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Fumer sur scène: le procureur général fait appel

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Radio Canada

2025-06-19 10:15:44

Le procureur général a fait appel de la décision de la Cour supérieure qui a autorisé l’acte de fumer une cigarette au théâtre.

Louis-Philippe Lampron, Benjamin Bolduc et Antoine Pellerin avec Julie Desrosiers - source : Radio Canada / Gracieuseté Jean-Philippe Lampron

L'histoire remonte à 2017, alors que les théâtres du Trident, La Bordée et Premier acte ont été, successivement, mis à l’amende pour avoir laissé des comédiens fumer une cigarette de sauge sur scène.

Chaque établissement théâtral a fait l'objet d'une inspection, laquelle a mené à l'émission d'un constat d'infraction de 500 $ pour non-conformité à la Loi concernant la lutte contre le tabagisme.

Avec l'appui du milieu culturel, les théâtres sanctionnés ont intenté des démarches pour contester leurs amendes au nom de la liberté artistique. L’argument principal est que l'interdiction totale de fumer sur scène, même dans un contexte de performance artistique, porte atteinte à la liberté d'expression, un droit fondamental protégé par la Charte des droits et libertés de la personne.

En 2021, les théâtres ont été déboutés. La Cour du Québec a statué qu'utiliser une cigarette sur scène dans un contexte théâtral n'était pas considéré comme une expression artistique. Le jugement a alors été porté en appel.

En mai 2024, la Cour supérieure du Québec a tranché en faveur des théâtres : interdire l’action de fumer une cigarette sur scène dans un contexte artistique est « une violation injustifiée de la liberté d’expression », concluait le juge Jean-François Émond.

Mais l'histoire ne s’arrête pas là. Le procureur général du Québec a décidé de faire appel de cette décision. Plusieurs représentants du milieu artistique québécois étaient d’ailleurs présents à l’audience de lundi.

« Je pense que l'enjeu qui reste important, c'est un peu les fondements », explique Jean-Michel Girouard, vice-président de la section Québec de l’Union des artistes (UDA). « On questionne à restreindre une portion de la liberté artistique qui est au cœur de la liberté d’expression", soutient-il.

« Pour moi, c'est là où il faut, comme société, comme gouvernement, que tous les intervenants prennent cette question-là de façon extrêmement délicate parce que c'est toujours la crainte que plus on ouvre une petite porte, plus on restreigne la liberté artistique », explique Jean-Michel Girouard.

Le comédien, et représentant de l’UDA, redoute que l’interdiction de l’acte de fumer dans une représentation théâtrale crée une brèche dans les fondements de la liberté d’expression artistique. « Est-ce que si on ouvre la porte à ça, est-ce qu'après ce sera la musique trop forte, les sons trop forts ou les effets visuels pour les yeux? » questionne-t-il.

« C'est une question de santé publique [la cigarette], mais la santé psychologique, qui est de plus en plus importante [...] ce qui est très bien, mais est-ce qu'on pourrait arriver ensuite, pour des questions de santé psychologique, à restreindre des sujets sur scène? » se demande-t-il.

« Ça fait déjà plus de huit ans qu'on est dans cette saga », rappelle pour sa part l’avocat et professeur à la Faculté de droit de l’Université Laval, Louis-Philippe Lampron.

Avec les avocats Antoine Pellerin, de l’Université Laval, et Benjamin Bolduc, de Tremblay Bois avocats, Louis-Philippe Lampron a constaté qu'il n'y avait pas d'exception artistique qui était expressément aménagée dans la loi.

La Loi sur la protection des non-fumeurs dans certains lieux publics, qui fut adoptée en 1986 au Québec, n’avait jamais posé problème aux théâtres jusqu’à la première plainte, en 2017. « Manifestement, jusque-là, ça semblait avoir été toléré », lance Me Lampron.

« Ce qu'on a constaté, c'est qu'effectivement, les lieux artistiques sont visés dans les lois depuis 1985, dans les différentes versions de la loi. Mais de toute évidence, ça visait les spectateurs », explique l’avocat. « En fait, ça visait à empêcher les spectateurs de fumer pendant une représentation. Puis à notre connaissance, pour les théâtres impliqués, il n'y a pas eu de sanction semblable auparavant. Ce qui révèle deux choses; que ce n'était sans doute pas l'intention du législateur d'empêcher les interprètes de fumer sur scène. C'est une question d'interprétation très large. »

« Là, on est dans une situation où ces choix-là, artistiques, sont remis en cause par une interprétation à la fois littérale et mur à mur d'une interdiction qui, pour nous, avait vocation à viser les fumeurs et non pas la représentation de l'acte de fumer, en particulier pas quand on est dans le contexte d'une représentation théâtrale ou artistique », pointe Louis-Philippe Lampron.

Les avocats de la défense estiment que le législateur a le pouvoir de régler promptement cette affaire et d'y mettre fin. « Le législateur pourrait régler le dossier en disant : « Écoutez, on a lu la décision de la Cour supérieure, on est en faveur de l'intégration d'une exception artistique et donc on va changer la loi. » Et ce faisant, la cause deviendrait sans objet », explique Louis-Philippe Lampron. « Le silence du législateur fait en sorte qu'on continue à appliquer et devoir appliquer cette interdiction mur à mur au théâtre. »

Alors, où tracer la ligne? La question a été posée par la juge Sophie Lavallée, l’une des trois juges à siéger lundi matin. « On est d'accord. Il y a plein d’enjeux", explique Louis-Philippe Lampron à Radio-Canada. Il soutient que la réflexion doit être faite, concernant des comédiens qui refuseraient de fumer, par exemple. Mais le débat au cœur du procès c’est « le rapport entre les créateurs et le public », explique-t-il.

« C'est pour ça que, dès le début de cette saga judiciaire-là, les théâtres ont affirmé leur posture selon laquelle ce serait tout à fait raisonnable, ça réglerait beaucoup le dossier que d'accompagner l'exception artistique de l'obligation d'aviser le public de ce qui sera fumé ou pas sur scène », dit-il.

La Cour d’appel du Québec a six mois pour rendre son verdict.

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