LHJMQ : une entente indéfendable?

Didier Bert
2025-03-13 15:00:17
Un avocat déclaré inhabile, d’autres révoqués… Une action collective tourne à la saga judiciaire…
Une action collective lancée il y a plus de dix ans vient de connaître des rebondissements qui ont conduit à écarter plusieurs avocats..
Cette action collective, dont les membres sont d’anciens joueurs de hockey juniors, vise la Ligue de Hockey Junior Majeur du Québec (LHJMQ) et les équipes membres de la ligue.
Ces anciens hockeyeurs soutiennent que la LHJMQ et ses équipes refusent de reconnaître les joueurs comme des employés qui ont droit aux protections des lois régissant les conditions de travail.
Lukas Walter et Thomas Gobeil sont autorisés depuis 2014 à agir comme représentants des 1 702 membres de cette action collective au Québec.
Des actions collectives similaires ont été autorisées en Ontario contre la Ontario Hockey League, et en Alberta contre la Western Hockey League, pour un total de 4 286 joueurs de hockey, incluant la poursuite menée au Québec.
Une entente de règlement a été conclue le 31 mars 2020. Elle prévoit le versement d'une somme forfaitaire de 30 millions de dollars pour l'ensemble des trois actions collectives.
Une première entente rejetée
Le 22 octobre 2020, la juge Chantal Corriveau de la Cour supérieure rejette la demande d’approbation au motif que la portée de la quittance prévue à l’entente initiale de règlement était trop large: elle aurait mis les ligues à l’abri de toutes les poursuites imaginables. La Cour du banc de la Reine de l’Alberta et de la Cour supérieure de justice de l’Ontario rejettent également la demande d’approbation pour ce motif.
« L’une des raisons essentielles pour laquelle la loi requiert que les règlements de recours collectifs soient approuvés par les tribunaux réside dans le fait que les avocats représentant les plaignants ont habituellement beaucoup plus à gagner que chacun de leurs clients individuellement », explique le juge Paul Perrell de la Cour supérieure de l’Ontario, dans son jugement. « Et dans le cas qui nous occupe, les avocats avaient beaucoup plus à gagner (des honoraires de 9 millions) que les 8 318 $ que leurs clients doivent empocher individuellement. »
Une deuxième entente désavouée

Les parties reprennent les négociations pendant près de trois ans. Le 6 juin 2023, toutes les parties signent une modification à l’entente initiale de règlement pour remplacer les dispositions portant sur les quittances. Les demandeurs au Québec sont représentés par Me Michel Savonitto et Me Carl Consigny du cabinet Savonitto.
Quelques jours plus tard, le 14 juin 2023, Lukas Walter et Thomas Gobeil désavouent leurs signatures. Ils s’opposent à ce que l’entente modifiée soit soumise à l’approbation judiciaire. Ils expliquent que la LHJMQ n'aurait pas divulgué tous les fonds auxquels elle a accès, faussant les négociations.
Walter et Gobeil soutiennent également que l'entente initiale de règlement ne traite pas les changements structurels qui s'imposeraient au sein de la LHJMQ et de ses équipes « afin d’en modifier la culture institutionnelle qui, selon eux, nuit au bien-être des jeunes joueurs ». Enfin, certains anciens hockeyeurs seraient exclus de l’entente.
Un avocat s’accroche…
Malgré les instructions de ses clients, Me Michel Savonitto soumet l’entente modifiée de règlement à la Cour supérieure pour la faire approuver.
Walter et Gobeil réagissent en révoquant le mandat des avocats. Mais les avocats du cabinet Savonitto demandent à la Cour supérieure de rejeter les avis de révocation les visant et de fixer les modalités afin de procéder à l’approbation de l’entente modifiée.
Le 27 septembre 2023, la juge Corriveau de la Cour supérieure constate la révocation du mandat des avocats Michel Savonitto et Carl Consigny du cabinet Savonitto, ainsi que celui du cabinet torontois Charney. Mais elle précise que les avocats révoqués pourront continuer d’agir dans le dossier au nom des membres du groupe, même s’ils ne peuvent plus agir pour les deux représentants.
Quant aux nouveaux avocats des deux joueurs de hockey, la juge Corriveau leur permet de soumettre des arguments contre l’entente modifiée, mais seulement au nom de Lukas Walter et Thomas Gobeil.
De leur côté, la Cour supérieure de l’Ontario et la Cour du banc de la Reine de l’Alberta ont choisi d’approuver l’entente modifiée pour les actions collectives ontarienne et albertaine. Cependant, l’entrée en vigueur est conditionnelle à son approbation par les trois tribunaux.
… avant d’être écarté
Lukas Walter et Thomas Gobeil se tournent vers la Cour d’appel pour obtenir que leurs anciens avocats ne puissent plus agir au nom des membres du groupe.
Dans son jugement du 11 septembre 2024, la Cour d’appel considère qu’ « il relève de la seule prérogative du représentant de remplacer l’avocat s’il estime que ce dernier ne remplit pas son mandat selon les instructions reçues ». Et si un membre du groupe estime que le remplacement de l'avocat n'est pas dans l'intérêt de l'ensemble des membres, il peut demander au tribunal de remplacer le représentant du groupe par un autre membre. Or, aucune procédure n'a été entreprise pour remplacer les représentants des membres du groupe.
La juge ne pouvait donc pas permettre aux avocats de continuer d'agir pour le groupe après avoir été révoqués, conclut la Cour d’appel.
Des communications dans le dos des demandeurs
L’affaire ne s’arrête pas là. En juin 2025, une audience visant l'approbation de l'entente aura lieu. Les représentants Walter et Gobeil feront entendre leur demande d'annulation lors de cette audience.

