Procès des hockeyeurs : la théorie de la défense « n’a pas de sens », selon la Couronne

Radio Canada
2025-06-12 12:00:06

Au procès des cinq anciens membres d’Équipe Canada junior 2018 accusés d’agression sexuelle, la Couronne tente de convaincre la juge de « rejeter la théorie de la défense » selon laquelle la plaignante aurait demandé à Michael McLeod d’inviter ses coéquipiers dans sa chambre d’hôtel pour des activités sexuelles de groupe.
Il s’agissait plutôt du plan et de l’idée de l’accusé, affirme la procureure Meaghan Cunningham. Cette dernière a tenté d’en faire la démonstration dans sa plaidoirie, mercredi après-midi, en fournissant cinq arguments spécifiques à la juge Maria Carroccia qui préside le procès.
La procureure rappelle qu’après sa relation sexuelle consensuelle avec M. McLeod, la nuit du 18 au 19 juin 2018, l’accusé a envoyé un message texte à ses coéquipiers : « Qui veut un plan à trois rapidement? 209-mikey ».
M. McLeod partageait la chambre d’hôtel 209 avec son coéquipier Alex Formenton, également accusé dans ce dossier, pendant le séjour de l’équipe à London. Les joueurs y étaient pour prendre part à des célébrations de leur victoire au Championnat du monde de hockey junior de cette année-là. Me Cunningham rappelle que ce message a été envoyé simultanément à 19 coéquipiers, dont certains n'étaient même pas présents à London.
De plus, comme l’ont révélé des témoignages, rappelle Me Cunningham, après avoir envoyé ce message, M. McLeod a appelé son coéquipier Carter Hart — également accusé — au téléphone et est allé cogner à la porte de la chambre de son coéquipier Taylor Raddysh.
« Il était en train de stimuler une activité. Il ne dit pas (dans son message) si vous êtes intéressé par un plan à trois, vous pouvez passer quand vous le voudrez. Il communique une certaine urgence. C’est une offre d’une durée limitée », indique Me Cunningham à la juge.
La procureure laisse entendre que M. McLeod a agi ainsi parce qu’il soupçonnait que la plaignante E. M., dont l'identité est protégée par une ordonnance de non-publication, pourrait décider de rentrer chez elle à tout moment, étant donné que leur relation sexuelle consensuelle avait pris fin, et parce que E. M. ne lui avait pas demandé d’appeler qui que ce soit d’autre.
La plaignante soutient avoir été violée par des hockeyeurs dans cette chambre d’hôtel.
Cal Foote, Michael McLeod, Carter Hart, Dillon Dubé et Alex Formenton font face chacun à un chef d’accusation d’agression sexuelle en lien avec les événements de cette nuit-là. Michael McLeod fait face à une accusation supplémentaire de participation à l’infraction d’agression sexuelle.
Une théorie « qui n’a absolument pas de sens »
Au cours du procès, la défense a suggéré que, voulant une nuit folle, E. M. avait demandé à M. McLeod d’inviter ses coéquipiers. Certains d’entre eux, appelés à témoigner, ont même affirmé qu’E. M. faisait des avances sexuelles à tout le groupe de jeunes hommes présents dans la chambre. Toutefois, Taylor Raddysh et Boris Katchouk, qui ont été les premiers à se présenter dans la chambre cette nuit-là, qu’ils ont quittée peu après, ont indiqué avoir vu une femme sous les draps et qui ne faisait pas grand-chose. Ces choses ne concordent pas. Il y a quelqu’un qui ment, appuie Me Cunnigham.
Par ailleurs, ajoute la procureure, E. M. a affirmé, à la fois dans son témoignage par la Couronne et dans son contre-interrogatoire par la défense, avoir été surprise de voir arriver les hockeyeurs. Elle n’a jamais hésité à dire qu’elle se souvenait très bien de la surprise qu’elle a éprouvée, affirme Me Cunningham.
M. McLeod « a menti à plusieurs reprises à la police »
Dans sa plaidoirie, la procureure joue des extraits de l’interrogatoire de Michael McLeod avec le Service de police de London, le 17 novembre 2018, qui a été présenté dans son intégralité au procès. Dans cet interrogatoire, M. McLeod n’a jamais indiqué au détective Steve Newton qu’après sa relation sexuelle consensuelle avec E. M., il avait envoyé un message texte à ses coéquipiers, leur disant : Qui veut un plan à trois, rapidement? 209-mikey Il a indiqué au policier qu’il ne savait pas ce qui avait attiré autant de hockeyeurs dans sa chambre. Euh, je ne sais pourquoi ils étaient là, peut-être pour de la pizza?, a dit M. McLeod au détective.
