Rozon : La Couronne ira-t-elle en appel?

Camille Laurin-Desjardins
2020-12-16 14:15:00

L’ancien patron de Juste pour rire avait été dénoncé par plusieurs femmes dans la foulée du mouvement #moiaussi, en 2017. Dans ce qui était le seul dossier à s’être retrouvé devant les tribunaux, il était accusé de viol et d’attentat à la pudeur pour des événements survenus il y a 40 ans.
Beaucoup de voix s’élèvent pour dénoncer le fait que Gilbert Rozon ait été acquitté. Mais en vertu du bon vieux « doute raisonnable », la juge n’avait guère le choix, estime le criminaliste Richard Dubé, qui n’a pas été surpris par le verdict.
« Après avoir lu le compte-rendu du témoignage de Gilbert Rozon, j’avais déjà une très bonne idée que la juge aurait de la difficulté à écarter son témoignage, affirme Me Dubé. Il était cohérent et crédible, et il y avait quelque chose de vraisemblable dans ce qu'il a dit. »
Il aurait donc fallu que le contre-interrogatoire le fasse très mal paraître, pour que le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) réussisse à dissiper tout doute de l’esprit de la juge.
La plaignante affirmait que Gilbert Rozon lui avait « sauté dessus » dans une résidence, après une soirée dans une discothèque. Elle se serait débattue. Il lui aurait ensuite dit qu’il était trop fatigué pour aller la reconduire. Elle a donc dormi là-bas. Le lendemain matin, elle se serait réveillée alors que M. Rozon était déjà sur elle, et elle se serait laissée faire. M. Rozon affirmait quant à lui que c’est lui qui s’était réveillé alors que la dame était à califourchon sur lui, en train d’avoir une relation sexuelle avec lui.

« Ainsi, même si le Tribunal ne croit pas la version des faits donnée par monsieur Rozon, celle-ci soulève tout de même un doute raisonnable », écrit la magistrate.
Pour Me Julie Couture, la décision n’était pas nécessairement prévisible.
« Cela aurait pu pencher d’un bord comme de l’autre… mais dans le doute, il faut acquitter. L’analyse de la crédibilité se fait selon plusieurs critères : la manière dont il raconte les choses, qu’il explique ses souvenirs… Mais il a semé le doute… ça reste qu’il a eu le droit à sa version des faits. »
« La victime, malgré ça, a été entendue, crue, elle a eu du soutien… C’est important, ça aussi », ajoute la criminaliste.
D’ailleurs, la juge Hébert précise que l’acquittement qu’elle prononce ne veut pas dire qu’elle n’a pas cru la victime, Annick Charette, qui a demandé hier que l’ordonnance de non-publication à son endroit soit levée.
« Je suis convaincu que ça n’ira pas en appel »
Mais, maintenant, Gilbert Rozon en a-t-il fini avec la justice? Le DPCP a 30 jours pour faire savoir s’il veut aller en appel. Toutefois, ce serait très surprenant, conviennent les deux criminalistes.
« C’est plus difficile d’aller en appel dans un dossier comportant des questions de crédibilité et de fait », explique Me Couture.

« C’est un jugement sur la crédibilité, ajoute-t-il. Et ça, c’est le champ de pratique des juges de première instance. La Cour d'appel est très prudente avant de dire : le juge de première instance s’est trompé là-dessus. C’est possible, mais c’est très rare. »
D’autant plus que le jugement, qui s’étend sur près de 40 pages, est assez étoffé, souligne-t-il.
Un autre jugement très attendu en matière d’agression sexuelle sera connu ce vendredi : le verdict concernant Éric Salvail.