Deux juges sous enquête

Deux juges font l’objet d’une enquête du Conseil de la magistrature. Pourquoi?

Le Conseil de la magistrature du Québec a ordonné l'ouverture d'une enquête sur la conduite de deux juges municipaux en lien avec la délivrance de mandats d’emprisonnement.
La décision du Conseil de la magistrature, datée du 23 septembre, fait suite à une plainte alléguant que les magistrats auraient délivré des centaines de mandats d’emprisonnement pour défaut de paiement d'amendes sans respecter les garanties procédurales fondamentales.
Ni les juges ni la ville en cause ne sont identifiés dans la décision du Conseil.
Plusieurs mandats en cause
Le plaignant reproche aux deux juges d’avoir délivré de nombreux mandats d’emprisonnement pour défaut de paiement des sommes dues, et ce, sans s’être conformés aux exigences prévues au Code de procédure pénale. (CPP). Les juges ne se seraient pas assurés, entre autres, que les défendeurs avaient été dûment avisés de se présenter au tribunal, peut-on lire dans la décision.
Les juges visés ont choisi de présenter des observations à l’égard de la plainte. Leurs commentaires portent entre autres sur le rôle du percepteur des amendes.
« À cet égard, les juges sont d’avis qu’ils pouvaient s’en remettre à la position du percepteur pour se convaincre du non-paiement des amendes et de la transmission des avis requis. Dans leurs observations, les juges reconnaissent toutefois que le percepteur ou son représentant désigné n’a pas témoigné lors des audiences au cours desquelles aucun document n’a été déposé à propos de la signification des avis », expose le Conseil de la magistrature.
Les juges, poursuit le Conseil, font par ailleurs état du contexte dans lequel s’inscrit la plainte.
« Il appert que la Cour supérieure a ordonné l’annulation de mandats d’emprisonnement et ordonné la mise en liberté immédiate d’un citoyen. Par la suite, la Ville A a demandé à la Cour d’annuler l’ensemble des mandats d’emprisonnement délivrés par les juges et qui sont concernés par la plainte devant le Conseil. Enfin, la Cour supérieure est saisie d’une demande d’une action collective contre la Ville A et le procureur général du Québec. Or, les juges avancent que les plaintes déposées au Conseil par l’un des dirigeants de la Ville A pourraient être motivées par un désir de « diviser » une éventuelle responsabilité civile », rapporte le Conseil de la magistrature.
Pour le Conseil, l’existence de ces procédures judiciaires n’a aucune incidence sur l’examen de la conduite des juges à la lumière des règles déontologiques.
Le Conseil se penche sur la déontologie, pas sur le droit
Le Conseil de la magistrature rappelle que son rôle n'est pas de se prononcer sur l'exactitude des jugements rendus ou sur l'application du droit, mais uniquement sur la conduite déontologique des juges.
Selon lui, en délivrant des mandats d'emprisonnement sans s'assurer que les garanties procédurales du CPP étaient respectées, les juges auraient pu abdiquer leurs obligations. Ils n'auraient pas rempli leur devoir de protéger les droits fondamentaux des défendeurs, notamment leur droit à la liberté.
Allégations de nature à « miner la confiance du public »
Le Conseil de la magistrature souligne la gravité des allégations, d’autant plus que le législateur a prévu des vérifications préalables strictes en raison des conséquences significatives de l'emprisonnement pour défaut de paiement – une peine qui, contrairement à d’autres condamnations, ne permet aucune remise de peine.
Le Conseil cite un précédent affirmant que tout geste ou acte qui minerait « la confiance du justiciable ou du public dans ce magistrat et porte atteinte à l'intégrité, la dignité et l'honneur de la magistrature » justifie une intervention.
Considérant que la conduite des juges « pourrait être susceptible de miner la confiance du public envers la fonction judiciaire », le Conseil a statué en faveur d'une enquête approfondie.
Le quotidien Le Soleil avait publié en décembre 2023 un reportage sur les peines de prison imposées pour non-paiement d’amendes, une pratique qui devait être abandonnée avec l’adoption du projet de loi 32 en 2020.
Le reportage s’intéressait plus particulièrement à la ville de Lévis, où une trentaine de personnes (dont plusieurs étaient vulnérables) qui n’avaient pas payé leurs amendes ont purgé des peines de prison en 2022 et 2023.