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Sur le ring : victoire juridique pour les athlètes féminines des JO

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Audrey Bonaque

2021-08-06 15:00:00

Le Tribunal Arbitral du Sport a tranché en faveur de la boxeuse canadienne qui a pu participer aux Jeux Olympiques. Retour avec l’avocate sur ce combat juridique...

La boxeuse olympienne Mandy Bujold et son avocate, Me Sylvie Rodrigue. Sources : Facebook et site web du cabinet Torys LLP
La boxeuse olympienne Mandy Bujold et son avocate, Me Sylvie Rodrigue. Sources : Facebook et site web du cabinet Torys LLP
À la suite de la décision du TAS, le 30 juin dernier, la boxeuse olympienne Mandy Bujold a pu participer aux Jeux Olympiques de Tokyo.

L'athlète a contesté la décision du Comité international olympique (CIO) qui ne lui permettait pas de participer aux J.O. car elle n'avait pas combattu pendant la phase de qualification pour Tokyo alors qu’elle était en congé de maternité.

Le TAS a ordonné au CIO de prévoir une accommodation pour toutes femmes enceintes ou en congé de maternité durant les périodes de qualification rétroactivement choisie en raison de l’annulation de qualificatifs en 2021.

Le Comité olympique canadien (COC) s’est dit favorable à la décision du TAS.

À ses deuxièmes jeux consécutifs, la boxeuse canadienne s’est inclinée 5-0 face à la Serbe Nina Radovanovic lors de 16es de finale, le 25 juillet dernier.

Nous avons parlé à son avocate, Me Sylvie Rodrigue du cabinet Torys LLP, pour connaître les dessous de cette victoire.

Comment vous en êtes venue à représenter cette athlète d’envergure ?

Depuis cinq ans, Mme Bujold entraîne ma fille qui est boxeuse. Elle m’a contactée le 15 avril dernier, lorsque le groupe de travail du CIO a pris la décision d’annuler les périodes de qualifications et d’utiliser le 11 mois de période rétroactive. Elle m’a contacté pour demander ce que j’en pensais.

J’ai lu la Charte olympique. Pensant que c’était une simple erreur, je lui ai proposé d’écrire au CIO pour qu’ils rectifient la situation. On était convaincue que cela allait être en notre faveur car le CIO avait déjà fait plusieurs déclarations publiques pour des J.O. plus équitables pour les femmes.

On voulait attirer l’attention du CIO sur les faits discriminatoires de la décision pour Mme Bujold mais aussi d’autres athlètes qui pourraient être dans la même situation. C’est une violation des droit fondamentaux qu’une femme est visée en raison de sa grossesse. On voulait demander de prévoir une accommodation comme celle qui a été faite pour Serena Williams au tennis.

Et ensuite ?

J’ai contacté Me Richard W. Pound pour nous aider à acheminer la lettre au CIO. Sans réponse de leur part, j’ai parlé avec mon cabinet pour représenter Mme Bujold en pro-bono. Au cabinet, on traite plusieurs dossiers de manière pro-bono et on défend l’équité pour les femmes.

Malgré plusieurs lettres de rappels, le CIO a pris du temps pour nous répondre. On était supporté par Tricia Smith, présidente du COC et Ryan Savage, président de Boxing Canada.

Le 4 mai, le CIO a pris la position qu’il n’allait pas fournir une accommodation quelconque. Le 5 mai, on a déposé un appel au TAS et en parallèle, le COC a déposé son propre appel. Je représentais les deux appelants.

La procédure alléguait la violation des droits humains, la discrimination sur la base du sexe en violation de la Charte Olympique, en violation du droit suisse et du droit international. Par la suite, il y a eu quelques procédures intérimaires.

Le 2 juin, le tribunal a été constitué avec un arbitre canadien, un arbitre anglais et un arbitre suisse. Le procès s’est déroulé virtuellement sur deux jours, les 24 et 25 juin. Hors contexte pandémique, les procès se font en Suisse.

La décision a été rendue très rapidement. Le TAS a accueilli l’appel du COC et de Mme Bujold. Il a ordonné au groupe de travail du CIO de prévoir une accommodation pour les athlètes féminines qui étaient enceintes ou post-partum durant la période de 11 mois rétroactive.

C'est la première décision dans le domaine du sport qui a un impact majeur sur tous les athlètes. On était bouleversés par l’impact depuis le dépôt de la procédure. D’autres athlètes nous ont contactés pour nous parler de leur histoire. Elles nous disaient que le monde du sport était en retard. C’était un peu comme « me too movement ».

Comme avocate, j'ignorais à quel point ce dossier est historique. C’est la première décision. Toutes les fédérations ne peuvent pas disqualifier une athlète en raison de la grossesse. On parle d’une situation qui est hors du contrôle de l’athlète et qu’il y a une décision rétroactive pour transformer les règles du jeu après le coup.

Comment vous êtes-vous préparés à cette courte bataille juridique ?

