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Toge et baguettes : la face B d’une carrière en droit

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Élisabeth Fleury

2025-07-18 15:00:21

Créer un cabinet en pleine crise ou monter un groupe dans un sous-sol : deux paris insensés, une même détermination. Dialogue sur la prise de risque version père-fils…

Me André Comeau et Chuck Comeau, batteur du groupe Simple Plan.

Ils sont à la fois très proches et à mille lieues. Droit-inc s’est entretenu avec Me André Comeau, l’avocat, mais aussi le philanthrope et le père d’un musicien célèbre.

Me André Comeau est le père de Charles, mieux connu sous le nom de Chuck Comeau, batteur emblématique du groupe Simple Plan.

Droit-inc propose ici de raconter leur histoire, de présenter ces deux parcours exceptionnels, menés avec la même passion et la même détermination.

La naissance d'un cabinet audacieux

Le parallèle est apparu de façon évidente à Me Comeau lorsqu’il a visionné pour la première fois le documentaire soulignant les 25 ans de Simple Plan, disponible depuis quelques jours sur Prime Video.

« Quand j’ai vu le documentaire, je me suis revu en 1998, quand je venais de fonder mon cabinet avec des amis avocats », se remémore Me Comeau, qu’on peut voir et entendre dans Simple Plan: de la foule à la scène.

Pour l’avocat, cette période a été « intense » et empreinte d'une « certaine fébrilité ». Elle faisait suite à la dissolution du cabinet Hébert Denault, où il avait œuvré pendant 15 ans. La crise du verglas, en janvier et février 1998, avait paralysé l'activité des municipalités, clientes privilégiées du cabinet.

« Les villes s'occupaient de déglacer les rues, de couper les arbres, elles ne pensaient pas à des projets à réaliser », explique-t-il.

Cette accalmie forcée a engendré des inquiétudes et un associé a choisi de partir, mais Me Comeau, « avec les avocats plus jeunes », a pris la décision « audacieuse » de continuer en conservant la vision du cabinet dédié aux municipalités du Québec.

Et ils ont réussi. Plus de 25 ans plus tard, DHC Avocats pratique toujours le droit municipal « de façon très intensive ».

Le cabinet d’une trentaine de procureurs fait aussi du droit du travail depuis 1998, héritage de son mariage avec les avocats Pierre G. Hébert et Paul Dupéré, spécialisés dans le domaine. « Une très bonne combinaison », estime Me Comeau.

Me André Comeau et Chuck Comeau
Mis à l’épreuve dès l’an 2000


L'audace du cabinet a été mise à l'épreuve dès l'an 2000, lorsque le gouvernement de Lucien Bouchard a décrété la fusion de Longueuil et de Montréal, faisant disparaître du jour au lendemain de nombreuses villes clientes comme Boucherville, Saint-Hubert, Saint-Bruno et Brossard.

« C'était un peu inquiétant », admet Me Comeau.

Mais le cabinet a su s'adapter.

« En 2002, avec l'entrée en vigueur des nouvelles lois qui créaient les nouvelles villes de Longueuil et de Montréal, j'ai travaillé beaucoup avec ces deux villes-là, et on avait déjà Laval comme cliente. On était donc avocat pour Montréal, Longueuil et Laval, c'était pas si mal! Et il y avait la Communauté urbaine de Montréal qui devenait la Communauté métropolitaine de Montréal, que je représentais aussi. On s'en est finalement bien tiré! » se félicite Me Comeau, sans cacher sa fierté.

Un cabinet « unique »

Selon lui, le cabinet se distingue par une caractéristique « unique au Québec », établie dès 1983. L’avocat avait alors quitté un cabinet précédent (Viau Bélanger Hébert, devenu Bélanger Sauvé) pour se préserver des conflits d'intérêts.

« On était régulièrement sollicité pour convaincre nos villes de se laisser poursuivre par d'autres secteurs du bureau, comme ceux des assurances ou de l’immobilier. C'était des discussions un peu impossibles à régler », partage-t-il.

La décision a donc été prise de dédier le bureau exclusivement aux villes, sans jamais les poursuivre, qu'elles soient clientes ou non. Une philosophie qui perdure depuis 1983 et qui a guidé la fondation du nouveau cabinet en 1998.

