Cet article s’inscrit dans une série d’articles que Droit-inc consacre aux différents métiers du droit. Zoom sur les notaires.

Me Joannie Charron exerce son métier auprès des plus vunérables.
Me Joannie Charron exerce son métier auprès des plus vunérables.
En 2005, Me Joannie Charron a quitté l’Abitibi pour se lancer dans des études de droit à Québec. Diplômée en droit de l’Université Laval en 2009 et d’un DESS en droit notarial en 2010, la notaire s’est immédiatement jointe à l’étude du notaire Bélanger.

Elle s’est associée à l'époque avec son ami, Me Dominic Mercier (qui a depuis quitté l'étude), afin d’assurer la relève du notaire et d’apporter à l’étude une touche plus personnelle et humanitaire. Depuis, chez Bélanger, Mercier, Charron, elle met un point d’honneur à exercer son métier auprès des plus vulnérables. Une pratique pour le moins émotionnellement chargée, mais dont elle tire beaucoup de leçons de vie, comme elle l’explique à Droit-inc.

Droit-inc: Qu’est-ce qui vous a donné envie de devenir notaire?

Me Joannie Charron: C’est une bonne question. J’ai eu une enfance difficile avec une mère monoparentale. Je n’ai pas connu mon père biologique, j’ai été élevée dans la pauvreté. Quand j’avais 17 ans, le mari de ma mère que je considérais comme mon père a perdu son combat contre le cancer. Après les soins palliatifs et les funérailles, j’ai rencontré un notaire pour la première fois. J’ai depuis toujours eu soif de vérité et de justice. Je voulais d’abord devenir avocate à la DPJ mais j’ai réalisé que j’étais trop émotive pour ça.

Dans les facs, on nous parle que du métier d’avocat, on oublie les notaires. Tout est parti d’un stylo (Rires). Dessus, il y avait marqué: « Notaire, juriste de l’entente ». J’ai alors voulu être notaire à domicile pour aider les personnes vulnérables: les personnes handicapées, en phase terminale, les malades, les personnes âgées…

Est-ce que c’est parce que vous avez eu vous-même la sensation de ne pas avoir été aidée quand vous étiez en situation de vulnérabilité?

J’ai toujours été très humaniste. Quand j’étais petite, j’aidais ma mère qui travaillait avec des personnes lourdement handicapées. Je les coiffais pour le Téléthon, j’ai toujours été touchée par les personnes laissées de côté par la société. Elles ont besoin de conseils juridiques, et qu’on soit là pour eux. Je m’implique aussi dans la guignolée, auprès des familles pauvres. Dans mon étude, je veux travailler dans un climat de confiance, amical, qu’on se sente chez soi. Personnellement, je viens en jeans l’hiver, en gougounes l’été. Pas de tailleur, pas de souliers hauts (rires). Je veux qu’on me tutoie, et quand c’est possible, je le fais aussi. On est pas obligés d’être « lourd ». Ça rend la profession plus accessible. Je n’ai pas un look traditionnel, j’ai quelque chose de « hors norme », de différent.

Concrètement, de quels types de mandats vous vous occupez?

Je fais beaucoup de droit des successions, de testaments de personnes malades, à qui je promets aussi d’être là par la suite, des procurations, des homologations de mandats, du droit immobilier, de la médiation familiale aussi auprès des gens qui se séparent. Je fais beaucoup de mandats à domicile, je me déplace chez les gens âgés, handicapés, ou aussi chez des gens qui font de l’emphysème et qui ont du mal à se déplacer.

Je donne aussi des conférences, à mon compte et pour une compagnie d’assurances, sur l’importance de faire les actes notariés. Ce sont des informations juridiques de base qui devraient être apprises au secondaire. Je ne charge pas les courriels et les appels téléphoniques des clients. Je vais charger ce que ça vaut mais pas plus. Parfois moins, mais jamais plus. Mon cœur n’est pas mon comptable.

Est-ce que vous gagnez moins que vos confrères ?

Je ne saurais pas dire. Les chiffres, les profits, ça reste encore très tabou dans la profession. Mais je gagne bien ma vie.

Tout le monde est sur un pied d'égalité au sein de BMC Notaires.
Tout le monde est sur un pied d'égalité au sein de BMC Notaires.
C’est drôle, vous me disiez être trop émotive mais vous intervenez dans des contextes quand même émotionnellement chargés…

Oui, mais je vais vous faire une confidence : en soins palliatifs, il m’est arrivé de pleurer, comme avec cette cliente qui perdait son combat contre le cancer du sein à l’âge de 31 ans. C’est un dossier qui a marqué ma vie à jamais. Elle avait deux enfants, et je m’étais occupée d’elle et de son conjoint quand ils avaient acheté leur première maison. Elle m’a demandé «mais qu’est-ce que je fais là?», et j’ai dit: «je ne sais pas», et je me suis mise à pleurer en disant que je n'avais pas l’air professionnel. Elle m’a répondu que justement, c’était pour ça qu’elle voulait que ce soit moi, que c’était de ça dont ils avaient besoin, quelqu’un qui s’assoit avec eux, pas quelqu’un de rigide. Alors oui c’est difficile mais je rentre, je prends un bain, et je me replace mes émotions.

Que pensez-vous leur apporter?

De la sécurité. Je leur fais de bons documents, bien faits. C’est très gratifiant, mais ils me donnent tellement en retour. C’est moi qui vais chercher d’eux. Je me souviens d’une cliente, lourdement handicapée, à 60 ans, elle avait perdu l’usage de ses jambes mais elle n’avait jamais perdu le sourire, le courage. Beaucoup de rencontres changent ma vision de la vie.

Ça n’a pas été trop difficile de vous lancer en solo aussi jeune?

Quand tu rachètes une étude qui a déjà sa clientèle, tu embarques dans un bateau qui roule déjà. Je développe ma clientèle à domicile, je fais du réseautage avec des gens d’affaires vraiment inspirants. J’ai aussi choisi mes secrétaires, je fais mes feuilles d’ouverture et de fermeture de dossiers. Sans prétention, on a été le premier site web de notaires à mettre les techniciennes juridiques en photographie avec leur biographie à côté des nôtres. Ici, on est sur un pied d’égalité, il n’y a pas de hiérarchie.

Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui voudrait suivre vos pas?

Ma vision du notariat est qu’il faut changer les choses, faire les choses différemment, en suivant ses propres pas, selon sa personnalité, ses valeurs. Il y a beaucoup trop de règles, il faut surtout faciliter le contact avec la clientèle. C’est dans cette optique-là que j’ai racheté l’étude Bélanger, Mercier, Charron.