En perspective de cette audience, Me Nasr a communiqué avec les anciens avocats de Walter et Gobeil pour s’installer dans le dossier. Quand les deux anciens hockeyeurs juniors l’apprennent, ils déposent une demande en déclaration d'inhabilité contre Me Maxime Nasr. À présent, Walter et Gobeil sont conseillés par Me Jeffrey Orenstein du cabinet Groupe de Droit des Consommateurs. Celui-ci n’a pas souhaité commenter l’affaire.

Le 27 février 2025, la juge Dominique Poulin de la Cour supérieure donne raison aux deux représentants du groupe. Son jugement éclaire sur les conditions dans lesquelles l’avocat des membres dissidents a communiqué avec les anciens avocats des représentants du groupe.
« Il est admis que l'avocat mandaté par les membres opposants collabore dans une certaine mesure avec les anciens avocats des représentants, dans le but d'obtenir l'approbation de l'entente par le Tribunal. L'existence de communications entre eux est aussi admise », indique le jugement.
« Il est utile de rappeler que le Code de déontologie des avocats interdit à un avocat d’agir contre un ancien client dans la même affaire », peut-on lire dans le jugement.
On apprend aussi que la LHJMQ et des équipes de hockey souhaitaient pouvoir prouver l’existence de membres qui sont favorables à l’entente. Leur avocate, Me Sylvie Rodrigue, avocate chez Torys, a ainsi communiqué avec les avocats du cabinet

Puis Me Rodrigue établit un contact entre les avocats des autres provinces et Me Nasr, afin de discuter de la représentation de ces clients.
Me Rodrigue et Me Nasr sont tous les deux membres du Comité d’experts sur l’action collective du Barreau du Québec.
Outre Me Rodrigue, le cabinet Torys agit dans le dossier avec Me Marie-Ève Gingras, Me Alexandra Hébert et Me Karl Boulanger. Me Rodrigue n'a pas souhaité émettre de commentaire sur cette affaire.

Elle a elle-même été représentée par Me Guy Pratte du cabinet Borden Ladner Gervais, dans le cadre
de la demande de communication de documents retirée provisoirement. Me Emmanuelle Rolland du cabinet Audren Rolland conseillait Me Maxime Nasr dans le cadre de la demande de communication de documents.Une approbation pour les honoraires

Devant la juge Poulin, Me Nasr explique que les membres qui appuient l'entente ont le droit de faire valoir leurs prétentions. De plus, le volte-face des représentants des membres du groupe « a perturbé les dynamiques habituelles de la phase d'approbation d'une entente dans un dossier d'action collective ou les parties collaborent normalement pour tenter de sécuriser l'approbation judiciaire de la transaction », explique-t-il à la cour.
Me Nasr assure que les intérêts de ses clients convergent donc avec ceux des défenderesses et des membres des groupes en Ontario en Alberta. En effet, l'approbation de l'entente au Québec est nécessaire à sa mise en œuvre dans l’ensemble des trois provinces.
Enfin, Me Nasr et son cabinet pointent que « le cabinet Savonitto partage ce même intérêt commun de faire approuver la transaction au Québec ».
La juge Dominique Poulin interprète cet objectif: « on comprend que cet intérêt découle de sa demande d'approbation de sa convention d’honoraires », écrit-elle dans son jugement.

