L'honorable Gérard Dugré. Source: Archives
L'honorable Gérard Dugré. Source: Archives
« En définitive, et pour les motifs énoncés ci-dessus, le Comité est d’avis unanime que l’honorable Gérard Dugré, j.c.s. a commis des inconduites et recommande sa révocation », lit-on dans un récent rapport remis au Conseil canadien de la magistrature.

La recommandation rendue publique le 20 juillet au Conseil canadien de la magistrature (CCM) est sans équivoque: « Le comité d'enquête constitué pour examiner la conduite de l'honorable Gérard Dugré (...) a conclu que la conduite du juge Dugré mine la confiance du public au point de le rendre incapable de continuer à exercer son rôle de juge et recommande donc qu'il soit démis de ses fonctions. »

Le volumineux rapport de près de 300 pages résulte de dizaines de témoignages et d’extraits d’audiences, et constate plusieurs « comportements qui constituent un manquement sérieux à l’honneur et à la dignité de la magistrature » qui militent pour la révocation. Le juge Dugré était sous enquête dans le cadre de quatre plaintes distinctes.

Le juge en chef, N.-B., J.C. Marc Bouchard, la juge en chef, T. N.-O., Louise A.M. Charbonneau, et Me Audrey Boctor. Sources: www.courtsnb-coursnb.ca, Cabinradio.ca et site web d’IMK
Le juge en chef, N.-B., J.C. Marc Bouchard, la juge en chef, T. N.-O., Louise A.M. Charbonneau, et Me Audrey Boctor. Sources: www.courtsnb-coursnb.ca, Cabinradio.ca et site web d’IMK
Le comité d’enquête du CCM était composé du juge en chef du Nouveau-Brunswick J.C. Marc Richard, de la juge en chef de la Cour suprême des Territoires du Nord-Ouest Louise A.M. Charbonneau, et de Me Audrey Boctor, associée chez IMK à Montréal.

Le juge Dugré pouvait quant à lui compter sur un bataillon de sept avocats, soit Mes Magali Fournier de Fournier Avocat, et Camille Vignaud, aujourd’hui chez RSS. En outre, Mes Raphaël Gaudreault, André Joli-Cœur, Alexandre Laforge, Louis Masson et Guillaume Renauld, de Therrien Couture Joli-Cœur représentaient le juge déchu.

Les avocats de la défense n’ont pas rapidement été en mesure de répondre à notre demande de commentaires. Il a été impossible de communiquer avec le juge Dugré.

Du côté de la Cour supérieure du Québec, le porte-parole Me Guillaume Bourgeois explique que « la Cour supérieure ne peut émettre aucun commentaire concernant le processus disciplinaire visant l'honorable Gérard Dugré, le Conseil canadien de la magistrature étant toujours saisi du dossier ».

Les avocats du comité d’enquête étaient Mes Giuseppe Battista et Jessy Héroux, de Battista Turcot Israel.

Quant aux conseillers juridiques du comité, ils étaient Mes Marc-André Grou et Emmanuelle Rolland, de Audren Rolland.

Mes Magali Fournier, Raphaël Gaudreault, André Joli-Cœur, Alexandre Laforge, Louis Masson et Guillaume Renauld. Sources: Site web de Therrien Couture Joli-Cœur et de Fournier Avocat
Mes Magali Fournier, Raphaël Gaudreault, André Joli-Cœur, Alexandre Laforge, Louis Masson et Guillaume Renauld. Sources: Site web de Therrien Couture Joli-Cœur et de Fournier Avocat
Un champion de l’inconduite

Le comité s’est penché sur pas moins de cinq dossiers où le juge Dugré est intervenu. Dans L’un de ces dossiers, ayant fait littéralement pleurer une justiciable, empêchant ses avocats de parler et faisant des recommandations qui ont même suscité l’ire du juge en chef de la Cour supérieure du Québec Jacques R. Fournier, selon qui « les propos du juge étaient blessants et la métaphore voulue par le juge n’a pas sa place dans une salle de cour, à plus forte raison lorsqu’il s’agit d’enjeux liés à la garde des enfants », lit-on dans le rapport du comité d’enquête.

Entres autres problèmes constatés par le comité d’enquête, Gérard Dugré a « violé de façon flagrante la règle audi alteram partem », affiche une « attitude agressive et désagréable » en plus de tenir des « propos moralisateurs et culpabilisants », faisant preuve de « condescendance et de mépris »,

Mes Giuseppe Battista et Jessy Héroux. Source: Site web de Battista Turcot Israel
Mes Giuseppe Battista et Jessy Héroux. Source: Site web de Battista Turcot Israel
Dans un autre dossier, le juge Dugré badine, blague au sujet du nom d’une justiciable, allant même jusqu’à soutenir dans son plan d’argumentation plan d’argumentation, qu’il est « courant au Québec » d’empêcher les avocats de faire leur preuve. Le comité d’enquête constate également que, pendant les audiences, le juge Dugré « fait souvent preuve de sarcasme et de mépris » envers un avocat et son client.

Dans un autre dossier, ce sont cette fois les avocats qui se sont plaints au conseil de la magistrature, alléguant notamment les tentatives de « copinage » du juge envers les avocats d’une des parties, le comité constate que lors d’audiences, « les échanges se prolongent et le juge Dugré, comme cela semble être son habitude, digresse parfois sur des sujets qui s’écartent de la cause (par ex. la série télévisée Better Call Saul ou le livre Blue Trust), ce qui a pour effet de retarder sensiblement les plaidoiries ».

Autre dossier, autre comportement déplorable, alors que le comité reproche cette fois au juge Dugré des propos déplacés, qui « (ont) porté atteinte à la dignité des procédures. La violence sexuelle et la violence contre les femmes sont des questions graves au sujet desquelles il n’est pas approprié pour un juge de faire de l’humour en salle d’audience, et ce, quelle que puisse être son intention ».

Mes Marc-André Grou et Emmanuelle Rolland. Source: Site web de Audren Rolland
Mes Marc-André Grou et Emmanuelle Rolland. Source: Site web de Audren Rolland
Des retards chroniques

Enfin, le juge Dugré affiche une « chronicité » relativement à son incapacité à rendre des décisions dans des délais raisonnables. Même le juge en chef Fournier s’en préoccupe devant le comité, remarquant que « la tardiveté à rendre jugement constitue un « problème chronique » pour le juge Dugré ». Un irritant qui avait d’ailleurs été évoqué par son prédécesseur, le juge en chef François Rolland, qui avait porté plainte à deux reprises pour les retards à rendre jugement du juge Dugré.

Un quorum de 17 membres du Conseil examinera le rapport du comité d'enquête et, après délibérations, décidera de la recommandation qui sera faite au ministre fédéral de la Justice.