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Confiscation de biens : la législation québécoise au banc des accusés

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Élisabeth Fleury

Élisabeth Fleury

2025-11-26 10:15:09

La Cour supérieure devra trancher : le droit de l'État de confisquer des biens sur la base d’une simple présomption civile en l'absence de preuves criminelles…


Alexandre Bergevin et Edith Darbouze - source : BERGEVIN, CHABAUTY & SIMARD AVOCATS


Un citoyen conteste la constitutionnalité d'une disposition de la Loi sur la confiscation, l'administration et l'affectation des produits et instruments d'activités illégales après que ses biens aient été saisis par le Procureur général du Québec (PGQ) malgré l'absence d'accusations criminelles.

Les avocats d’André Lévy, Mes Alexandre Bergevin et Edith Darbouze, ont déposé à cet effet un avis au Procureur général le 18 novembre.

Le contexte

L'affaire à l’origine de cette contestatation remonte au 20 janvier 2024. Une perquisition policière a lieu au domicile du requérant à Montréal et divers items, incluant une somme d'argent, sont saisis.

Onze mois plus tard, aucune accusation criminelle n'est portée contre le résident, qui n'a d'ailleurs aucun antécédent judiciaire. Ses conditions de remise en liberté tombent et une ordonnance de remise de l'ensemble des biens saisis est rendue par un tribunal le 19 décembre 2024.

Sauf que le Procureur général refuse de se conformer à l'ordonnance de remise. Au lieu de rendre les biens, le PGQ procède à une saisie avant jugement et intente une demande introductive d'instance en confiscation au civil, s'appuyant sur l'article 12.2 (2°) de la Loi sur la confiscation, l'administration et l'affectation des produits et instruments d'activités illégales.

Cette disposition crée une nouvelle présomption de droit : toute somme d'argent comptant de 2 000 $ ou plus, dont la disposition est jugée « incompatible avec les pratiques des institutions financières », est automatiquement présumée être un produit d'activités illégales.

Le requérant affirme être le propriétaire légitime des biens, que les sommes ont été dûment déclarées aux autorités fiscales et qu'aucune nouvelle preuve ne justifie cette démarche civile, la situation factuelle étant demeurée identique à celle qui n'a pas mené à des accusations criminelles.

Une présomption irrationnelle au cœur du débat

Selon les avocats du requérant, l’article 12.2 (2°) de la Loi autorise une saisie « inéquitable et abusive » d’un bien, et la présomption est « irrationnelle ».

Mes Bergevin et Darbouze plaident que cette présomption viole les principes fondamentaux de l'état de droit, lequel exige la rationalité et offre une protection contre l'abus étatique.

« Cette présomption de droit utilisée, après un échec sur le plan criminel, est une atteinte à la présomption d’innocence. En effet, elle permet de faire indirectement ce qui n’aurait pas pu être fait directement. L’absence de preuve incriminante, sur le plan pénal, est transformée en preuve, au plan civil, par le biais d’une présomption de droit », exposent les avocats du requérant.

La Charte canadienne invoquée

Le recours s'appuie sur les articles 7 et 8 de la Charte canadienne des droits et libertés. Mes Bergevin et Darbouze soutiennent que ces articles ne protègent pas uniquement la vie privée (privacy interest), mais agissent aussi comme un rempart contre la saisie abusive de biens (possessory property interest).

Le droit de jouir et de disposer librement de ses biens serait ainsi protégé contre une confiscation arbitraire de l'État. La présomption contestée, en renversant le fardeau de la preuve et en sapant la présomption d'innocence, porterait une atteinte grave à ces droits constitutionnels.

Les avocats résument ainsi leur avis : « La disposition législative contestée, bien qu’elle poursuive un objectif louable, constitue une réponse draconienne, démesurée et irrationnelle. Déposséder une personne d’une somme d’argent substantielle, qui représente le travail et l’épargne d’une vie, simplement parce qu’une présomption existe ou qu’elle ne peut renverser une présomption établie en vertu de la loi, ouvre la porte aux pires abus de pouvoir. [...] En l’espèce, cette disposition législative doit être déclarée inconstitutionnelle. »

L’audition sera fixée dès que possible à titre de question préliminaire, a fait savoir à Droit-inc Me Bergevin, qui n’a pas souhaité commenter plus avant sa procédure.

Le ministère de la Justice a préféré lui aussi ne pas faire de commentaires « par respect pour le processus judiciaire ».

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