Tête-à-tête avec la nouvelle bâtonnière de Montréal

Sonia Semere
2025-05-13 15:00:10

La bienveillance au cœur de la justice. C’est sous cette bannière que Me Valérie Assouline, récemment élue par acclamation à la tête du Barreau de Montréal, inaugure son mandat.
Spécialisée en droit de la famille et de la jeunesse, Me Assouline a fondé le cabinet SOS Avocats en 2007. Depuis plus de vingt ans, elle y défend des causes qu’elle qualifie de « profondément humaines », marquées par des enjeux sociaux sensibles et une approche empathique.
La nouvelle bâtonnière nous a accueillis dans ses bureaux du 460, rue Saint-Gabriel, juste en face du Palais de justice. Les défis à relever, sa vision du rôle du Barreau, son engagement pour la justice sociale… rencontre avec une bâtonnière résolument engagée.
Quelles sont vos premières impressions en amorçant ce mandat?
Mes premières impressions, c’est que le Barreau de Montréal mérite de rayonner encore davantage. Je suis très heureuse et fière d’être ici, et j’aborde ce rôle avec beaucoup d’humilité. C’est une institution importante, le deuxième plus grand barreau francophone au monde...
Vous avez choisi de placer la bienveillance au cœur de votre mandat. Pourquoi avoir misé sur ce thème, et que signifie-t-il concrètement pour vous dans le milieu juridique?
En 2019, une mère et une grand-mère ont franchi la porte de mon bureau. Elles venaient de perdre un être cher, une petite fille. Et j’ai compris, ce jour-là, que si la bienveillance avait été plus présente dans leur parcours, leur histoire aurait pu être différente. Ce moment m’a profondément marquée. La bienveillance, pour moi, c’est essentiel dans tout ce qu’on fait.
En tant qu’avocat, bien sûr, mais aussi comme collègue. Pendant mon stage, un confrère s’est enlevé la vie. Ce drame m’a rappelé à quel point il est crucial d’être attentif les uns aux autres : se parler, se soutenir, se prévenir avant d’aller à la cour. Il faut aussi apprendre à être bienveillant envers soi-même, prendre soin de sa santé mentale et de son équilibre personnel.
La santé mentale est définitivement un enjeu de plus en plus reconnu au sein de la profession. Qu’aimeriez-vous mettre en place, concrètement, pour soutenir les membres du Barreau à ce niveau?
Il est essentiel qu’on passe de la parole aux gestes. Parler de bienveillance, c’est bien mais l’incarner dans notre quotidien professionnel, c’est encore mieux. Pour moi, cela passe par des gestes simples, mais concrets. Des petites actions qu’on peut tous intégrer dans notre pratique, chaque jour.
Il faut aussi accompagner nos membres, leur offrir un réel soutien et créer des espaces où ils se sentent en sécurité pour parler, se confier, demander de l’aide. La santé mentale ne doit pas être un tabou dans notre milieu. C’est une responsabilité collective.
Quels seront les autres grands chantiers que vous souhaitez aborder durant votre mandat?
Je souhaite continuer à faire rayonner le Barreau de Montréal. C’est une institution essentielle au cœur d’une ville riche de sa diversité. Il est important que notre Barreau reflète cette réalité, qu’il soit présent et actif dans sa communauté. Je veux aussi renforcer la collaboration avec les parties prenantes du paysage politique et judiciaire.
Travailler ensemble est crucial pour faire avancer les enjeux de justice qui touchent spécifiquement Montréal. Enfin, une autre priorité importante pour moi, c’est de mettre en lumière les enjeux qui concernent les personnes vulnérables, les immigrants, les enfants et les populations en situation précaire. C’est pleinement en lien avec la mission sociale du Barreau.
Votre carrière a toujours été liée au droit de la famille et au droit de la jeunesse. Comment ces domaines ont façonné votre vision de la justice?
Je pratique en droit de la famille depuis mes débuts, en 1998. Les questions touchant les enfants, leur bien-être et leur avenir ont toujours été au cœur de ma pratique. J’ai souvent dit à des parents, en pleine bataille pour la garde d’un enfant : « Allez visiter un hôpital, allez voir les enfants qui sont là... ». Ça remet les choses en perspective.
On oublie parfois que ce qui devrait primer, c’est le meilleur intérêt de l’enfant. Ce domaine m’a appris la compassion, l’écoute, l’importance de trouver des solutions humaines et durables. C’est devenu, pour moi, une véritable mission de vie.
Est-ce aussi ce qui alimente votre volonté de placer la bienveillance au cœur de la justice?
Absolument. C’est une pratique humaine, mais aussi une zone d’ombre. Quand on parle d’enfants, de communautés immigrantes, ou encore de pratique illégale du droit, on touche à des réalités souvent invisibles. Ce sont des enjeux majeurs pour le Barreau de Montréal, et je veux qu’on continue de s’y attaquer concrètement, sur le terrain.
Quand on lutte contre la pratique illégale, on change réellement des vies. On protège des justiciables vulnérables, souvent sans repères, qui sont parfois floués par de faux avocats. C’est une lutte essentielle.
Je suis moi-même issue de l’immigration. Je suis née au Maroc, et je suis arrivée au Québec à l’âge de 4 ans avec mes parents. Ils ne connaissaient personne ici. Pas de famille, pas de grands-parents, pas de repères, sauf la langue française. C’est exactement la réalité de nombreux nouveaux arrivants aujourd’hui. Ils cherchent de l’aide et tombent parfois sur de mauvaises personnes. Quand on intervient dans ces situations, c’est du concret. On leur redonne accès à la vraie justice.
Pour finir, avez-vous eu des mentors ou des figures inspirantes qui vous ont marqué au cours de votre carrière?
Mes plus grandes sources d’inspiration, ce sont mes clients. Leur résilience, leur force, leur patience, surtout dans un système où les délais judiciaires peuvent être très longs, me touchent profondément. Ils traversent des épreuves difficiles avec courage. Pour moi, ce sont de véritables modèles. C’est auprès d’eux que je puise l’énergie pour continuer. Ce sont eux qui m’inspirent, chaque jour.