Le juge Galiatsatos assure ne pas avoir été motivé par « une animosité anti-française »

Radio Canada
2025-10-08 10:15:13

Le juge de la Cour du Québec Dennis Galiatsatos, qui a été désavoué par la Cour d'appel après avoir déclaré inopérant au criminel l'article 10 de la Charte de la langue française sur la traduction obligatoire de certains jugements de l'anglais vers le français, certifie ne pas avoir agi pour des « considérations politiques ».
Dans une décision rendue lundi, le magistrat assure ne pas avoir été motivé par une animosité anti-française en décidant de son propre chef, en mai 2024, de se pencher sur la constitutionnalité de cette disposition, introduite par la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français (mieux connue comme la loi 96).
C'était tout simplement le premier procès en anglais que j'avais prévu et qui coïncidait avec l'entrée en vigueur de l’amendement, écrit-il, soulignant par ailleurs que le Conseil de la magistrature avait déjà conclu à l'absence de mauvaise foi de sa part.
Le juge avait défrayé les manchettes l'an dernier en déclarant inopérante au criminel l'exigence légale selon laquelle « une version française doit être jointe immédiatement et sans délai à tout jugement rendu par écrit en anglais par un tribunal judiciaire lorsqu’il met fin à une instance ou présente un intérêt pour le public ».
Appelée à se pencher sur la question, la Cour d'appel a depuis tranché en faveur du procureur général du Québec, décrétant en juin dernier que le magistrat n'avait pas la compétence pour soulever une telle question. Quatre mois plus tard, le principal intéressé aborde cette décision pour la première fois. « Bien que j'accepte volontiers les conclusions de la Cour d'appel concernant mon excès de compétence, les étapes procédurales suivies n'étaient en aucun cas malveillantes », atteste-t-il.
Le magistrat s'était intéressé à l'article 10 de la Charte de la langue française dans le cadre du procès de Christine Pryde, une automobiliste de l'Ouest-de-l'Île accusée de négligence criminelle ayant causé la mort d'une cycliste, Irene Dehem, en 2021.
L'accusée, qui souhaitait être jugée en anglais, avait demandé un arrêt des procédures en vertu de l'arrêt Jordan, et le juge avait engagé une procédure de sa propre initiative pour évaluer la constitutionnalité de la disposition, soupçonnant que celle-ci pourrait entraîner des retards. La requête de la défense avait finalement été rejetée. Mme Pryde, depuis, a été déclarée coupable. Ne restait plus qu'à déterminer sa peine, d'où le jugement rendu lundi.
L'accusée a finalement été condamnée à purger 23 mois de détention à domicile. La défense réclamait pour sa part une peine de 15 mois à purger dans la communauté, suggérant que des sentences plus clémentes pouvaient être accordées en cas d'irrégularités ou d'inconduites commises par la Cour.
C'est en raison de cet argument que le juge Galiatsatos, aussi malaisant que cela puisse être, s'est retrouvé forcé d'évaluer (ses) propres actions, concluant en fin de compte que sa gouverne dans cette affaire ne constituait pas une faute suffisamment grave pour justifier une réduction de peine.
« L'incertitude continue à régner »
Dans son jugement, le magistrat souligne par ailleurs que la question de la constitutionnalité de l'article 10 de la Charte de la langue française n'est pas réglée et que l'application de cette disposition demeure problématique. Plus d'un an après l'entrée en vigueur de cette mesure, les juges de première instance de la Cour du Québec et de la Cour supérieure ne savent toujours pas comment aborder la question, observe-t-il, écrivant plus loin que l'incertitude continue à régner.
Ce qui s'est développé dans le district (de Montréal) est un patchwork où divers juges adoptent diverses pratiques avec peu de cohérence, de débat, d'examen ou d'approbation par les cours d'appel ou les tribunaux réviseurs. Selon le juge, certains de ses collègues (déposent) immédiatement leurs jugements en anglais, puis demandent la traduction par la suite, dans le but d'éviter tout préjudice aux parties anglophones qui attendent leur décision, une pratique, dit-il, tolérée par le procureur général sans contestation, sans tambour ni trompette.
Le magistrat évoque même une audience tenue le 9 septembre dernier dans le cadre d'une autre procédure criminelle au cours de laquelle le bureau du Procureur général du Québec aurait formellement consenti à ce qu'une juge de la Cour du Québec rende son jugement immédiatement en anglais sans attendre la traduction.
Le Procureur général du Québec, de son côté, fait toutefois valoir que le jugement auquel réfère le juge Galiatsatos dans sa décision (n'était) pas visé par l’article 10 de la Charte de la langue française puisqu’il ne [mettait] pas fin à une instance et que c’est pour cette raison qu'il ne s'était pas opposé à ce qu’il soit rendu immédiatement en anglais, sans traduction. Notre position est claire : lorsqu’un jugement remplit les critères de l’article 10, la loi doit être appliquée, a-t-il aussi réitéré. Le constat du juge Galiatsatos concorde néanmoins avec les observations de Radio-Canada effectuées dans les premières semaines ayant suivi l'entrée en vigueur de l'article 10 de la Charte de la langue française, le 1er juin 2024, ainsi qu'au printemps dernier.
Le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, avait alors évoqué des irrégularités dans l'application de cette mesure, alors que le Parti québécois s'était permis une mise en garde, invitant la magistrature à ne pas tomber dans le « militantisme judiciaire ».
La balle revient dans le camp de la Cour d'appel
La décision rendue lundi par le juge Galiatsatos, qui mettait fin à l'instance devant la Chambre criminelle et pénale de la Cour du Québec, a été publiée simultanément en anglais et en français. La défense, pour sa part, a transmis à Radio-Canada une déclaration dans laquelle elle affirme que l'appel du verdict qu'elle a déposé dans ce dossier sera maintenu.
Devant la Cour d’appel, nous plaiderons que les erreurs du juge ne se limitent pas à la question de l’inconstitutionnalité, que le juge a commis de nombreuses autres erreurs, et que les faits du dossier ne justifiaient pas une déclaration de culpabilité, a fait savoir Me Jessy Héroux, du cabinet BTI.