Me Sana Halwani. Photo : LinkedIn
Me Sana Halwani. Photo : LinkedIn
Depuis quelques années, l’avocate Sana Halwani, associée à la boutique de litige torontoise Lenczner Slaght, remarquait que chaque fois qu’on lui demandait de référer un.e collègue, parce que son cabinet était en conflit d’intérêts par exemple, c’était toujours un homme qui lui venait en tête en premier.

« Même moi, qui ai un intérêt particulier pour la diversité dans la profession… les premiers noms auxquels je pensais, c’était vraiment souvent des hommes âgés, blancs! » lance-t-elle.

Cela l’a fâchée, et elle a décidé d’agir. L’an dernier, elle a commencé, avec son associée Shara Roy, à mettre sur pied une liste de toutes les avocates qui étaient des références dans leur domaine de droit, en litige.

« J’ai souvent dit (dans l’ancien temps, quand on avait encore des bureaux et des imprimantes!) : ça serait vraiment super, d’avoir une liste de noms affichée près de mon bureau, et chaque fois qu’on me demande de référer quelqu’un, je pourrais la regarder, comme un aide-mémoire! »

La première liste de « ReferToHer », lancée en juin 2019, contenait 177 noms d’avocates en litige à travers le Canada, tous classés par catégorie de droit. En cours de route, McCarthy Tétrault s’est joint au projet, pour gérer le volet de droit corporatif, notamment.

« Plusieurs de nos avocates en litige se sont retrouvées sur cette liste », explique Me Sonia Struthers, associée au sein du groupe du droit des affaires de Montréal, chez McCarthy Tétrault (dont le nom se retrouve sur deux listes dans le volet corporatif : « valeurs mobilières et marchés des capitaux », ainsi que « transactions et réglementations des institutions financières »).

« Nous avons vu qu’il manquait une partie corporative, poursuit-elle. Nous avons communiqué avec Lenczner Slaght, pour leur demander si on pouvait leur emprunter leur idée. Et on s’est dit : pourquoi ne pas le faire ensemble? »

Me Shara Roy. Photo : LinkedIn
Me Shara Roy. Photo : LinkedIn
La liste est maintenant bilingue (« RéfèrElle », en français), et contient plus de 400 noms d’avocates à travers le Canada, provenant d’une multitude de cabinets différents. Elle est divisée en neuf catégories dans le volet corporatif, et en dix autres dans le volet litige.

Les règles pour en faire partie? Être une avocate reconnue dans son domaine, en étant soit associée, soit avocate senior ou encore en pratique solo, et être référée par une avocate dont le nom se retrouve déjà sur la liste (mais qui ne travaille pas dans le même cabinet).

« L’idée, c’est d’amener sur la liste des femmes en qui on a confiance, qui sont les meilleures dans leur domaine, et qu’on se sent en confiance de référer », explique Me Halwani.

Cette dernière insiste : RéfèrElle n’est pas un énième classement comme Chambers ou Best Lawyers, ni une façon de mettre en valeur un cabinet.

« L’idée, c’est de penser aux femmes, de les avoir en tête, quand on doit référer des dossiers, explique Me Halwani. De se dire : est-ce que cet homme qui m’est venu à l’esprit en premier est vraiment la meilleure personne pour ce dossier? Des fois, la réponse sera oui! Mais des fois, on va réaliser que cette femme à qui on a pensé en deuxième ou en troisième a une expertise que les autres n’ont pas… »

L’avocate en propriété intellectuelle souhaite également que ses collègues réalisent que donner du travail à un.e avocat.e, c’est avoir du pouvoir.

« Soyez intentionnel, quand vous référez un dossier, clame-t-elle. Ne soyez pas seulement en mode automatique. Ce n’est pas juste un dossier que vous envoyez, ça veut aussi dire faire avancer quelqu’un dans la profession. »

Mais pourquoi est-ce si important?

Me Sonia Struthers. Photo : Site web de McCarthy Tétrault
Me Sonia Struthers. Photo : Site web de McCarthy Tétrault
Les références sont souvent le point de départ de l’avancement d’un.e avocat.e dans la profession. Selon une recherche effectuée par le Barreau du Québec en 2017, les femmes représentaient 52% des avocats, mais seulement 15% de celles qui pratiquaient au privé étaient associées (comparativement à 24% chez les hommes).

« Les recommandations sont une part de succès importante dans le succès des avocats », souligne Me Struthers.

Et il y a aussi une grande importance (parfois jugée démesurée) accordée à la personne qui est appelée en premier, qui apporte le dossier au cabinet, rappelle Me Caroline Biron, associée directrice chez Woods, à Montréal – dont le nom se retrouve sur la liste de litige, en droit commercial.

« La facturation, quand est venu le temps de la rémunération, est attribuée à la personne qui a amené le client, la source. »

D’ailleurs, Me Biron ne cache pas que son cabinet réfléchit en ce moment à se délester de l’importance de cette fameuse « source », ou du moins à partager les avantages qui en découlent à tous les avocats qui ont contribué significativement à un dossier.

Elle croit aussi que RéfèrElle pourra améliorer la rétention des femmes au sein de la profession.

« C’est dévalorisant et extrêmement décourageant, quand tu pratiques depuis 15 ans, que c’est ton collègue à côté qui reçoit les appels, et pas toi! » poursuit Me Biron, qui avoue en avoir elle-même souffert.

Me Caroline Biron. Photo : Site web de Woods
Me Caroline Biron. Photo : Site web de Woods
« Beaucoup de femmes se remettent en question, et je les comprends… mais ce n’est pas mérité! On perd des femmes qui ont plein de potentiel, qui sont hyper bonnes. »

En ce sens, Mes Halwani et Biron espèrent que cette liste servira non seulement aux avocats en pratique privée, mais aussi aux conseillers juridiques au sein des grandes entreprises.

« C’est un message que je reçois de plus en plus de la part des conseillers juridiques : il y a un réel désir de diversifier les équipes d’avocats externes, et les entreprises comprennent qu’elles ont beaucoup de pouvoir, à ce titre », précise Me Halwani.

Une réunion virtuelle

Il y a deux semaines, environ 140 des 400 femmes faisant partie de RéfèrElle se sont réunies sur Zoom, pour une soirée. Après un « cocktail » toutes ensemble, les femmes se sont divisées en sous-groupe, selon leur liste respective, pour réfléchir à des enjeux comme : comment référer plus de travail aux collègues BIPOC (noires, autochtones et personnes de couleur), ou encore comment favoriser la rétention des femmes dans la profession.

« Les commentaires que nous avons reçus par la suite étaient tellement positifs! s'exclame Me Halwani. Beaucoup d’avocates nous ont dit : “je ne me suis jamais retrouvée dans une “pièce” avec autant de femmes à tout casser, c’était tellement énergisant!” »