Aurélie Lanctôt est diplômée en journalisme de l'Université du Québec à Montréal et étudiante en droit à l'Université McGill. Crédit photo: Ivanoh Demers, La Presse
Aurélie Lanctôt est diplômée en journalisme de l'Université du Québec à Montréal et étudiante en droit à l'Université McGill. Crédit photo: Ivanoh Demers, La Presse
Jeudi, l’ex-animateur vedette de CBC Jian Ghomeshi a été acquitté des accusations d’agression sexuelle qui pesaient contre lui. Lors du procès, en février dernier, l’avocate de la défense, Marie Henein, a mis en exergue toute une série de détails incohérents des témoignages des plaignantes.

Lors des contre-interrogatoires, elle a aussi sorti de son chapeau des éléments de preuve dont la poursuite n’avait pas eu connaissance, visant à ébranler la crédibilité des témoignages des femmes accusant Ghomeshi. Des échanges de courriels entre les présumées victimes où elles exprimaient leur désir de voir Ghomeshi condamné. Des photos aguicheuses, puis une lettre tendre et torride envoyée à l’accusé après les faits reprochés. Qui agirait ainsi avec son agresseur ?

On a beaucoup déploré que la défense se soit acharnée sur la crédibilité des témoignages des plaignantes. Or, dans cette affaire, la preuve reposait entièrement sur les témoignages des parties, vu la nature des allégations. Il n’est donc pas surprenant que les témoignages aient ainsi été passés au crible par la défense.

Lors des contre-interrogatoires, de nombreuses voix se sont aussi élevées, dans l’espace public, pour rappeler qu’il était courant que des victimes retournent vers leur agresseur après les faits allégués, pour normaliser les événements traumatisants. Cela ne signifie pas qu’une agression n’ait pas pu avoir lieu auparavant.

Aucun témoin expert n’a été appelé à l’expliquer devant le tribunal. Et visiblement, les éléments soulevés par la défense ont suffi à semer le doute dans l’esprit du juge William Horkins. Celui-ci a conclu que la crédibilité des témoignages des plaignantes avait été entachée par des incongruités, des comportements discutables et des supercheries, rendant impossible de déclarer coupable l’accusé hors de tout doute raisonnable.

Évidemment, rien ne sert de faire de Marie Henein la cible de notre amertume par rapport au dénouement du procès. Elle n’a fait que son travail. Ce procès nous rappelle cependant que l’acquittement des accusés se fait souvent en broyant les victimes, et que l’opinion publique est toujours aussi prompte à montrer du doigt et à humilier les femmes qui n’ont pas gain de cause, devant la justice.

La culture de la honte demeure intacte

Sans suggérer que le juge Horkins ait erré en rendant sa décision, il est terriblement choquant de déceler encore, en filigrane de toute cette histoire, le stéréotype rétrograde qui suppose que seules des « victimes parfaites » peuvent légitimement dénoncer leur agresseur. Bien sûr, il ne s’agit pas de dire que les accusés d’agression sexuelle n’ont pas droit à une défense pleine et entière. Mais il faut décrier le fait qu’au sein d’une société soi-disant égalitaire, les femmes qui dénoncent une agression passent presque invariablement sous un rouleau compresseur, autant au tribunal que sur la place publique. Et cela est d’autant plus violent qu’elles se retrouvent souvent seules à porter le fardeau de leur dénonciation.

En effet, beaucoup de femmes qui dénoncent une agression n’ont pas accès à des conseils juridiques substantiels, ni à l’aide psychologique dont elles auraient besoin, faute de ressources. Il n’est donc pas surprenant qu’elles soient nombreuses à reculer devant le processus judiciaire. Il s’agit d’ailleurs d’un enjeu d’accès à la justice bien réel, dont on ne parle que trop peu.

Il est par ailleurs atterrant de constater que les leçons tirées du mouvement #AgressionNonDénoncée ont si vite été oubliées. Tout au long du procès Ghomeshi, le comportement des femmes a été le point focal des discussions et de l’analyse médiatique.

Lors des contre-interrogatoires de la défense, les plumitifs et les gérants d’estrade se sont régalés de la déconfiture des plaignantes. Nous avons subi une véritable déferlante de commentaires misogynes, qui nous révèlent que la culture de la honte et du silence entourant la violence sexuelle est toujours intacte.

Il subsiste certes des failles dans le traitement judiciaire des agressions sexuelles. Mais prise dans son ensemble, l’affaire Ghomeshi révèle une trahison encore plus grande à l’égard des victimes, qui s’étend bien au-delà des portes du tribunal. Il est facile, après tout, de déplorer que le système judiciaire laisse tomber les femmes qui dénoncent une agression, si l’on omet que ce système n’est que le reflet de notre propension collective à faire preuve envers elles d’une réelle solidarité.

Si le jugement rendu hier par la Cour de justice de l’Ontario déçoit, n’oublions pas que la responsabilité de cette déception nous revient à tous. C’est à la société de dicter les changements qu’elle veut voir inscrits dans la loi, car l’inverse ne sera jamais suffisant. Espérons que cette sordide affaire nous fasse au moins prendre conscience de cela.

Ce texte est initialement paru dans Le Devoir.

Aurélie Lanctôt est diplômée en journalisme de l'Université du Québec à Montréal et étudiante en droit à l'Université McGill. Elle est également chroniqueuse à la Gazette des femmes et ICI Radio-Canada Première, et auteure d'un essai sur les femmes et l'austérité, publié à l'automne 2015 chez Lux éditeur.