L’engagement des avocats, côté travailleurs
Sophie Ginoux
2024-09-25 15:00:23
On les dit revêches, tatillons, empêcheurs de tourner en rond. Mais les avocats à la défense des travailleurs se révèlent aussi comme des êtres passionnés et épris de justice…
À qui pense-t-on immédiatement quand on évoque la défense des travailleurs ? Aux syndicats, bien sûr. L’année 2024 a d’ailleurs été ponctuée de gros dossiers en la matière : conventions collectives en éducation ou en santé, débardeurs du port de Montréal, licenciements massifs à TVA, conflit entre la Ronde et les cols bleus de Montréal, etc.
Au sein du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), qui représente 125 000 salariés, Me Philippe Dufort travaille, comme la vingtaine de ses collègues du service juridique, sur plusieurs de ces causes.
« Disons que notre quotidien à la SCFP est bien occupé, confie-t-il. Je plaide deux à trois jours par semaine, et les autres, j’essaie de me préparer à ces représentations le mieux possible, en me plongeant dans des textes de loi du Code civil et de la Common Law, en m’informant sur les corps de métier que je défends, et en écrivant des centaines de questions potentielles pour des témoins. Parce que dans notre domaine particulier du droit de travail, très imprévisible dès qu’on arrive en Cour, on vit un peu tous les jours le mythe de Sisyphe ».
Contrairement aux idées reçues, être avocat syndical ne signifie pas « ruer dans les brancards ». Me Dufort estime que la finesse est nécessaire pour faire son métier : « Je pense qu’il faut se montrer plus stratégique qu’agressif. Aborder la situation avec des faits et une approche sereine. Comme le dirait mon père, “kill them with kindness”. »
En raison de sa vaste expertise, quels sont selon Me Dufort les dossiers d’intérêt à surveiller en droit du travail, côté travailleurs ? Eh bien, les enjeux en santé mentale, tout d’abord, que ce soit dans les rangs du personnel de ce secteur, ou dans ceux des travailleurs en général. Ensuite, la conformité des employeurs à la loi 25 sur la protection des renseignements personnels, ainsi que l’évolution de la loi sur la laïcité de l'État, actuellement contestée. « Sans oublier l’enjeu du télétravail, à la base de beaucoup de négociations et de litiges, avec un effet domino sur les conventions de travail », ajoute-t-il.
L’incontournable accès à la justice
« On ne travaille pas à armes égales avec les cabinets qui servent les employeurs », dit d’entrée de jeu Me Elise Morissette, qui a évolué dans un de ces bureaux avant de fonder le cabinet Morissette & avocat.e.s, pour défendre les gens dans leurs droits et mettre l’humain au centre de sa pratique.
Comme elle l’explique, « Je représente des syndicats, mais aussi des personnes qui se retrouvent sans emplois ni revenus, à l’intérieur d’un système judiciaire dont ils ne connaissent pas les rouages. Ou bien, s’ils les connaissent, ils y rencontrent des barrières psychologiques et financières, car tout y est long et cher. »
Régulièrement, Me Morissette est confrontée à ce qu’elle qualifie de deuils et de situations de crise. Pertes d’emploi, licenciements déguisés, harcèlement psychologique ou sexuel, problèmes d’épuisement professionnel ou de santé mentale, agences de placement opaques… Les cas de figure sont nombreux.
« Ces gens vivent des émotions fortes et légitimes lorsqu’ils viennent me trouver. Et c’est mon rôle de les accompagner dans cette étape cruciale, très intime de leur vie, en calmant le jeu. Je suis un bon punchingball pour eux », indique l’avocate engagée, qui va jusqu’à avancer des fonds dans certains gros dossiers.
Cette notion d’accès à la justice est également chère à Me Sophie Mongeon, qui fait œuvre utile sur toutes les plateformes médiatiques et sociales possibles pour vulgariser l’information juridique auprès des justiciables, tout en menant son cabinet Desroches Mongeon Avocats. Notons d’ailleurs qu’elle est un des rares avocats pour les travailleurs à se mériter depuis 2021 le titre de Best Lawyers.
« Je me sens comme une sorte de Robin des bois. Je prends aux riches et le redonne aux citoyens », dit celle qui se retrouve souvent face à des situations inextricables, comme des travailleurs aux prises avec des lésions professionnelles physiques ou psychologiques qui ont vidé leurs assurances salaires, plutôt que de se lancer dans les méandres de la CNESST et des Normes du travail. Ou d’autres qui se battent avec des assurances, qui leur demandent à répétition des papiers de médecins de famille qu’ils n'ont plus, ainsi qu’avec des employeurs qui contestent une majorité de recours.
« Je martèle souvent qu’avant de porter plainte n’importe comment et d’épuiser leurs ressources financières, les travailleurs devraient toujours venir trouver des avocats comme moi, qui peuvent les épauler efficacement dès la base », indique l’avocate.
Un combat de longue haleine
Me Mongeon sait que le chemin qu’elle a choisi d’emprunter n’est pas celui qui lui rapporte le plus d’argent. « Mais défendre les travailleurs me ressemble. J’ai envie d’aider concrètement les gens, de leur donner une voix. Et pourquoi pas de contribuer à des changements dans les règles de la CNESST et de l’IVAC », affirme-t-elle.
Un combat de longue haleine dans lequel croit également Me Morissette, qui estime qu’à l’avenir, les enjeux de santé (notamment mentale) et de sécurité au travail, ainsi que le droit à la déconnexion et la conciliation travail-famille seront de plus en plus visibles.
« Il faudra trouver des solutions créatives à tout cela, en mettant en avant l’humain et non les compagnies, conclut-elle. Parce que ces problèmes coûtent cher à tout le monde, y compris les travailleurs et les assurances. Et parce que je sais que 100 % des gens que je rencontre veulent s’épanouir professionnellement, et non le contraire. »