Dès que j’ai eu l’approbation du comité pro-bono, j’ai bâti une équipe nationale constituée de Me Emma Loignon-Giroux basée à Montréal, Me Sarah E. Whitmore et Me Lisa K. Talbot qui sont basées à Toronto ainsi que de Me Irfan Kara, spécialisé en sport et basé à Toronto.

À part Me Kara, nous étions des femmes avocates. J’ai choisi les membres de l’équipe en fonction de l’expertise. On était une mer de femmes face à un océan d'hommes. Je m’attendais à ce contraste. il y avait un certain niveau d’arrogance et de condescendance de l’autre côté et je voulais que le ton soit mis. Nous voulions envoyer un message très clair sur le droit des femmes.

Après avoir écrit au CIO, nous avions une semaine pour déposer les preuves et les mémoires. Ce dossier nécessitait plus de 20h de travail par jour, 7 jours sur 7 entre le 5 mai et le 25 juin. L’équipe était très dévouée. En plus des avocats, il y a avait trois étudiants et parajuristes. On était environ huit personnes qui travaillaient à temps plein dans le dossier.

L’ensemble du cabinet et notre clientèle nous soutenait. Tous les avocats du domaine sportif nous proposaient leur aide et nous donnaient des conseils gratuitement car on avait touché une corde sensible. Au Québec, Me Patrice Brunet m’a proposé son aide et nous a aiguillé sur certaines questions.

C’était drainant physiquement et mentalement car très rapidement on s’est rendu compte de l’ampleur du dossier. Plusieurs femmes athlètes comptaient sur nous en plus de Mme Bujold. Il y avait une dimension émotive différente contrairement à la pratique de dossiers corporatifs.

Est-ce que toute la préparation et le procès se sont déroulés en mode virtuel ?

Pour le procès, toute l’équipe du cabinet s’est rassemblée à Toronto. On avait trois salles de conférences montées comme des salles de cours au Cabinet à Toronto pour limiter le nombre de personnes. Ceux qui plaidaient étaient dans une salle, les avocats du sport étaient dans une deuxième salle et la troisième salle était destinée pour le visionnement.

Tout le reste du processus s’est déroulé virtuellement dont la préparation des témoins, la préparation des contre-interrogatoires etc. Certains témoins étaient au Japon, d’autres en Suisse, d’autres à Montréal.

On n'a eu aucune difficulté technique comme telle. Les communications se sont bien passées. Vu que les arbitres étaient dans leurs pays respectifs, on leur faisait livrer par des messagers des copies papiers des procédures.

Quels ont été les principaux défis dans cette bataille judiciaire ?

De mon côté, c'était le dossier le plus demandant émotivement et le plus gratifiant en termes de résultats au cours de mes 29 ans de pratique.

Tout s’est fait rapidement car la décision a été rendue une semaine avant le départ de notre cliente à Tokyo et cinq jours avant la date limite pour inscrire les athlètes dans l'équipe canadienne.

Pendant tout le long des procédures, Mme Bujold devait continuer son entraînement mais on avait besoin d’elle. C’était notre témoin principale. Il fallait communiquer avec ses entraîneurs et psychologues sportifs pour ne pas la distraire. Le principal défi était de maintenir la concentration de l’athlète sur les Jeux et sur sa préparation mentale. Elle était très stressée par le procès et les procédures juridiques.

Le TAS a ses propres règles et procédures auxquelles mon équipe n'était pas familière. Ce n'est pas un tribunal facile et il faut bien connaître les procédures. Les instincts et réflexes habituels de procéder devant un tribunal de droit commun étaient constamment testés.

Notre plus grande surprise fut de voir à quel point la Suisse est en retard concernant les droits des femmes en général contrairement à l’Amérique du Nord. ll fallait être créatif dans nos arguments.

L’objectif principal était que l'accommodation soit donnée avant que les athlètes dans les Amériques reçoivent leur quotas de qualification. On voulait qu’ils ajoutent une athlète et non qu’une athlète déjà qualifiée soit retirée de la compétition. C’est ce qu’ils ont fait car il y a eu 26 athlètes boxeuses dans la catégorie des 48 à 51 kg au lieu de 25 comme il était prévu initialement.

En quoi cette victoire permettra-t-elle de faire avancer les droits des femmes dans les sports ?

Mme Bujold a réalisé que ce combat était plus grand qu’un combat personnel. Ce combat qu’elle a pris sur ses épaules était destiné pour toutes les femmes athlètes. Le même jour et quelques heures après la décision, le CIO et le comité organisateur ont permis à une autre athlète canadienne d’amener son bébé pour pouvoir l’allaiter.

La force majeure ne peut jamais justifier la discrimination. Ce dossier est un précédent qui va servir dans les prochaines années. On va pouvoir apprécier l'ampleur de l’affaire lorsqu’on verra les motifs de la décision qui n’ont pas été encore envoyés.
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1 commentaire

  1. DSG
    I don't get it
    All this time and effort to send an athlete to Tokyo so that she could get demolished 5 to zero. How is this constructive? She should have stayed home with her baby.

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