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Contestation de l’impôt sur le revenu : retarder votre paiement vous expose à des risques

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Michael H. Lubetsky

2025-10-08 11:15:23

Focus sur deux affaires récentes en matière d’impôt sur le revenu…

Michael Lubetsky - source : McMillan


Commentaire de jurisprudence sur l’affaire Canada (Attorney General) v. Maloney, 2025 FCA 165, annulant les décisions Maloney v. Canada (Attorney General), 2024 FC 1474 et Rotfleisch v. Canada (Attorney General), 2025 FC 1529

Le 17 septembre 2025, la Cour d’appel fédérale (la « CAF ») et la Cour fédérale (la « CF ») ont rendu une décision dans deux affaires distinctes qui rappellent aux contribuables que même s’ils n’ont pas l’obligation de payer l’impôt sur le revenu contesté tant que le litige n’est pas réglé, ils s’exposent à un risque important s’ils choisissent de retarder le paiement jusqu’à la résolution du litige : des intérêts moratoires non déductibles qui continuent de s’accumuler à des taux punitifs.

Les deux affaires portent sur des « stratagèmes » fiscaux qui ont été mis en œuvre au début des années 2000 et qui ont chacun fait l’objet d’un long litige au cours duquel l’opposition ou l’appel d’un contribuable a été suspendu.

L’affaire Maloney

L’affaire Maloney concerne « un stratagème à l’étranger » (le « stratagème de Morrison ») pour lequel le promoteur, un certain Charles Morrison, « a finalement été reconnu coupable de fraude par la Commission des valeurs mobilières du Manitoba ». Le promoteur a apparemment produit des déclarations de revenus pour le compte du contribuable dans lesquelles il déclare indûment des pertes pour les années d’imposition 2000-2003.

Le promoteur a alors reçu un remboursement d’environ 213 000 $, un montant qu’il a prétendument investi dans une structure à l’étranger. On ne sait pas avec exactitude ce qui a été fait avec les fonds.

En 2007, l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »), à titre de mandataire du ministre du Revenu national, a apparemment établi de nouvelles cotisations à l’égard du contribuable afin de refuser les pertes réclamées pour les années d’imposition 2000-2003. Le contribuable s’y est opposé, et cette opposition a été mise en suspens dans l’attente de l’issue de litiges impliquant d’autres contribuables ayant participé au stratagème de Morrison.

En février 2015, soit plus de sept ans plus tard, l’ARC a rejeté l’opposition du contribuable et confirmé les nouvelles cotisations (la « période d’opposition »).

Le contribuable a déposé un avis d’appel devant la Cour canadienne de l’impôt (la « CCI ») et nommé comme mandataire le promoteur, qui n’a pris aucune mesure. L’appel a été rejeté sommairement en février 2016.

Pendant plus d’une décennie, période durant laquelle ont eu lieu l’audit, l’opposition et l’appel, des intérêts moratoires se sont accumulés sur les cotisations. Le contribuable a demandé à l’ARC un allégement discrétionnaire des intérêts le 7 septembre 2018. Il convient de noter que, en application du paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « LIR »), l’ARC ne peut annuler que les intérêts accumulés au cours des 10 années précédant la demande, donc à compter de l’année d’imposition 2008 dans ce cas-ci.

Il a fallu plus de cinq ans et deux examens pour régler la demande d’allégement des intérêts. En février 2024, l’ARC a décidé d’alléger les intérêts pour la période suivant la confirmation des nouvelles cotisations du 3 février 2015 (un total de neuf ans), apparemment en raison des difficultés financières du contribuable. Toutefois, l’ARC a refusé un allégement pour la période d’opposition au motif que le contribuable « avait la possibilité d’effectuer des paiements pour rembourser sa dette fiscale, mais a choisi de ne pas le faire ».

Le contribuable a déposé une demande de contrôle judiciaire devant la CF. Celle-ci a conclu que le refus de l’ARC était déraisonnable, en particulier parce qu’elle n’avait pas évalué correctement si la période d’opposition de sept ans était raisonnable ou non dans les circonstances.

La CF a également conclu que l’ARC n’a pas respecté les principes d’équité procédurale en refusant de divulguer au contribuable les renseignements le concernant liés à l’enquête sur le stratagème de Morrison et sa décision de le traiter d’une manière semblable à celle des autres victimes.

La CAF a annulé cette décision à l’unanimité dans un jugement sommaire pour les motifs suivants :

Le contribuable « a reçu des avis au sujet de sa dette pendant de nombreuses années, mais a choisi de ne pas la rembourser, laissant les intérêts s’accumuler ».

L’ARC dispose « d’un pouvoir discrétionnaire très large et illimité conféré en vertu du paragraphe 220(3.1) de la LIR qui l’autorise à déterminer ce qui est équitable (en soi, un concept impressionniste qui ne peut être défini concrètement) ».

« Les oppositions mettant en cause un abri fiscal sont plus complexes. Dans de telles situations, le ministre ne peut pas garantir le temps qu’il faudra pour régler une opposition ».

La CF a commis une erreur en « se forgeant sa propre opinion sur ce qui constituait un délai approprié et en l’imposant dans le cadre de l’affaire dont elle était saisie ». Les divers documents que l’ARC a refusé de divulguer ne présentaient aucun intérêt pour les « véritables questions en cause ».