Le droit municipal pratiqué chez DHC Avocats concerne notamment le zonage, la fiscalité et les évaluations foncières, souvent contestées, mentionne Me Comeau. Les interventions sont variées, nécessitant des collaborations avec différents professionnels: ingénieurs, comptables, spécialistes en ressources humaines…

« Disons qu’on ne s'ennuie pas beaucoup dans le monde municipal », résume Me Comeau, soulignant la complexité d'un droit « foisonnant » et en constante évolution.

Des causes diverses

Parmi ses causes marquantes, Me Comeau cite l'acquisition des Terres Miner par la Ville de Granby pour un développement urbain, une affaire contestée en cour mais finalement reconnue par le tribunal en 2013. «Ça a donné un nouvel essor à la Ville », dit-il.

Il se souvient aussi d’avoir, il y a 30 ans, « sauvé la ligne d'autobus de l'Île des Sœurs pour qu'elle continue de desservir le centre-ville plutôt que d’être rabattue à la station de métro à Verdun ».

Plus récemment, il a représenté la MRC des Laurentides lors de l'abolition du Service de police de la Ville de Mont Tremblant, obtenant la confirmation de la décision du ministère de la Sécurité publique d’intégrer le corps de police à la Sûreté du Québec.

Aujourd’hui, Me Comeau a levé la pédale, mais il pratique toujours. Il travaille entre autres pour l’Autorité régionale de transport métropolitain et agit comme conseiller à l'éthique pour les élus de la Ville de Montréal depuis 2020, entre autres.

L’année 2023 a été pour lui une « grosse année »: le cabinet a fêté ses 25 ans, lui, ses 50 ans de carrière, et le Barreau du Québec l’a nommé avocat émérite.

Le cheminement de Charles : du sous-sol de la maison familiale au succès mondial

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Retournons en 1998. Alors que Me Comeau voyait la dissolution de son ancien cabinet comme « la fin du monde » et la perspective de recréer un nouveau cabinet comme un défi « énorme », son fils Charles se posait des questions sur son avenir.

Me Comeau avait toujours prôné l'importance d'un diplôme universitaire pour ses enfants. Mais l'histoire lui a « joué un tour ».

Devant l’insistance de Charles, qui avait alors 13 ou 14 ans, ses parents lui ont acheté une batterie pour son anniversaire. « On avait un peu hésité. Est-ce qu’on avait vraiment envie d’avoir une batterie à la maison? Finalement, on s’est dit qu’on préférait avoir la batterie à la maison qu’ailleurs », raconte Me Comeau.

« Dès que la batterie est arrivée, les amis sont arrivés, les guitares sont arrivées, les amplis sont arrivés et quelques semaines plus tard, il y avait de la musique. Et c’était vraiment de la musique qui avait du bon sens, les gars avaient du talent », se souvient l’avocat.

La maison s'est habituée au son, avec une seule règle : « À 22h, il fallait que ce soit fini parce qu'on écoutait le Téléjournal! »

L’appel de la musique

Pendant des années, le débat a été constant : Charles voulait lâcher l'école pour la musique. « À chaque soir, il me disait: je lâche l'école », se remémore son père, qui a adopté une approche pragmatique avec l'aide pédagogique de l’école que fréquentait Charles.

« Elle m’appelait parce que Charles voulait un congé de 15 jours pour aller en tournée jusqu’à Vancouver. Je lui disais: écoutez, si vous le laissez pas aller, il va lâcher l'école, ce qui n'est pas souhaitable pour personne! »

Charles a fini par s'inscrire en droit à McGill de sa propre initiative, avec enthousiasme, selon son père. Mais un jour, lors d'un dîner, il a annoncé sa décision à son père : il abandonnait le droit pour la musique. « Il ne voulait plus attendre, c’était maintenant. Il avait 19-20 ans, on ne pouvait plus s'objecter ou s'opposer. »

Charles s'est alors mis à travailler à temps plein sur son groupe, écrivant à tous les acteurs de l'industrie musicale aux États-Unis, rapporte son père.

Des débuts difficiles

Comme Me Comeau l’avait vécu lors de la création de son cabinet, les débuts n’ont pas été faciles pour Charles et Simple Plan.

