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La Cour supérieure tranche un lourd dilemme

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Élisabeth Fleury

Élisabeth Fleury

2025-10-09 10:15:16

La survie ou la volonté du patient et celle de ses enfants? La Cour supérieure a tranché…

La Cour supérieure du Québec a récemment été confrontée à un cas poignant, illustrant le dilemme éthique et juridique qui surgit lorsque la volonté présumée d'un patient s'oppose à la survie.

Carole Therrien - source : Archives


Le jugement, rendu le 1er octobre par la juge Carole Therrien, autorise le Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) des Laurentides à administrer des soins vitaux, incluant des traitements d'électroconvulsivothérapie (ECT), à un homme de 77 ans malgré son refus et celui de ses enfants.

Le CISSS des Laurentides et la psychiatre Anita Yim étaient représentés par une avocate du contentieux de l’établissement, Me Léa Champagne Mercier, alors que le patient, qui ne peut être identifié, était défendu par un avocat de l’aide juridique, Me Samuel Landy.


Samuel Landry - source : Centre communautaire juridique Laurentides-Lanaudière

« Le présent jugement est rendu dans un contexte qui pose un lourd dilemme pour les proches d’une personne malade, de qui il faut présumer des intentions. Le Tribunal tient à souligner que dans la présente situation, les enfants qui s’opposent à ce que leur père subisse des traitements très intrusifs et difficiles sont sans contredit animés par le désir de respecter sa volonté. Leur amour pour lui est manifeste et incontestable », souligne la juge Therrien dans le préambule de son jugement sur la demande d’autorisation de soins déposée par le CISSS et la Dre Anita Yim.

Une santé qui se dégrade rapidement

Veuf depuis 11 ans, le patient menait jusqu'à récemment une vie de retraité active. En plus de s'occuper de l'entretien de sa propriété, il faisait du vélo tous les jours.

La dégradation de son état de santé a été rapide et est survenue à la suite d'un traitement pour des douleurs articulaires chroniques. En janvier, le septuagénaire a commencé un traitement à la cortisone pour soulager des douleurs articulaires importantes.

Selon ses enfants, le patient a rapidement ressenti des effets négatifs et ne se sentait pas bien. Son état s'est graduellement dégradé jusqu'en juillet. Il s'est retrouvé dénutri, déshydraté et éventuellement en état quasi-catatonique. Le traitement à la cortisone a été cessé, et le médecin de famille a évoqué un possible lien entre la prise de cette médication et sa situation.

Après son transfert à l'Hôpital de Saint-Jérôme et l'échec de l'investigation de causes physiques, un traitement d'ECT a été proposé. Après quatre séances, son état s'est nettement amélioré, et il a obtenu son congé à la mi-septembre, exprimant se sentir mentalement « de retour à 100 % ».

Une rechute

Sauf que trois jours après son retour à la maison, la situation s’est à nouveau dégradée. L’homme s’est retrouvé en proie à une grande anxiété, une incapacité à retrouver son fonctionnement normal et un sommeil perturbé. Il est retourné à l'hôpital et est retombé en catatonie, refusant désormais de s'alimenter et de s'hydrater. En l’absence d’une intervention immédiate, sa survie était compromise.

Le dilemme : la survie ou la volonté du patient?

Le cœur du litige reposait sur la position des enfants du patient qui, malgré leur amour indéniable pour leur père, s'opposaient aux traitements proposés. Ils estimaient respecter la volonté de leur père, qui aurait exprimé, après son premier traitement, qu'il ne voulait pas revivre cet « enfer ». Ils craignaient également les effets secondaires à long terme des traitements d’ECT, notamment les impacts sur ses capacités cognitives et son autonomie.

La Dre Anita Yim, appuyée par le CISSS des Laurentides, estimait de son côté que la catatonie mettait la vie du patient en danger et que les traitements d'ECT avaient démontré leur efficacité pour le ramener à un état de conscience qui lui permettrait de prendre des décisions éclairées.

L’équipe médicale soupçonne une dépression sous-jacente, mais selon ses enfants, le patient n’est pas et n’a jamais été dépressif.

L’audition devant le tribunal

Le tribunal a eu accès au patient, qui a été mis en contact par visioconférence. La juge Carole Therrien s’est adressée à lui.

