Pour ma chronique mensuelle, j'avais envie de vous parler de quelque chose de positif. Un beau projet qui mérite d'être connu. Une initiative qui a le potentiel d'aider tellement de jeunes. Je vais vous parler du Projet Sexto.
Des adolescents aux prises avec la justice
À cause de mon statut d'avocate criminaliste, on me questionne beaucoup à ce sujet. La question des textos et des sextos en droit criminel revient de plus en plus fréquemment. J'ai souvent, dans ma pratique, représenté des adolescents qui se sont retrouvés aux prises avec des accusations criminelles en lien avec des sextos.
Souhaitant éviter, ne serait-ce qu'à un seul adolescent, de subir l'épreuve que constitue le processus judiciaire, je me suis d'abord renseignée sur le sujet pour voir ce que je pouvais faire. C'est là que j'ai voulu m'entretenir avec les gens qui ont créé le Projet Sexto.
En collaboration avec Me Maxime Ouellette, procureur au Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) et son équipe, on vous présente ce superbe programme qui a vu le jour à Saint-Jérôme. Ils ont d’ailleurs collaboré au présent texte.
C'est quoi, le Projet Sexto?
Le Projet SEXTO est un partenariat entre les écoles, les services de police et le DPCP. Le but est de prévenir et sensibiliser les élèves de niveau primaire et secondaire au phénomène grandissant du sextage. Le programme offre une méthode d’intervention novatrice qui permet de contrer rapidement et efficacement le fléau du sextage et de limiter les répercussions importantes qu’il peut occasionner. (Source : https://pasobligedetoutpartager.info/)
Plusieurs autres partenaires ont été impliqués dans ce projet : le Centre canadien de la protection de l’enfance, l’Association québécoise Plaidoyer-Victimes, le CAVAC, etc.
Le programme sexto permet aux écoles et aux services de police de la province du Québec d’intervenir face au phénomène du sextage chez les adolescents. Il permet de le faire dans un cadre défini, avec des outils et une démarche d’intervention novateurs et uniques. Il contribue également à identifier rapidement la nature et l’étendue des situations auxquelles ils doivent faire face afin d’agir efficacement auprès des adolescents impliqués.
Le problème du sextage : une question de délai
La méthode d’intervention du Projet Sexto permet de limiter et de faire cesser la propagation des images d’élèves qui revêtent un caractère sexuel. Elle permet également de réduire le délai d’intervention lorsque ces situations surviennent. On évite ou on diminue ainsi les conséquences pour les victimes et les autres jeunes concernés.
Avant la mise en place de la méthode d’intervention du Projet Sexto, le délai de traitement moyen de ce type de dossier (intervention scolaire, policière et judiciaire) pouvait prendre plusieurs mois, voire plus d’une année. Avec la méthode d’intervention Sexto, dans la majorité des dossiers, le délai moyen a été réduit à environ 4 jours seulement. Imaginez la différence que cela peut faire pour les victimes.
L’application de cette méthode d’intervention permet également de sensibiliser les élèves de niveau secondaire du territoire de la province de Québec, ainsi que leurs parents, au phénomène du sextage chez les adolescents.
Le sextage et le droit criminel canadien
Le phénomène du sextage chez les adolescents se définit comme le fait, pour une jeune personne de moins de 18 ans, de créer, de posséder ou de partager des photos ou des vidéos à caractère sexuel entre eux via les technologies de l’information et de la communication.
En droit criminel canadien, le sextage entre adolescents peut constituer une forme de pornographie juvénile. Les adolescents s’exposent ainsi à la commission de plusieurs infractions criminelles. En effet, puisqu’ils sont âgés de moins de 18 ans, les images et vidéos que les jeunes prennent d’eux-mêmes peuvent correspondre à la définition de la pornographie juvénile. Ce sera le cas, entre autres, si les jeunes que l’on voit sur les images y apparaissent nus ou se livrant à des activités sexuelles explicites.