Me Michel Savonitto a été representé par Me Dominique Ménard et Me Geneviève Gaudet de LCM Avocats, dans le cadre de la demande de communication des documents.
Un secret troublant
La juge Poulin précise que l’étendue de cette collaboration entre Me Savonitto et Me Nasr n'est pas précisée.
En effet, Me Nasr fait valoir que ces communications sont visées par le secret professionnel et le privilège relatif au litige.
Or, « que les représentants ne puissent recevoir communication des échanges avec leurs anciens avocats entraîne un résultat qui pose aussi d'importants questionnements. La communication de ces échanges aurait possiblement pu les rassurer relativement à l'étendue de la collaboration admise. Le secret qu'on leur oppose ne fait que voiler davantage la situation qu'ils dénoncent », pointe la juge Poulin.
Elle reconnaît le droit des représentants du groupe de s'interroger sur l'étendue de cette collaboration. « II est légitime qu'ils craignent que des informations confidentielles soient échangées et ils n'ont pas à vouer une confiance aveugle envers leurs anciens avocats et envers l'avocat des membres qui s'opposent à leur position. »
L’image ternie de la justice
La juge ajoute: « iI est légitime que les représentants perdent confiance en l'intégrité du système judiciaire en voyant leurs anciens avocats collaborer avec des membres qui s’opposent à eux afin de faire valoir une position contraire à la leur relativement à l’entente ».
La juge en conclut que « permettre à l'avocat des membres opposants de collaborer avec les anciens avocats des représentants afin de faire valoir une position contraire à celle de ces derniers, tout en refusant de dévoiler aux principaux intéressés l'étendue de cette collaboration, a pour effet de ternir l'image du système de justice. »
Elle déclare donc que « Me Maxime Nasr et le cabinet Belleau Lapointe ne peuvent continuer à agir au nom de membres du groupe dans le présent dossier ».
Quant à l’audience prévue en juin prochain, la juge Poulin souligne que la LHJMQ et les équipes de hockey pourront être représentées par un autre avocat… « mais ce dernier devra s'abstenir de collaborer avec les anciens avocats des représentants », tient-elle à préciser.
La décision de la juge Dominique Poulin est susceptible d’appel.
« L’arrêt de la Cour d’appel crée un choc. »
Contacté, Me Maxime Nasr souligne le « choc » provoqué par l’arrêt de la Cour d’appel dans cette affaire.
Comment interprétez-vous le jugement d’inhabileté rendu à votre encontre?
Maxime Nasr - Dans sa décision, la juge Poulin applique strictement les règles de représentation individuelle, à la suite de l’arrêt de la Cour d’appel de septembre 2024. Elle note qu’il manque une possibilité pour les membres du groupe favorables à la transaction - et représentés en Ontario et en Alberta - de se faire entendre de manière informée au Québec.
Elle dit qu’ils pourront venir expliquer leur position à la cour, mais sans pouvoir communiquer avec les avocats de l’Ontario et les anciens avocats de Walter et Gobeil. Mais comment peut-on défendre une transaction sans accès aux informations nécessaires, face à des adversaires qui ont toutes les cartes en main?
Que change l’arrêt de la Cour d’appel dans cette affaire?
Maxime Nasr - Il faut revenir au jugement initial de la juge Chantal Corriveau de la Cour supérieure. La décision de la juge Corriveau a simplement confirmé ce que faisaient les tribunaux avant l’arrêt de la Cour d’appel. Parfois, dans une action collective, il arrive que l’avocat et le représentant du groupe ne s’entendent plus. Si une transaction est signée, le rôle de l’avocat du groupe est de se présenter devant la cour et de dire : « Madame la juge, j’ai une transaction que je crois être dans l’intérêt des membres. Mon client l’a signée, mais il n’est plus d’accord. » Ensuite, le client vient expliquer pourquoi la transaction n’est plus bénéfique pour le groupe. On sait pourquoi cette transaction avait été conclue.
