Climat: des pays pourront demander des réparations

Radio Canada
2025-07-28 12:00:13

La plus haute juridiction de l'ONU, basée à La Haye, établit à l'unanimité dans cet avis, initialement demandé par des étudiants de l'archipel du Vanuatu, une interprétation juridique du droit international, dont des législateurs, des avocats et des juges du monde entier peuvent désormais se saisir pour changer les lois ou attaquer en justice les États pour leur inaction.
« Il s'agit d'une victoire pour notre planète, pour la justice climatique et pour la capacité des jeunes à faire bouger les choses », affirme Antonio Guterres, secrétaire général de l'ONU, dans un communiqué.
Radieux, le ministre du climat du Vanuatu, Ralph Regenvanu, a confié à l'AFP sa surprise de voir « tant de choses inattendues » et positives dans les conclusions des juges. « Nous utiliserons évidemment ces arguments dans nos discussions avec les pays qui émettent le plus » de gaz à effet de serre, affirme-t-il.
La France a salué une « décision historique » et une « victoire pour le climat », par la voix de sa ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher.
Parmi les grands pays émetteurs de gaz à effet de serre, les États-Unis du très climatosceptique Donald Trump ont été les premiers à réagir, dans une déclaration certes lapidaire. « Les États-Unis examineront l'avis consultatif de la Cour dans les jours et les semaines à venir », a fait savoir à l'AFP le département d’État.
La dégradation du climat, causée par les émissions de gaz à effet de serre, est une « menace urgente et existentielle », a déclaré le juge Yuji Iwasawa, président de la Cour, lors d'une lecture solennelle de deux heures de l'avis, saluée par des applaudissements des militants qui ont suivi l'audience sur un écran géant à l'extérieur du Palais de la Paix.
La Cour a rejeté l'idée défendue par les grands pays pollueurs que les traités climatiques existants – et notamment le processus de négociation des COP annuelles – étaient suffisants.
Les États ont « des obligations strictes de protéger le système climatique », a argué le juge. En accord avec les petits pays insulaires, il a confirmé que le climat devait être « protégé pour les générations présentes et futures » – alors que les grands pays pollueurs refusaient absolument de reconnaître légalement les droits d'individus pas encore nés.
La partie la plus importante de l'avis, et qui suscitera le plus de résistance chez les pays riches, découle, selon la Cour, de ces obligations : les compensations dues aux pays ravagés par le climat.
« Les conséquences juridiques résultant de la commission d'un fait jugé internationalement illicite peuvent inclure (...) la réparation intégrale du préjudice subi par les États lésés sous forme de restitution, de compensation et de satisfaction », estiment les 15 juges du tribunal.
Des liens à prouver
La Cour place toutefois la barre haut : un lien de causalité direct et certain doit être établi « entre le fait illicite et le préjudice ». Il sera certes difficile à établir, mais « pas impossible », écrivent-ils.
Il s'agit du cinquième avis unanime de la Cour en 80 ans, selon l'ONU. L'Assemblée générale des Nations unies avait voté pour le demander.
Pour l'étudiant fidjien qui mène la campagne depuis 2019, le jour restera mémorable. « Quelle fin parfaite pour une campagne qui a débuté dans une salle de cours », a dit à l'AFP Vishal Prasad, présent à La Haye. .Nous avons désormais un outil très, très puissant pour demander des comptes aux dirigeants. La CIJ a donné tout ce qui était possible. »
Il faudra du temps pour que les juristes digèrent pleinement l'avis de 140 pages, et encore plus pour voir si des tribunaux nationaux s'en emparent.
Mais d'ores et déjà, de nombreuses voix interrogées par l'AFP, expertes et militantes, soulignent le caractère historique de l'avis.
« C'est une victoire historique pour la justice climatique », a réagi auprès de l'AFP l'ancien rapporteur spécial de l'ONU pour les droits de la personne et l'environnement, David Boyd. L'interprétation par la Cour des obligations des États « sera un catalyseur pour accélérer l'action climatique ».