Les infractions principales sanctionnées par le Code criminel canadien sont la production, la distribution, la possession ainsi que l’accès à la pornographie juvénile. D’autres infractions connexes sont susceptibles d’être commises par les jeunes qui se livrent au sextage, comme par exemple le leurre informatique, le fait de proférer des menaces ou encore de l’extorsion.
La meilleure avenue pour traiter les cas de sextage?
Bien que le traitement des infractions commises par les personnes d’âge mineur doit être adapté en fonction de l’esprit, et en regard des dispositions de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (ci-après LSJPA), nous pouvons nous questionner à savoir si la judiciarisation est toujours l’avenue la plus appropriée dans les cas de sextage chez les adolescents.
Le Projet Sexto a été élaboré en conformité avec les principes et objectifs de la LSJPA, afin d’intervenir légalement, rapidement et efficacement pour corriger le comportement délictueux des adolescents. Il répond aux besoins de ces derniers et les aide dans leur développement. Il tient également compte des intérêts des victimes et favorise la responsabilité des adolescents. Ceci peut être fait par la prise de mesures offrant des perspectives positives, de même que par la réadaptation et la réinsertion sociale.
Les obligations des écoles
La problématique du sextage chez les adolescents débute souvent en dehors du temps passé dans les établissements scolaires, soit la fin de semaine ou en soirée. Cependant, les répercussions se font souvent ressentir à l’école. En effet, les jeunes risquent d'en parler entre eux ou encore de se confier à un intervenant de leur école. À ce moment, ça devient la responsabilité de la direction et des intervenants de prendre charge de la situation. Ils doivent protéger l’intégrité physique et psychologique des élèves impliqués, tout en conservant un climat propice à l’apprentissage.
En 2012, la Loi sur l’instruction publique et la Loi sur l’enseignement privé furent modifiées par la Loi visant à prévenir et à combattre l’intimidation et la violence à l’école. Ces lois prévoient maintenant l’obligation, tant pour les établissements d’enseignement publics et privés, d’adopter et de mettre en œuvre un plan de lutte à l’intimidation et à la violence en milieu scolaire. Afin d’assurer le succès de cette opération, des protocoles d’entente ont été signés entre les établissements scolaires et les services de police.
La trousse d'intervention du Projet Sexto
Dans le but d’aider les établissements scolaires à affronter toute forme d’intimidation et de violence liée au phénomène du sextage, une trousse d’intervention a été conçue dans le cadre du Projet Sexto. Cette trousse contient les étapes de la démarche d’intervention Sexto, un document de référence légale, une grille d’évaluation de l’incident. Elle contient aussi un guide et des outils de prévention adressés aux adolescents et à leurs parents.
Projet Sexto : le rôle des intervenants en milieu scolaire
Il est important de noter que les intervenants scolaires ne sont pas mandataires du service de police. Ils agissent en regard de leurs devoirs et obligations prévus à la Loi sur l’instruction publique et à la Loi sur l’enseignement privé. Les intervenants scolaires et la direction des écoles sont les acteurs de première ligne lorsqu’un cas de sextage est dénoncé en milieu scolaire. Ils sont les premiers à intervenir auprès des élèves impliqués. Leur rôle est de dresser rapidement un portrait de la situation en suivant les étapes suggérées dans la trousse d’intervention Sexto. De cette manière, ils sont en mesure de déterminer le nombre d’élèves impliqués, leur identité et l’intervention à privilégier. Ils sont également appelés à collaborer avec le service de police.
Projet Sexto : le rôle du service de police
Le service de police avisé d’un cas de sextage dans une école de son territoire doit intervenir rapidement et prendre en charge la suite de l’intervention. Il veillera à recueillir l’ensemble des renseignements pertinents au traitement du dossier. Puis, il saisira les appareils électroniques confisqués par l’école, s'il y a lieu. Il communiquera l’ensemble des renseignements à un procureur du DPCP afin d’évaluer l’orientation à privilégier pour la suite du dossier.
