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Plaidoyer en faveur de la virtualisation de la justice

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Jessica Chaput-turcotte

2022-08-15 11:15:00

Deux juristes répondent à un confrère et dressent un plaidoyer pour la virtualisation de la justice…

Philippe Roberge et Pierre-David Girard, les auteurs de cet article. Source: LinkedIn
Philippe Roberge et Pierre-David Girard, les auteurs de cet article. Source: LinkedIn
Nous avons récemment pris connaissance du texte d’opinion d’un avocat Ontarien dans Canadian Lawyer, lequel se veut en défaveur de la virtualisation des audiences en droit de la famille. Nous souhaitions y répondre.

C’est que cette opinion est à contre-courant de la tendance des autres juridictions occidentales et nous semble, par le fait même, déconnectée de la réalité du marché juridique de 2022.

Voici donc un court plaidoyer en faveur de la connexion de notre système québécois.

Chers/Chères confrères/consoeurs, laissez-nous ici vous convaincre de vous « connecter ».

D’abord, nous ne sommes absolument pas insensibles aux arguments pratiques à l’effet que la virtualisation des audiences présente de nombreux défis, surtout en matière de dossiers complexes ou de longs procès (mais le lecteur saura identifier de lui-même les exceptions logiques).

Notre point est plutôt que la conjoncture actuelle fait en sorte que nous n’avons pas le choix de relever le défi de la virtualisation. De nombreuses audiences de courte durée bénéficient des audiences virtuelles ou du mode hybride. Il en va de l’intérêt des justiciables, de l’accès à la justice et de l’accès à un avocat. Comme professionnels, nous pouvons également en tirer de nombreux avantages.

Demandes juridiques abondantes et non-répondues

En 2013-2014, le Barreau du Québec publiait dans un rapport qu’une partie substantielle des besoins juridiques n’étaient tout simplement pas adressés à un avocat, ni répondus autrement.

Notre entreprise l’observe d’ailleurs : la demande pour un avocat au Québec est abondante et loin d’être saturée. Même que c’est tout le contraire…

Si l’on trouve aisément des professionnels pour des mandats privés complexes ou avec un objet en litige élevé, l’enjeu est tout autre pour les plus « petits » dossiers ou ceux impliquant des justiciables plus vulnérables (je pense ici notamment en matière de DPJ, de logement, d’infractions pénales ou de toute représentation couverte par l’aide juridique).

Pour être économiquement viables et intéressants pour les avocats, ces dossiers exigent une pratique « à volume ». Or, les représentations virtuelles deviennent ici un véritable point tournant pour attirer une offre juridique suffisante.

Défi de desservir un vaste territoire

Le défi pour un justiciable Québécois de trouver un avocat est d’autant plus grand lorsqu’il demeure en région.

Par semaine, nous recevons des centaines de demandes de justiciables « éloignés » des grands centres qui désirent être représentés à distance en raison de la surcharge des avocats de leur secteur. Le manque de spécialisation et les conflits d’intérêts sont également fréquemment invoqués comme motifs.

Pourtant, bon nombre de ces dossiers « orphelins » proviennent de justiciables présentant des revenus leur permettant de s’offrir les services d’un avocat s’ils étaient en centre urbain. Cependant, les frais de vacation associés à la judiciarisation du dossier font obstacle à toute représentation extérieure, sauf si « à distance ».

Prix des services juridiques en hausse

La valeur des services juridiques sur le marché est élevée en raison de sa rareté et des compétences spécifiques requises.

Dans ce contexte, il devient toutefois encore plus difficile de facturer des déboursés et des honoraires à un client pour le déplacement et l’attente en appel du rôle pour une remise, comparution ou autre procédure pouvant s’effectuer simplement à distance. Nous osons même étendre notre raisonnement à toute forme d’audience.

Pourtant, plusieurs de nos partenaires avocats nous rapportent s’être fait réprimander par certains juges pour ne pas s’être présentés physiquement dans le cadre d’une procédure simple. Nous passerons ici pour le souci d’assurer un accès à la justice économiquement raisonnable…

Pénurie de main d’œuvre

Le secteur d’activité du droit ne fait pas exception à la grande calamité qui touche le marché de l’emploi en général : la pénurie de main d'œuvre. Selon différentes sources, celle-ci devrait s’étendre sur 10 ans.

Les propriétaires de cabinets se souviendront à quel point -comparativement à il y a 5 ans- il est maintenant plus difficile de recruter et de retenir les jeunes avocats au sein de leur étude.