L’homme a d’abord vaguement fait comprendre qu’il ne voulait pas d’avocat et qu’il s’opposait aux interventions proposées. Le tribunal lui a nommé un procureur d’office, précise la juge dans sa décision.

« Devant le témoignage du médecin, [le patient] a prononcé quelques faibles paroles et a demandé à boire. Ces réactions ont été les plus importantes depuis son séjour, selon les deux médecins », poursuit-elle.

L’audition a été ajournée pour permettre une rencontre entre le patient et le procureur et à ses enfants de le visiter.

« Au retour, Me Landry a confirmé avoir pu s’entretenir avec [le patient]. Il a manifesté certaines réactions par hochement de tête et il semble vouloir dire certains mots qui demeurent inaudibles. Pour l’essentiel, ses réponses sont fluctuantes et non concluantes. Il évoque une grande culpabilité. Il se sent mal et est tiraillé entre ses enfants et les médecins. Il accepterait d’être hydraté, mais pas de recevoir des électrochocs. Il répond notamment qu’il veut que quelqu’un d’autre décide pour lui et qu’il ne veut pas revivre de rechute », rapporte la juge Therrien.

La décision du tribunal : l'intérêt supérieur du patient prime

Dans sa décision, la juge a reconnu l'inaptitude du patient à consentir ou à refuser les soins. Selon elle, son mutisme quasi total et ses déclarations confuses indiquaient un jugement grandement altéré.

Pour le tribunal, le refus des enfants de consentir aux soins était « injustifié » au sens du Code civil, et la balance des inconvénients penchait en faveur de la vie du septuagénaire.

L'objectif principal, a-t-il confirmé, est de lui permettre de retrouver un état mental lui permettant de décider en toute connaissance de cause.

La Cour supérieure a donc autorisé une panoplie de soins pour une période de trois mois, qui incluent:

  • des séances d'ECT, en plus de la médication et des soins accessoires;
  • l'hydratation et la réalimentation forcées, si nécessaire, ainsi que des examens médicaux réguliers;
  • l'hospitalisation et l'usage de contentions physiques ou chimiques, si requis.

Le jugement est exécutoire immédiatement, nonobstant appel, reconnaissant ainsi l'urgence de la situation. Lorsque le patient sera en mesure de formuler un consentement éclairé, ses désirs seront la priorité, mentionne-t-on dans la décision.

Un dossier « exceptionnel »

Sans commenter l’audience et les débats, qui se sont déroulés à huis clos, Me Samuel Landry, a souligné le caractère exceptionnel de cette demande d’autorisation de soins au cours d’un entretien avec Droit-inc.

Dans la très grande majorité des cas, le patient est une personne qui nie sa maladie, qui a un problème de santé mentale ou qui souffre de la maladie d’Alzheimer, par exemple, observe celui qui fait des dossiers d’autorisation de soins à temps plein.

« Là, on a un patient qui était en forme et autonome et qui a vu la maladie lui tomber dessus subitement. Ce n’est pas un cas où la personne a traîné une maladie toute sa vie », note Me Landry.

L’avocat souligne au passage que la catatonie est « quelque chose qu’on ne connaît pas beaucoup ». « C’est ça aussi qui était particulier: on n’avait pas affaire au même type de maladie qu’on voit habituellement », partage-t-il.

Le type de traitement demandé et autorisé, l’ECT, ne ressemble pas non plus à ce que Me Landry est habitué de voir dans des dossiers d’autorisation de soins.

« Le mécanisme d’action est encore méconnu [du grand public], mais c’est un traitement admis et reconnu par les médecins », rappelle l’avocat, mentionnant au passage que l’ECT, qui nécessite une anesthésie générale avec les risques qui y sont associés, est bien plus invasif que la simple médication qu’on prescrit pour des maladies d’ordre psychiatrique.

Le jugement de la Cour supérieure montre par ailleurs que les systèmes de santé et de justice, « qui ne sont pas réputés pour leur vitesse », sont aussi capables de s’organiser rapidement, selon Me Landry.

« Tout le monde au tribunal, à l’hôpital, à l’aide juridique et dans la famille se sont mobilisés et libérés immédiatement pour traiter ce cas urgent », salue-t-il.

Le CISSS des Laurentides a préféré ne pas commenter le dossier.

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