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Quel est le statut légal des mères porteuses au Canada?

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Radio -canada

2020-12-21 10:31:00

Si la pratique est tout à fait légale, la rémunération d'une mère porteuse, elle, est interdite par le Code criminel...

Quiconque rémunère une mère porteuse, au Canada, est passible d'une amende maximale de 500 000$ et jusqu'à 10 ans de prison. Photo : Getty Images
Quiconque rémunère une mère porteuse, au Canada, est passible d'une amende maximale de 500 000$ et jusqu'à 10 ans de prison. Photo : Getty Images
Au pays, les parents infertiles peuvent se tourner vers une mère porteuse pour fonder une famille. Si la pratique est tout à fait légale, la rémunération d'une mère porteuse, elle, est interdite par le Code criminel. La loi fédérale encadre notamment les remboursements des dépenses, mais la législation varie d'une province à l'autre.

« Il faut savoir que la pratique des mères porteuses n’est pas criminalisée. C’est permis au Canada, gratuitement, avec remboursement de dépenses », souligne Louise Langevin, professeure titulaire à la Faculté de droit de l'Université Laval, qui vient tout juste de publier un livre sur l'autonomie procréative des femmes.

La Loi sur la procréation assistée est en vigueur depuis 2004. Selon l'article 6, la rétribution de la mère porteuse est défendue.

« Il est interdit de rétribuer une personne de sexe féminin pour qu’elle agisse à titre de mère porteuse, d’offrir de verser la rétribution ou de faire de la publicité pour le versement d’une telle rétribution », peut-on lire dans le document législatif.

Le message d'Ottawa est clair : le but est d'empêcher « l'exploitation des fonctions reproductives des enfants, des femmes et des hommes à des fins commerciales ».

L'écriture de la loi découle de travaux menés par la Commission d'enquête royale sur les nouvelles techniques de reproduction, dont le mandat était jugé controversé à l'époque. Le rapport a été rendu public en 1993.

Le comité a pris beaucoup de temps avant d'accoucher du rapport, rappelle Louise Langevin. « Ensuite, ç'a pris 10 ans avant qu'on adopte la loi de 2004 sur la procréation assistée qui proposait en quelque sorte un programme d'encadrement », explique la membre du Barreau du Québec.

Selon la loi, il est également prohibé de jouer le rôle d'intermédiaire, de solliciter un paiement ou encore d'inciter une femme à offrir la maternité de substitution.

« Nul ne peut induire une personne de sexe féminin à devenir mère porteuse ni lui conseiller de le devenir », précise-t-on.

Toute infraction est passible d'une amende maximale de 500 000 $ et jusqu'à 10 ans de prison.

Une loi évolutive

Mais le texte de loi ne concerne pas seulement la gestation pour autrui, source de débats depuis des années. Elle encadre également plusieurs aspects de la procréation assistée comme l'achat d'embryon, le clonage et la manipulation génétique.

Certains articles ont mis plus de temps à entrer en vigueur puisqu'ils demandaient des travaux de la part de Santé Canada. Un travail qui a aussi été ébranlé par des batailles juridiques.

En juin 2010, avant même que certains règlements soient clarifiés, la Cour suprême du Canada a tranché en faveur du gouvernement du Québec et a invalidé certaines dispositions qui outrepassent les pouvoirs des provinces.

« Le fédéral n'avait pas le droit de faire ça, il empiétait sur les compétences des provinces, tout ce qui est soins de santé, c'est de compétence provinciale au Canada », indique Louise Langevin, professeure titulaire à la Faculté de droit de l'Université Laval.

De grandes parties de la loi ont donc été déclarées inconstitutionnelles. « Je vous dirais que c’est une loi qui reste des petits morceaux de lambeaux, ce n’est pas une loi qui couvre tous les sujets, parce qu'une grande partie de cette loi a été déclarée inconstitutionnelle », ajoute-t-elle.

La professeure de l'Université Laval qui a étudié le dossier sous toutes ses facettes précise qu'il n'y a donc pas de programme fédéral qui encadre la procréation assistée d'un bout à l'autre du pays. « Ça varie de province en province et c'est pour ça que vous avez des personnes au Québec qui disent : "J'aime mieux aller en Ontario" », soulève-t-elle.

Vers une loi renforcée?

Huit ans plus tard, des zones grises subsistent. Dans un document intitulé Vers une Loi sur la procréation assistée renforcée, produit en 2017, Santé Canada explique son intention de mettre en place des règlements pour l'entrée en vigueur des articles dormants.

Parmi ces articles dormants, il y a le remboursement des frais engagés par les mères porteuses ou les donneurs de sperme.

En juin 2020, le fédéral a émis la liste des indemnisations permises pour les frais engendrés par la mère porteuse ou la perte de revenu de travail. On y retrouve, entre autres, les déplacements, les frais juridiques, l'épicerie, l'accouchement et les médicaments.

Un changement à venir?

Toutefois, certains estiment que c'est insuffisant et que la rémunération des mères porteuses devrait être décriminalisée. C'est pourquoi le député libéral de Mont-Royal, Anthony Housefather, a présenté un projet de loi en 2018.

« Au Canada, on ne peut pas payer pour le sperme ou pour les ovules, donc au bout du compte, il n'y a personne qui fait des dons, alors on fait ça aux États-Unis où ils achètent le sperme et les ovules et il n’y a pas de règles de santé qui sont strictes », souligne-t-il.

Dans son projet de loi mort au feuilleton, il voulait retirer les peines criminelles liées à la rétribution pour les femmes de plus de 21 ans.

Maintenant entre les mains de la sénatrice Lucie Moncion, les chances de voir ce projet de loi être entendu prochainement sont minces. « Tout simplement parce que ce n’est pas un projet qui a une priorité gouvernementale, ce n’est pas un projet qui intéresse nécessairement des partis politiques », affirme-t-elle.

« Il n’y a pas d’urgence à le faire avancer, parce qu’on sait qu’il n'y a pas d’appétit du côté du gouvernement », poursuit Lucie Moncion.

Parmi les craintes des opposants en 2018 : la commercialisation de l'appareil reproducteur de la femme. La sénatrice précise que ce n'est pas l'objectif du projet de loi, mais qu'il est plutôt question de protéger davantage les femmes, les enfants et la société.

« Il y a différentes choses qui touchent les frais qui ont été clarifiées, et il y en a d’autres qui créées certaines zones grises (...) Je suis persuadée qu’il y a des gens qui trouvent le moyen de s'organiser à l’extérieur du système organisé que l’on a », fait-elle savoir, ajoutant que le dossier est encore à l'ordre du jour.

De son côté, la professeur Louise Langevin doute que le Canada puisse un jour autoriser la rémunération des mères porteuses. Les risques de dérapage, selon elle, sont trop nombreux.

« N'oubliez pas qu'au Canada, on ne vend pas notre sang, on ne vend pas nos organes (...) donc ce n'est pas demain matin que les mères porteuses vont être payées. »

« Je comprends qu'il y a des lobbys très forts qui cherchent des utérus, mais bon, ça, c'est une autre histoire », lance-t-elle.
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