L’arrêt de la Cour d’appel change tout. C’est un choc, non seulement pour les avocats en demande et en défense, mais aussi pour les avocats du reste du Canada qui gèrent des dossiers nationaux impliquant une représentation au Québec.
En cassant la décision de la juge Corriveau, la Cour d’appel affirme pour la première fois qu’elle n’adapte pas les règles de représentation individuelle à l’existence d’une action collective. Ce faisant, la Cour d’appel rompt avec la jurisprudence antérieure de la Cour supérieure, et elle fait bande à part avec les pratiques nord-américaines. En Amérique du nord, l’avocat représente aussi le groupe, donc il a des obligations envers lui.
Quel est l’impact de cet arrêt dans l’action collective visant la LHJMQ?
Maxime Nasr - J’ai été contacté pour représenter des membres du groupe qui ont joué en ligues juniors majeures en Ontario et au Québec. Ils ont été conseillés par des avocats en Ontario, qui ont également représenté le groupe ontarien dans l’action collective. Ces membres m’ont demandé de parler à leurs avocats pour organiser leur représentation au Québec, car ils souhaitent que la transaction soit approuvée.
Me Rodrigue, qui représente les défendeurs, a suggéré à leurs avocats ontariens de m’appeler, en disant que c’est un travail que je pourrais accomplir. J’ai alors travaillé avec leurs clients, qui sont devenus aussi mes clients, et j’ai parlé avec ces avocats. Le problème est qu’ils ont aussi été les avocats de Walter et Gobeil, les deux représentants du groupe. Mais je leur ai parlé en tant qu’avocats du groupe ontarien, qui ont obtenu l’approbation de la transaction en Ontario. Pour un débat équilibré au Québec, il faut que la cour comprenne pourquoi cette transaction a été jugée satisfaisante par les juges ontariens et albertains.
Je ne peux pas représenter ces membres si je ne suis pas en mesure de comprendre tous les éléments de cette transaction et de l’expliquer au tribunal.
Nous avons proposé un processus permettant à la fois une représentation adéquate de Walter et Gobeil, et une représentation équitable des membres favorables à la transaction. Mais au Québec, on considère désormais que ce processus n’est pas acceptable, car la juge Poulin affirme que la représentation individuelle pose un problème d’apparence de conflit pour Walter et Gobeil, en tant qu’anciens clients de Me Savonitto et Me Charney.
La juge Poulin affirme qu’elle nous entend, mais les règles de représentation sont inadéquates. Elle dit qu’elle doit considérer que seuls Gobeil et Walter sont les clients, pas le groupe.
Comment pourront désormais être représentés des membres de l’action collective en désaccord avec les représentants du groupe après la signature de l’entente?
Maxime Nasr - Le problème est que personne n’a de solution. Ce genre de situation crée une insécurité juridique qu’il faudra analyser. Si rien ne change, en juin, lorsque la demande d’approbation de la transaction sera présentée, les membres favorables à son approbation n’auront pas les outils nécessaires pour la défendre devant la Cour supérieure. Le tribunal se demandera pourquoi l’Ontario et l’Alberta l’ont approuvée, alors que les preuves seront uniquement présentées d’un côté au Québec. Si la Cour supérieure juge que la transaction n’est pas acceptable, c’est une chose. Mais il faut que toutes les parties aient les mêmes outils pour défendre leur position.
Dans les cas exceptionnels où le représentant du groupe, après avoir signé une transaction, change d’avis, l’avocat doit pouvoir s’opposer à lui et dire : « Non, ce n’est pas pour ça qu’on travaille depuis dix ans. »
Avant, lorsque les défendeurs signaient une transaction, il suffisait de convaincre le tribunal qu’elle était juste. Maintenant, il y a un risque que le représentant qui a signé, avec un pouvoir confirmé par la Cour d’appel, utilise ce pouvoir différemment, ce qui change complètement la donne. Les membres du groupe opposés à la transaction ne peuvent plus accéder aux informations nécessaires pour s’y opposer. La Cour d’appel confirme que les représentants des membres du groupe détiennent un pouvoir unique, contrairement aux pratiques en Amérique du Nord.