Pour y pallier, les firmes ont ajusté à la hausse les conditions de travail de leurs salariés et ont -presque tous systématiquement- intégré le concept de « ''conciliation travail-vie personnelle'' » à leur discours de recrutement. L’un des arguments d’attraction réside dans la possibilité de travailler à distance, de la maison.

La baisse du nombre d’effectifs et la hausse de leur coût auront toutefois certainement des effets considérables sur la capacité de l’offre juridique à répondre aux besoins des justiciables québécois.

Le défi du « plus pour moins »

Il découle de l’ensemble de cette conjoncture que, pour maintenir une offre juridique suffisante, nous (avocats) devons nous réinventer afin de réussir à traiter plus de dossiers pour moins cher.

Il s’agit d’un défi, qui s’est déjà enclenché dans plusieurs autres juridictions du monde occidental.

Cette approche du « ''plus pour moins'' » n’a pas d’impact sur le modèle d’affaire des services professionnels d’avocat. Au contraire, elle peut même être plus productive et requérir moins d’efforts pour les professionnels (elle s’inscrit donc très bien dans la mouvance visant à favoriser notre équilibre mental et de vie).

Pour l’adopter, il faut toutefois faire preuve de ruse en optimisant les différents processus de nos services et de l’administration de la justice.

La technologie : notre meilleur allié

L’optimisation nécessaire à la fourniture d’un meilleur accès aux services d’un avocat et à la justice en général passe, selon nous, par les nouvelles technologies.

Plusieurs outils technologiques existent et sont disponibles. D’autres sont actuellement en chantier. La pandémie a été un véritable accélérateur de changements et de modernisation.

Il demeure que la virtualisation des représentations est incontournable : elle permet notamment de sauver du temps de vacation, se concentrer sur la prestation du service juridique à rendre, desservir une clientèle dans un plus grand rayon territorial et intervenir dans plus de dossiers. Elle est également en symbiose avec notre désir d’atteindre un meilleur équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle.

Notre profession a trop souvent eu la réputation d’être conservatrice et en retard. Pourquoi ne pas donner tort à cet écho?

Nous pouvons le faire; la pandémie en est la preuve. Il est dans le plus grand intérêt de la justice et du mieux-être de notre profession que de poursuivre dans cette lignée avec ouverture et un état d’esprit de défiance face aux adaptations qui puissent en découler.

Enfin, nous tenons à féliciter les tribunaux pour le travail de virtualisation accompli jusqu’ici. Leur vitesse d’adaptation lors de la pandémie est encourageante pour la suite.

À propos des auteurs

Me Philippe Roberge, Co-fondateur et PDG de JuriGo.ca.

Me Pierre-David Girard, Co-fondateur et Directeur du développement des affaires de JuriGo.ca.

JuriGo.ca est la première plateforme intelligente de mise en relation avocats-clients. Dans la dernière année, elle a aidé plus de 500 cabinets/avocats a développé leurs affaires et plus de 25 000 justiciables à trouver le bon avocat pour leurs besoins juridiques.
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2 commentaires

  1. Anonyme
    Anonyme
    il y a un an
    "déconnectée de la réalité du marché juridique de 2022."
    Chacun ses choix. Certains avocats sont "connectés sur le marché", et d'autres sont "connectés" sur le droit et les intérêts de leurs clients.

    Ex no 1:
    - Monsieur le juge, je vous invite à prendre le cahier X, et à vous rendre à l'onglet 2, page 114.

    (10 seconde plus tard...)

    - J'y suis.

    - ...


    Ex no 2:
    - Monsieur le juge, je vous invite à prendre la version Pdf du cahier X, et à vous rendre à la page 114 (c'est dans l'onglet 2).

    (30 seconde plus tard...)

    - Je ne trouve pas le pannel des onglets...

    (90 seconde plus tard...)

    la scroll-bar a disparue !
    (...)

    Oups, je suis rendu en version full-screen, sans numéros de pages, et ne sais pas comment sortir de là
    (... )
    Greffier: faites appeler un technicien !

    (10 minutes plus tard...)

    - Le technicien: Il faut rebooter..., il y a eu une mise à jour automatique.

    - Le juge : ok, on fait une pause de 15 minutes.

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a un an
      Anonyme
      Votre expérience pratique ne semble pas représentative de la réalité : une étude a été menée au Royaume-Uni et la technologie a permis de sauver près de 33 % du temps d'audience ...

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