En vacances à Hawaï avec sa famille, en janvier 2001, Charles a reçu un appel de la vice-présidente de Sony Canada lui annonçant que le nouveau président n'aimait pas sa musique et ne signerait pas le groupe. « C'était un peu la catastrophe, il comptait beaucoup là-dessus. »

Intérieurement, Me Comeau souhaitait que son fils se réinscrive à l'école. « Je ne voulais pas nécessairement qu’il soit avocat, juste qu’il ait un diplôme universitaire. Après, il ferait bien ce qu’il voudrait. »

Mais Charles était déterminé. « Il me disait: “Papa, je suis pas un looser, et l'Université McGill va être encore là si ça ne marche pas.” »

Mais ça a marché. À force d’y croire, les membres de Simple Plan ont fini par décrocher un contrat et à sortir un premier album, No Pads, No Helmets... Just Balls, avec le label Lava de Warner en 2002. Ils enchaînent depuis les tournées mondiales.

Une relation exceptionnelle

Me Comeau a la chance d'avoir une relation exceptionnelle avec son fils. « On se parle le matin et le soir. Quand on saute une journée, on est inquiet. »

Quoi qu’en dise la chanson « Perfect » de Simple Plan, Me Comeau a toujours appuyé le rêve de son fils, même s'il le voyait initialement comme « plutôt utopique ». « Pour Charles, c'était un rêve qu'il allait vraiment réaliser. Sa passion et sa détermination étaient fascinantes. »

Le succès de Simple Plan n'a pas été sans défis. Il a fallu à Charles et à son groupe une « féroce persévérance », témoigne Me Comeau.

« Au début, ils ont connu une grande popularité au Japon, en Indonésie, en Australie, mais aux États-Unis, ça a été très long. Ils ont dû faire des tournées dans des petites villes pour se faire jouer à la radio et augmenter leurs ventes. Finalement, la radio les a fait connaître, leur permettant de vendre 10 millions d'albums dans le monde », se réjouit Me Comeau.

L'aventure de Charles a profondément enrichi la vie de son père. « C'est un sujet de conversation inépuisable, je peux vous raconter plein d'histoires de Simple Plan », dit celui qui a transporté la batterie de son fils dans sa Volvo et qui a voyagé dans de nombreuses destinations pour suivre les shows du groupe.


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Un lien indéfectible : la philanthropie


C'est aussi grâce à Charles que Me Comeau a découvert le monde de la philanthropie.

Au début de 2002, Charles a demandé à son père une boîte postale pour le courrier des fans. Très vite, des « caisses de courriers » se sont accumulées. En triant les lettres, Me Comeau a été frappé par la détresse de certains jeunes.

« Il y avait peut-être 10-15% des lettres qui étaient tristes, des jeunes qui disaient que rien n'était intéressant dans leur vie, que la seule chose qui les retenait, c'était d'écouter la musique de Simple Plan. »

Face à cette détresse, Me Comeau a réalisé le rôle social essentiel de la musique et s’est dit qu’il fallait « faire quelque chose ». Charles était partant.

Plus tard, alors que Charles était à l'autre bout du monde, il a appelé son père: « Papa, on fait le Centre Bell en décembre 2005, on va annoncer la création d'une fondation pour les jeunes, organise-toi pour que ça marche! »

C'est ainsi que la Fondation Simple Plan a vu le jour pour venir en aide aux jeunes en difficulté. Depuis 2005, la fondation redistribue entre 200 000$ et 300 000$ par année à différents organismes qui travaillent auprès des jeunes, les soignent ou leur enseignent la musique.

Cette incursion dans la philanthropie a été une révélation pour Me Comeau.

« Les relations, quand tu quêtes de l'argent ou que tu en donnes, sont complètement différentes de tes relations professionnelles. C’est un exercice qui demande de l’humilité et qui créé beaucoup d'humanité dans ta vie », observe l’avocat.

« La soirée la plus intéressante de mon année, c'est quand on a décidé à qui on donnait notre argent et que je faisais des chèques pendant toute la soirée pour distribuer notre 300 000 $ », partage le philanthrope.

Une vie plus riche grâce à son fils
Chuck Comeau


La vie de Charles et de son groupe a pimenté la sienne, confie Me Comeau.

« Charles dit toujours que j'ai un bon argument de vente avec Simple Plan », rigole celui qui se perçoit maintenant comme « le père de Charles ». « Je n'ai plus aucune identité! » s’amuse-t-il.

Quoi qu’il en soit, le parcours de Charles a rendu la relation père-fils, déjà forte, « encore plus intense, plus complète, plus intéressante », se réjouit l’avocat.

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