de psychothérapie de groupe. Mais où se trouvent la justice et le respect des droits?
Il est devenu d'autant plus facile de condamner Jutra, célibataire, décédé et sans famille, c.a.d. sans défense, que, dans les faits, son propre gouvernement, par son inaction devant le lynchage, l'a déjà dépouillé de ses droits fondamentaux. Et que, contrairement à certains autres, il n'a pas une puissante famille financière ou politique pour défendre sa mémoire et intimider d'éventuels accusateurs. Grâce à cette garantie d'immunité, on peut dire n'importe quoi et on ne s'en prive pas. C'est ignoble.
Jutra se trouve jugé et condamné sans jamais avoir été accusé de quoi que ce soit et sans avoir pu se défendre. Et il est condamné ainsi très publiquement et très officiellement par les autorités responsables de protéger ses droits et de protéger nos droits. Faut-il souligner que le prochain lynché, la prochaine victime d'une chasse aux sorcières, ce pourrait être n'importe qui d'entre nous? Et que notre gouvernement et notre Commission des droits de la personne ne feront rien pour assurer la protection de nos droits: la preuve en est maintenant faite.
Il y a sûrement lieu de tirer des leçons de cette malheureuse affaire et, pour cela, il faut au plus tôt constituer un comité d'experts indépendants pour voir comment assurer à l'avenir la protection des droits des personnes concernées, y compris au premier chef la ou les victimes d'un tel lynchage.
Consultant auprès de tribunaux internationaux et d’organisations internationales, conseiller juridique pour plusieurs fournisseurs et syndicats d’organisations internationales, et certains de leurs membres, et conférencier en matière de droit administratif international et en matière de traduction juridique, Me André Sirois a été très actif dans la création d’un barreau pour les avocats travaillant auprès des organisations internationales et des tribunaux internationaux, pour la réforme du système de justice interne de l’ONU, l’application de la règle de droit à l’intérieur de l’ONU et la reconnaissance des droits de l’homme pour les fonctionnaires de l’ONU.
Me Sirois est le premier Canadien à avoir jamais été embauché comme fonctionnaire des services linguistiques de l’ONU. Il a aussi été l’un des premiers employés du Tribunal international pour le Rwanda, dont il a ensuite dénoncé l’incurie et la mauvaise administration, ce qui en a fait l’un des premiers lanceurs d’alerte de l’ONU. Il a travaillé dans différents bureaux, missions et tribunaux de l’ONU. Il est l’un des auteurs de Justice Belied, The Unbalanced Scales of International Criminal Justice.
Me Sirois est le premier Canadien à avoir jamais été embauché comme fonctionnaire des services linguistiques de l’ONU. Il a aussi été l’un des premiers employés du Tribunal international pour le Rwanda, dont il a ensuite dénoncé l’incurie et la mauvaise administration, ce qui en a fait l’un des premiers lanceurs d’alerte de l’ONU. Il a travaillé dans différents bureaux, missions et tribunaux de l’ONU. Il est l’un des auteurs de Justice Belied, The Unbalanced Scales of International Criminal Justice.
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