« Pour la première fois, la plus haute cour du monde a établi que les États avaient une obligation légale de prévenir tout préjudice climatique, mais aussi de le réparer pleinement », commente Joana Setzer, juristes à la London School of Economic. L'avis, selon elle, « renforce la base juridique de la justice climatique ».
Les climatologues les plus déçus par l'action politique mondiale sont du même avis.
« C'est une décision majeure », dit à l'AFP Johan Rockström, directeur d'un institut européen sur le climat reconnu, le Potsdam Institute for Climate Impact Research. Chaque pays peut « être tenu pour responsable » devant les tribunaux, même s'il n'est pas signataire des traités de l'ONU, ajoute-t-il.
L'ancien émissaire pour le climat de Joe Biden, John Kerry, regrette, dans un message à l'AFP, qu'il faille « le poids du droit international pour inciter les pays à faire ce qui est profondément dans leur intérêt économique ».
Il est de fait improbable que les États-Unis, comme les autres grands pays riches et émetteurs de gaz à effet de serre qui n'ont toujours pas réagi, changent de cap sur le pétrole et les énergies fossiles à cause de ce seul avis.
Pour le climatologue américain Michael Mann, l'avis tombe à pic alors que Donald Trump continue à démanteler l'édifice construit par ses prédécesseurs démocrates pour réduire les gaz à effet de serre.
L'avis de la Cour « fait des États-Unis, et de quelques pétro-États comme l'Arabie saoudite et la Russie, des pays hors-la-loi qui menacent nos peuples et notre planète au nom des profits des énergies fossiles », a-t-il déclaré à l'AFP.
L'avis sera certainement « testé » en justice aux États-Unis, prédit le professeur à l'école de droit du Vermont, Pat Parenteau. « Cela ne fonctionnera pas avec la Cour suprême actuelle, mais ce n'est pas permanent. »
Nombre d'ONG et de militants attendaient avec impatience cet avis, frustrés par l'inaction ou la lenteur des grands pays pollueurs à réduire leur combustion de pétrole, de charbon et de gaz.
Quelques dizaines étaient présents mercredi au Palais de la Paix, siège de la CIJ, derrière une banderole imprimée avant l'audience affichant : « les tribunaux ont parlé – les gouvernements doivent agir maintenant. »
Deux questions au cœur de l'avis
Les Nations unies avaient chargé, par un vote de l'Assemblée générale, la CIJ de répondre à deux questions.
Premièrement : quelles obligations les États ont-ils en vertu du droit international de protéger la Terre contre les émissions de gaz à effet de serre, majoritairement générées par la combustion du pétrole, du charbon et du gaz, pour les générations présentes et futures?
Deuxièmement : quelles sont les conséquences juridiques de ces obligations pour les États dont les émissions ont causé des dommages environnementaux, en particulier envers les États insulaires vulnérables de faible altitude?
La Cour a dû organiser les plus grandes audiences de son histoire, lors desquelles plus de 100 nations et groupes ont pris la parole, en décembre au Palais de la Paix.
La bataille du climat investit de plus en plus les tribunaux, qu'ils soient nationaux ou internationaux, pour imposer une action climatique d'une ampleur que les négociations politiques n'arrivent pas à déclencher – a fortiori à une période où Europe et États-Unis ralentissent ou reculent sur leurs engagements.
Les COP annuelles ont certes permis d'infléchir les prévisions de réchauffement, mais cela est encore largement insuffisant pour tenir l'objectif limite de 2°C, par rapport à l'ère préindustrielle, fixé par l'Accord de Paris de 2015. Le réchauffement climatique a déjà atteint au moins 1,3°C.
Le droit international se construit avec de tels avis, a expliqué à l'AFP Andrew Raine, du département juridique de l'ONU Environnement. « Ils clarifient la manière dont le droit international s'applique à la crise climatique, ce qui a des répercussions sur les tribunaux nationaux, les processus législatifs et les débats publics. »