La CAF a conclu sa décision en rappelant sévèrement que « les personnes qui omettent sciemment de payer une dette fiscale en attendant une décision n’ont aucune raison de déplorer le fait qu’elles doivent payer des intérêts ou des pénalités, ou de juger injuste l’imposition d’intérêts et de pénalités ».

L’affaire Rotfleisch

L’affaire Rotfleisch concerne un programme de dons en espèces empruntées offert par la IDEAS Canada Foundation (le « programme d’IDEAS »), qui fait l’objet d’un litige depuis plus de vingt ans. Le programme d’IDEAS permettait essentiellement aux donateurs d’un organisme de bienfaisance enregistré d’obtenir des prêts sans intérêt d’une durée de 25 ans pour compléter leurs dons. Ainsi, les donateurs pouvaient « réclamer des dons de bienfaisance d’un montant cinq fois supérieur à celui qu’ils avaient réellement versé à l’organisme de bienfaisance à partir de leurs propres fonds ».

Le contribuable dans l’affaire a participé au programme d’IDEAS en 2000 en faisant un don de 75 000 $ (15 000 $ en espèces et 60 000 $ en prêts) et a demandé un crédit d’impôt pour don de bienfaisance en conséquence. En 2004, l’ARC a établi une nouvelle cotisation à l’égard du contribuable afin de refuser le crédit d’impôt pour les 60 000 $ empruntés.

Le contribuable s’y est opposé, et son opposition a été mise en suspens dans l’attente du règlement d’un appel concernant un autre donateur du programme d’IDEAS (l’affaire Kossow, qui n’a pris fin qu’en 2014 avec le rejet d’une demande d’autorisation d’appel devant la Cour suprême du Canada). Peu après, l’ARC a rejeté l’opposition du contribuable et confirmé la nouvelle cotisation.

Bien que le contribuable dans l’affaire Rotfleisch ait payé la nouvelle cotisation établie, il a présenté, en décembre 2014, une demande d’allégement des intérêts au motif d’un retard indu dans le traitement de son opposition. Il a fallu neuf ans et deux examens pour régler cette demande.

L’ARC a finalement allégé les intérêts pour la période de onze mois entre le rejet de l’appel devant la CAF dans l’affaire Kossow et la confirmation de la nouvelle cotisation. L’ARC a refusé tout autre allégement, notant entre autres que le contribuable « a choisi sciemment d’attendre le règlement du dossier Kossow devant la CCI avant de payer le solde dû » et qu’« aucun retard indu n’est survenu dans ce dossier, le délai du processus de litige ayant été raisonnable et justifié, même s’il a pu paraître long ».

Après une demande par le contribuable d’un contrôle judiciaire de la décision, la CF a jugé raisonnables les conclusions de l’ARC. Dans sa décision, elle souligne qu’il existe une longue série de décisions antérieures selon lesquelles le fait de suspendre l’instruction d’un dossier d’un contribuable le temps que les tribunaux étudient une affaire type ne constitue pas un retard indu et que le contribuable « a sciemment laissé des intérêts moratoires s’accumuler en ne payant pas le solde dû ».

Les observations

Puisque les contribuables n’ont pas, en général, l’obligation de payer les montants dus en vertu de la LIR pendant une opposition ou un appel (à quelques exceptions près, notamment les cotisations des « grandes sociétés », dont la moitié des montants en litige sont recouvrables, et les cotisations des retenues d’impôt impayées), ils sont très souvent tentés de retarder le paiement jusqu’à ce que leur obligation devienne définitive.

Toutefois, comme le juge en chef Roberts de la Cour suprême des États-Unis l’a fait remarquer avec sagacité, « les choses peuvent mal tourner si on ne paie pas nos impôts fédéraux sur le revenu lorsqu’ils sont dus ». Dans le cas des impôts dus au titre de la LIR, des intérêts moratoires continuent de s’accumuler à des taux punitifs supérieurs aux taux pour les montants que l’ARC doit rembourser, et ces intérêts ne sont pas déductibles du revenu.

Étant donné que chaque étape d’un litige avec l’ARC peut prendre des années avant d’être résolue, les intérêts moratoires peuvent finir par dépasser le montant de l’impôt en question, ce qui nuit considérablement au bien-être financier (et souvent physique) du contribuable.

Pour cette raison, les contribuables ont avantage à payer toute cotisation établie par l’ARC, même si elle fait l’objet d’un litige, dans la mesure où leur situation financière le permet. Dans la plupart des cas (sous réserve de certaines exceptions, comme des cas où des non-résidents ou des contribuables n’ont pas produit de déclaration de revenus), tout montant payé en trop sera remboursé avec intérêts si le contribuable réussit à faire annuler ou réduire les cotisations. Les contribuables faisant l’objet d’un litige avec l’ARC devraient consulter leur conseiller financier le plus rapidement possible pour discuter en détail et en toute franchise du bien-fondé de payer les montants contestés.

À propos de l’auteur

Michael Lubetsky est à la tête de la pratique nationale de litige fiscal de McMillan.

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