Un procureur du DPCP, suite à la réception de l’ensemble des renseignements fournis par le service de police, s’assurera que le dossier soit complet. Il suggèrera alors une orientation du dossier en regard de l’ensemble des circonstances. Dans la majorité des cas, la rencontre de sensibilisation Sexto est privilégiée à la judiciarisation. Dans les cas où le procureur estime qu’il y a apparence de malveillance, une enquête policière traditionnelle est alors suggérée.
La rencontre de sensibilisation Sexto
La rencontre de sensibilisation Sexto est une intervention éducative et une mesure non judiciaire qui vise à sensibiliser les jeunes aux conséquences importantes du sextage et de la possible nature criminelle de leur comportement.
Voici un tableau résumant la méthode d’intervention Sexto :
Où en est le Projet Sexto?
C’est aujourd’hui douze corps policiers des régions des Laurentides, de Lanaudière et de Laval, ainsi que six commissions scolaires et huit écoles privées de ces mêmes régions, qui appliquent la méthode d’intervention Sexto au Québec. L’équipe de coordination du projet Sexto, composée de Me Marc Forgues, procureur en chef-adjoint du Bureau des affaires de la jeunesse (DPCP), Me Maxime Ouellette et Me Louis-David Bénard, procureurs au Bureau des affaires de la jeunesse (DPCP), ainsi que le lieutenant Serge Boivin et l’agent aux relations médias et aux affaires communautaires Robin Pouliot, tous deux du Service de police de la Ville de Saint-Jérôme, veillent présentement à assurer le déploiement du projet au niveau provincial.
Que vous pratiquiez ou non en droit criminel, il est toujours bon de valoriser et mettre en lumière des initiatives comme celle-ci. Des initiatives qui connaissent du succès et ont des répercussions concrètes sur notre société. Je suis impressionnée par ce beau projet et les gens qui l'ont créé. C'est pourquoi je tenais à utiliser cette tribune pour souligner leur implication auprès de nos jeunes. N'hésitez pas à partager cet article pour contribuer à votre tour à faire connaître le Projet Sexto.
Si le Projet Sexto devait être résumé en une seule phrase, ce serait la suivante : « Le projet Sexto est un projet de bienveillance qui met au cœur de ses priorités les victimes et les adolescent(e)s, tout en favorisant l’éducation à la judiciarisation. »
Pour obtenir davantage d’informations sur le projet Sexto, consultez le site Internet du projet à l’adresse : www.pasobligedetoutpartager.info
Sur l’auteure
Me Julie Couture est avocate criminaliste depuis 2003. Elle a fait ses débuts avec l'honorable juge Marco LaBrie et l'honorable Alexandre St-Onge tous deux maintenant juge à la Cour du Québec. Fondatrice de Couture avocats, elle pratique en droit criminel et pénal exclusivement.
Maître de stage pour le barreau du Québec, elle a longtemps formé les jeunes avocats et avocates criminalistes ce qui lui a aussi permis d’avoir trois enfants. Entrepreneure depuis le début de sa pratique du droit, et très présente sur le web, elle pourra partager ses expériences afin d'aider le plus possible la communauté juridique. Elle a longtemps commenté l'actualité dans le Journal de Montréal comme l'avocate du journal et dans son blogue juridique en plus de plusieurs passages à la télévision.
Me Julie Couture est avocate criminaliste depuis 2003. Elle a fait ses débuts avec l'honorable juge Marco LaBrie et l'honorable Alexandre St-Onge tous deux maintenant juge à la Cour du Québec. Fondatrice de Couture avocats, elle pratique en droit criminel et pénal exclusivement.
Maître de stage pour le barreau du Québec, elle a longtemps formé les jeunes avocats et avocates criminalistes ce qui lui a aussi permis d’avoir trois enfants. Entrepreneure depuis le début de sa pratique du droit, et très présente sur le web, elle pourra partager ses expériences afin d'aider le plus possible la communauté juridique. Elle a longtemps commenté l'actualité dans le Journal de Montréal comme l'avocate du journal et dans son blogue juridique en plus de plusieurs passages à la télévision.
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