Selon Me Cunningham, cet interrogatoire était une occasion pour M. McLeod de donner, pour la première fois, sa version des faits à la police, mais il a carrément menti au détective, lui soulignant simplement qu’il avait dit aux hockeyeurs qu’il attendait la livraison d’une commande de nourriture qu’il venait de placer.
Il s'agit là, poursuit la procureure, d'une preuve du manque de crédibilité et de fiabilité de M. McLeod, mais aussi d'une preuve indirecte de culpabilité.
« Aucune preuve » de consentement
Selon la procureure Meaghan Cunningham, la plaignante n’a pas fait un choix affirmatif et délibéré de s'engager dans des activités sexuelles avec les hockeyeurs la nuit du 18 au 19 juin 2018. Me Cunningham ajoute qu’il n’y a aucune preuve qu'E. M. a communiqué son consentement spécifique et simultané aux actes auxquels elle a pris part. Qui plus est, selon la procureure, aucun des hockeyeurs n’a pris de mesures raisonnables, au moment (des actes) pour obtenir une confirmation de son consentement.
Un grand écart « faussement sexualisé », selon la défense
La plaidoirie de Me Cunningham se poursuit jeudi matin. Avant la procureure, Me Julianna Greenspan, qui représente Cal Foote, a été la cinquième et dernière avocate de la défense à livrer sa plaidoirie, mercredi avant la pause du dîner. Me Greenspan demande à la juge de reconnaître son client non coupable, affirmant que la plaignante a faussement sexualisé le grand écart dont il est accusé.
Comme ses quatre coaccusés, M. Foote fait face à un chef d’accusation d’agression sexuelle. Selon la Couronne, il aurait fait un grand écart, nu, au-dessus du visage de la plaignante E. M. la nuit de son viol collectif présumé. Dans son témoignage, la plaignante a raconté qu’un hockeyeur lui avait mis son pénis sur le visage, alors qu’elle était allongée par terre. Le geste l’a choquée, a indiqué E. M., qui ne croit pas qu’elle aurait eu la même réaction si l’homme en question portait des shorts ou des pantalons. Or, souligne Me Greenspan, aucun des témoins appelés au procès n’a confirmé cette version. Dans son témoignage, Carter Hart, l’un des coaccusés, a indiqué que M. Foote était habillé lorsqu’il a fait son grand écart et qu’il n’a d’ailleurs pas touché la plaignante avant de se relever. Plusieurs témoins ont souligné que Cal Foote a généralement recours à ce geste comme tour de force pour divertir les gens en sa compagnie.
Il s’agissait donc d’une interaction non menaçante et momentanée, selon Me Greenspan. Votre Honneur ne peut accepter la version des faits (d'E.M.) hors de tout doute raisonnable, dit l’avocate à la juge Maria Carroccia, qui préside le procès.
Me Greenspan souligne d’ailleurs que la plaignante n’avait pas indiqué à la police en 2018 que l’homme qui avait fait un grand écart était nu. E. M. a donc changé sa version pour faussement sexualiser l’interaction, selon Me Greenspan.
Les sept dernières années ont été longues et je vous demande de déclarer M. Foote non coupable, indique-t-elle à la juge.
La « vision en tunnel » de la police
Me Greenspan reproche également au Service de police de London d’avoir eu une vision en tunnel, c'est-à-dire de l'étroitesse ou de la fermeture d'esprit, en rouvrant son enquête sur les allégations de la plaignante en2022, qui a mené aux accusations actuelles. L’enquête avait d’abord été fermée en 2019. La police estimait ne pas avoir de preuves suffisantes pour déposer des accusations. Au procès, la détective Lindsey Ryan, qui a dirigé la deuxième enquête, a indiqué qu’elle n’avait pas interrogé la plaignante à nouveau, pour éviter de la traumatiser encore une fois. L’enquête était basée sur sa vérité (de la plaignante, NDLR) et non sur la vérité, note Me Greenspan.
Elle affirme aussi que l’enquête menée par Hockey Canada en 2022, après le règlement à l’amiable de l’organisme avec la plaignante, était biaisée et visait l’autoprotection. Avant Me Greenspan, l’avocate de Dillon Dubé, Lisa Carnelos, a conclu sa plaidoirie, qu’elle avait amorcée mardi. Comme les trois autres avocats de la défense qui ont plaidé avant elle, elle a remis en question la crédibilité de la plaignante et soutenu que cette dernière était consentante aux actes de nature sexuelle qui ont eu lieu dans la chambre d’hôtel.
Respectueusement, je vous soumets que le dossier de la Couronne doit être rejeté parce qu'elle n'a pas prouvé hors de tout doute raisonnable que (la plaignante) n'était pas consentante, souligne Me Carnelos. Ce seul fait justifie l'acquittement de tous les accusés. La juge compte rendre son verdict le 24 juillet.