François Legault, le premier ministre du Québec.
François Legault, le premier ministre du Québec.
Le projet de loi sur la laïcité de l'État que le ministre Simon Jolin-Barrette a déposé jeudi à l'Assemblée nationale comprend une clause de droits acquis protégeant les employés de l'État portant déjà des signes religieux et une disposition de dérogation pour soustraire la loi à une dizaine d'articles de la Charte canadienne des droits et libertés.

Tel que prévu, le projet de loi ne se contente pas d’interdire le port de signes religieux aux employés de l’État en position de coercition (juges, policiers, procureurs de l'État) et aux enseignants des écoles primaires et secondaires du réseau public, tel que promis en campagne électorale.

Cette exigence est étendue aux directeurs d’école et à leurs adjoints, au président et aux vice-présidents de l’Assemblée nationale, à tous les agents de la paix exerçant des fonctions au Québec et aux membres, commissaires ou régisseurs de différents organismes gouvernementaux. Les juges de paix fonctionnaires et d'autres employés de l'État oeuvrant dans le système de justice (greffier, shérif, etc.) sont aussi visés.

Le projet de loi précise cependant qu'il revient au Conseil de la magistrature de traduire les exigences de l'État en matière de laïcité pour les juges de la Cour du Québec, du Tribunal des droits de la personne, du Tribunal des professions et des cours municipales et les juges de paix magistrat.

La Charte des droits et libertés de la personne du Québec sera pour sa part modifiée afin qu'elle stipule « que les libertés et droits fondamentaux doivent s'exercer dans le respect de la laïcité de l'État ».

Le projet de loi 21 reprend par ailleurs le principe d’une loi adoptée par le gouvernement Couillard en octobre 2017, selon lequel tous les services gouvernementaux doivent être livrés et reçus à visage découvert. L’article en question a été suspendu l’été dernier par la Cour supérieure du Québec.

Extrait du préambule du projet de loi 21

La laïcité de l’État repose sur quatre principes, soit la séparation de l’État et des religions, la neutralité religieuse de l’État, l’égalité de tous les citoyens et citoyennes ainsi que la liberté de conscience et la liberté de religion. Il prévoit que les institutions parlementaires, gouvernementales et judiciaires sont tenues de respecter ces principes dans le cadre de leur mission.

Décrocher le crucifix

Le gouvernement Legault a par ailleurs annoncé en début de journée qu'il est prêt à retirer le crucifix du Salon bleu de l'Assemblée nationale, où siègent les députés, après l'adoption de son projet de loi. Il s'agit d'une volte-face de la CAQ, qui affirmait encore récemment que ce symbole patrimonial ne devait pas être déplacé.

« On fait un compromis sur le crucifix, on fait un compromis sur la clause des droits acquis pour rassembler le maximum de Québécois. C’est ça qui est mon objectif. Je veux que ce débat se fasse sans dérapage ou avec le moins de dérapage possible, de façon sereine », a indiqué François Legault, le premier ministre du Québec.

« Impensable qu’une société libre légitimise la discrimination », s'offusque Trudeau

Le premier ministre canadien Justin Trudeau n'a pas tardé à faire savoir son vif désaccord face à l'approche choisie par le gouvernement Legault.

« On va regarder le projet de loi d’abord. Mais laissez-moi dire que le Canada est un pays laïque, un pays qui respecte profondément les libertés individuelles, la liberté d’expression, de conscience et de religion. Le Québec l’est aussi », a-t-il commenté.

Il est attendu que le projet de loi sera contesté par le Parti libéral, qui s’oppose à toute interdiction du port de signes religieux, et Québec solidaire, qui préconise officiellement le respect des recommandations faites il y a plus de 10 ans par la commission Bouchard-Taylor.

Cette commission sur les pratiques d'accommodement reliées aux différences culturelles proposait d'interdire le port de signes religieux aux juges, aux procureurs, aux policiers, aux gardiens de prison, ainsi qu'au président et aux vice-présidents de l'Assemblée nationale.

La CAQ pourrait cependant obtenir l’appui du Parti québécois, qui préconisait aussi l’interdiction du port de signes religieux pour les personnes en situation d’autorité et les enseignants des écoles primaires et secondaires du secteur public en campagne électorale.

Le fait que la CAQ n’entend pas étendre l’interdiction de ces signes aux enseignants des écoles privées pourrait toutefois constituer une pomme de discorde.

Le projet de loi de la CAQ créera assurément des vagues, particulièrement dans le milieu de l'éducation, où se trouve la majorité des employés de l'État qui perdront des droits lorsqu'il sera en vigueur.