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Un gâteau est-il une oeuvre d’art?
Jean-francois Parent
2017-12-08 11:15:00
On a eu droit à une comedia dell'arte cette semaine, à la Cour suprême américaine...
C'est l'affaire de la pâtisserie Masterpiece Cakeshop, du Colorado, qui a refusé de confectionner un gâteau de mariage commandé par un couple gay.
L'affaire avait rebondi devant la cour d'appel locale, en 2015, quand le juge avait décidé que le pâtissier Jack Phillips, malgré ses convictions religieuses, ne pouvait refuser de servir les fiancés Charlie Craig et David Mullins.
Le Colorado interdisant la discrimination pour des raisons d'orientation sexuelle, Jack Philips et le Masterpiece Cakeshop ont été déboutés, le tout se retrouvant en Cour suprême.
Lundi et mardi dernier, les magistrats entendaient les arguments de Jack Philips, selon lesquels ses libertés de croyance et de libre expression ont été bafoués par la cour d'appel du Colorado.
Et ainsi commence la comédie.
Le cœur du moyen d'appel, appuyé par ailleurs par le procureur général des États-Unis nommé par Trump, « c'est qu'une pièce montée est une œuvre d'art », écrit Jeffrey Toobin.
Le forcer à créer des œuvres contraires à ses convictions religieuses revient à forcer un poète à écrire des vers; de telles contraintes à la liberté d'expression sont contraires au premier amendement, plaide l'avocate du pâtissier, Kristen Waggoner.
Jusqu’où va l’acte artistique?
En face, c'est la juge Ruth Bader Ginsburg qui lance la première salve : est-ce que celui qui conçoit les faire-part est aussi un artiste? Le cas échéant, pourrait-il refuser de servir des clients gais?, rapporte le New Yorker.
Et alors que l'avocate Waggoner hésite, c'est la juge Elena Kagan qui en rajoute : « Tiens, d'ailleurs, qu'en serait-il du bijoutier qui produit les joncs nuptiaux ? »
La juge ne faisait que s'échauffer, écrit le journaliste Toobin.
« Et la coiffeuse? Est-elle aussi une artiste? »
Cela a eu l'heur de réveiller la plaideuse, qui répond que « non, absolument pas, il n'y a pas de liberté d'expression dans ce contexte ».
--La maquilleuse? (en anglais, make-up artist)
--Mais non, voyons!
--Pourtant, on l'appelle une ''artiste'' du maquillage.. (It's a make-up artist...)
C'est le moment que l'auditoire choisit pour crouler de rire, selon le New Yorker.
Mais la juge Kagan ne faisait que commencer : « Que dire du chef cuisinier, qui prépare le repas nuptial? »
--Ce n'est pas un artiste, répond Kristen Waggoner.
--Ah non? Donc, le pâtissier exerce son droit à la liberté d'expression, mais pas le chef cuisinier?
– …
Bref, écrit Jeffrey Toobin, il a été difficile à Jack Philips d'invoquer la protection constitutionnelle en se réfugiant derrière la créativité artistique alors que plusieurs métiers exigent une certain créativité.
Sans quoi, n'importe quel commerce de détail peut faire preuve de discrimination envers ses clients, si les pâtissiers peuvent le faire, poursuit le juge Stephen Breyer : « Nous vous posons ces questions parce qu'on a besoin d'avoir une ligne de démarcation claire qui évitera qu'on ne sape toutes les dispositions protégeant les droits civiques », en rendant une décision favorable au pâtissier, peut-on lire dans le New Yorker.
Et surtout, quiconque subi de la discrimination de la part de cuisiniers, d'ébénistes ou d'architectes, dit le juge Breyer en substance, pourrait bien être une victime constante de telles pratiques.
Tant Kristen Waggoner que Noel Francisco, plaidant pour le compte du procureur général des États-Unis, n'ont pu établir clairement où les juges pouvaient tracer la ligne, observe le New Yorker.
Le journaliste du magazine analyse que la décision finale pourrait revenir au juge Anthony Kennedy, rédacteur de toutes les décisions d'importance pour la communauté gaie, dont l'arrêt Obergefell qui a légalisé le mariage entre conjoints de même sexe.
Le juge Kennedy a d'ailleurs demandé aux appelants si le pâtissier aurait pu mettre une affiche annonçant « Pas de pièces montées pour les mariages gais », et si cela constituerait un affront à la communauté homosexuelle.
Il reste que « les mémoires d'appels déposés contenaient plein de témoignages vantant la valeur artistique du glaçage à gâteau, et les plaidoiries se sont parfois égarées dans les parages métaphysiques », écrit le journaliste Toobin. Par exemple, est-ce que le gâteau d'un gamin qui se lit « Joyeux anniversaire » est l'oeuvre du pâtissier, ou des parents du gamin?
« Mais le message qu'on a pu comprendre de ces audiences, au final, est troublant, conclut le New Yorker : les pratiques discriminatoires sont bien vues par l'Administration Trump, et pourraient bien l'être aussi pour la Cour suprême. »
2 commentaires
Legal Counsel
il y a 6 ansI love how, if nothing else, this case is forcing these straight-laced social conservatives to argue that they're not just bakers, they're cake artists. Their homophobia has caused them to break out an argument that is so stereotypically "gay" that it approaches cliché levels.
Anonyme
il y a 6 ansFull blown laughs in perspective...