La Cour supérieure rejette le pourvoi d'un juge administratif
L’obligation de diligence n’est pas négociable, pandémie ou pas, tranche le tribunal.

La Cour supérieure du Québec confirme une sanction de suspension sans solde de deux jours qui a été imposée à un juge du Tribunal administratif du logement (TAL) pour un retard de trois semaines dans le rendu d’une décision.
Le juge Robins était représenté par Me Yves Picard, avocat et associé directeur chez PSP Légal (Île des Soeurs).

Le Procureur général et la ministre France-Élaine Duranceau, les mis en cause, étaient représentés par Me Amélie Bellerose (Bernard Roy).
L'affaire fait suite à une plainte déposée par une locatrice, Ziyue Zhang, non représentée et absente à l’audience.
Le contexte
Le 22 avril 2021, le juge Robins présidait une audience concernant une demande de résiliation de bail présentée par Mme Zhang. Le délai réglementaire pour rendre une décision est de trois mois.
Or ce n’est que le 3 août 2021, après que Mᵐᵉ Zhang eut rempli un formulaire de plainte en ligne auprès du CJA signalant le dépassement du délai, que le juge a finalisé son projet de décision. La décision finale a été signée le 13 août 2021, soit 22 jours après l’expiration du délai de trois mois.
Après enquête, le comité du CJA a conclu que le juge avait commis un manquement déontologique. Dans un second rapport, il a recommandé une sanction de suspension sans solde de deux jours.
C’est cette conclusion de manquement et cette recommandation de sanction que le juge Robins cherchait à faire annuler en Cour supérieure.
Les arguments du juge : la pandémie et la sévérité
Le juge Robins estimait que la décision du CJA était déraisonnable. Il a plaidé d’importantes circonstances atténuantes : le contexte difficile de la pandémie de COVID-19, les bouleversements personnels et professionnels qu’il a vécus ainsi que des problèmes de santé mentale attestés par une lettre de son psychothérapeute.
Il soutenait que le comité du CJA avait reconnu l’impact de la pandémie sur sa santé, mais qu’il avait ensuite erré en ne concluant pas que ces éléments avaient justifié son retard.
Le juge Robins jugeait aussi la sanction de deux jours de suspension sans solde excessivement sévère, particulièrement compte tenu du faible retard de 22 jours et du fait que la plaignante n’avait pas témoigné du préjudice réel.
Selon lui, le comité s’est éloigné de ses propres précédents sans justification adéquate.
La position du CJA: l’omission et la récidive
Le comité du CJA a reconnu que les bouleversements de la pandémie avaient affecté le juge, mais a jugé que ces circonstances n’expliquaient pas son inaction. Il a noté que le juge avait continué d’exercer ses fonctions en rendant 184 décisions sur une période similaire. La preuve du psychothérapeute comme justifiant l’omission de demander une prolongation de délibéré a donc été rejetée.
En ce qui concerne la sanction, le comité a mis l’accent sur la récidive. Il a écarté l’idée d’une simple réprimande, car le juge Robins avait déjà fait l'objet de deux enquêtes et de deux réprimandes en 2018 et 2019 pour des problèmes similaires de retards et de gestion de dossiers.
Selon le comité, cette faute, bien que courte (22 jours), était d’une gravité suffisante pour porter atteinte à l’honneur de la justice administrative, car elle s’inscrivait dans un schéma de comportement délinquant.
La Cour supérieure maintient la ligne du comité du CJA
Le juge Jean-Sébastien Vaillancourt, appliquant la norme de la décision raisonnable (arrêt Vavilov), a rappelé que la Cour supérieure ne pouvait intervenir que si le raisonnement du comité du CJA avait été dénué de cohérence ou situé en dehors de la fourchette des résultats acceptables.
La Cour supérieure a confirmé que le comité du CJA était en droit d’apprécier la preuve comme il l’a fait. Selon le tribunal, il était raisonnable de la part du comité de juger que, même affecté par la pandémie, le juge avait toujours les capacités d'exercer ses fonctions judiciaires et d'utiliser le mécanisme de suivi du TAL pour demander une extension de délai.
Puisque le raisonnement du comité était cohérent et intelligible, la conclusion du manquement a été maintenue.
Concernant la sanction, la Cour supérieure a également fait preuve de déférence. Elle a reconnu que le comité du CJA avait commis une erreur mineure en présumant sans preuve un préjudice financier pour la plaignante, mais a jugé cette erreur non fatale.
En retenant que la sanction n’était pas d’une sévérité telle qu’elle dépassait la « fourchette des issues possibles », la Cour supérieure a ainsi maintenu la recommandation de suspension sans solde de deux jours. Elle a rejeté le pourvoi, avec les frais.
Droit-inc a tenté d'obtenir les commentaires du cabinet représentant le juge Robins, mais n’avait pas eu de retour au moment d’écrire ces lignes.