Travail du sexe : un jugement rare contre une loi qualifiée d’« hypocrite »
Radio -canada
2023-07-10 10:15:00
Un organisme qui défend les droits des travailleuses du sexe espère qu’un jugement rendu à la Cour des petites créances en Nouvelle-Écosse va permettre d'avancer vers la décriminalisation du travail du sexe au Canada.
Une travailleuse du sexe à Halifax a récemment gagné sa cause. La Cour des petites créances a jugé qu’un client devait lui verser les 1800 $ qu’il ne lui avait pas payés après une rencontre l’année dernière.
Sandra Wesley, la directrice générale de Stella, un organisme par et pour les travailleuses du sexe, estime que le juge dans cette cause a rendu une décision juste avec laquelle une majorité de Canadiens sont d’accord : qu’une personne qui travaille a le droit de se faire payer par ses clients.
« Ce que ça démontre, c’est que (...) des acteurs du système judiciaire ne sont pas à l’aise avec cette idée que les travailleuses du sexe n’ont aucun droit », a-t-elle déclaré dans une entrevue, jeudi.
Travail du sexe : une cause rare aux petites créances
Le 26 janvier 2022, Brogan Sheehan avait rendu visite à Bradley Samuelson à Halifax. Ils s’étaient entendus pour qu’elle lui tienne compagnie au tarif de 300 $ l’heure.
Sept heures après son arrivée, le client a remis à la travailleuse sa carte bancaire pour qu’elle prenne le paiement elle-même, mais la carte n’a pas marché. Mme Sheehan accusait M. Samuelson d’avoir payé seulement 300 des 2100 $ qu’il lui devait, et ce, après plusieurs échanges par message texte pour régler la question.
En cour, M. Samuelson arguait qu’il n’était pas obligé de payer puisqu’il avait conclu un contrat illégal avec Mme Sheehan.
L’arbitre Darrel Pink, de la Cour des petites créances, a au contraire déterminé que la plaignante faisait un travail légal et que l’accord conclu pour ses services était valide.
« Madame avait le droit de vendre des services sexuels, a déclaré Rémi Bourget, avocat en droit civil chez RB Avocats à Montréal », dans une entrevue jeudi.
Selon l’avocat, le juge était conscient du poids historique de la décision qu'il s'apprêtait à prendre.
« Le juge a fait preuve de beaucoup d'humanité, dit-il, et surtout en conclusion lorsqu'il mentionne qu'ultimement, ce qu'on veut, c'est éviter de mettre dans une position de vulnérabilité les personnes qui ont choisi de vivre avec le travail du sexe ».
De plus, la plaignante avait, dans ses messages textes, la preuve qu’elle avait conclu un contrat avec son client, et que ce dernier l’avait accepté en faisant un paiement partiel.
Néanmoins, Sandra Wesley précise que la plupart des travailleuses du sexe n’iront pas aux petites créances. C’est trop dangereux de dévoiler son identité, par peur de perdre la garde de ses enfants ou de perdre un autre emploi.
« La plupart des travailleuses du sexe n'ont pas le luxe de poursuivre un client aux petites créances, que ce soit parce qu'elles n’ont pas de coordonnées pour retracer ce client, ou parce qu'elles-mêmes n'ont pas la sécurité dans leur vie, la stabilité et la capacité de partir devant les tribunaux », résume Mme Wesley.
Prostitution : qu’est-ce qui est légal ou illégal ?
Au Canada, la Cour suprême a statué dans l’arrêt Bedford, en décembre 2013, que les dispositions du Code criminel qui encadraient la prostitution étaient inconstitutionnelles.
S’il désirait continuer la prohibition de certains aspects du travail du sexe, le gouvernement de l’époque avait un an pour changer la loi. En 2014, le gouvernement Harper a donc adopté la Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d’exploitation, basée sur le « modèle scandinave », qui permet la vente de services sexuels, mais criminalise l’achat.
Ce modèle est critiqué pour plusieurs raisons : mettre en danger les travailleuses et travailleurs du sexe en les incitant à se cacher davantage ; éviter que leurs clients ne soient arrêtés; confondre l’exploitation sexuelle avec le travail du sexe volontaire; ne pas accomplir son objectif de réduire la demande de sexe rémunéré.
Un message pour changer une loi hypocrite
Selon Sandra Wesley, de l’organisme Stella, la loi canadienne est inutilement complexe, composée d’exceptions aux exceptions, et fondamentalement hypocrite.
« Ça facilite et ça encourage la violence, et aussi des actions comme le fait de ne pas payer », ajoute-t-elle.
Le gouvernement du Canada, en ce moment, défend ses lois devant les tribunaux, dénonce-t-elle, sous la logique que, comme c’est criminalisé, on ne devrait pas avoir de droits en tant que travailleuses.
Justin Trudeau, en 2014, s'opposait à la loi adoptée par les conservateurs, mais elle n’a pas été changée depuis que les libéraux sont au pouvoir. Dans l’opposition actuelle, le NPD estime cette loi mauvaise et prône la décriminalisation complète du travail du sexe.
« Même si de temps à autre, une travailleuse comme Mme Sheehan parvient à naviguer (dans) le système et à se faire respecter en cour, c’est un règlement à la pièce », dit Mme Wesley.
L’avocat Rémi Bourget a aussi mentionné qu’il n’y a pas de règle du précédent, ou stare decisis, aux petites créances. Autrement dit, malgré cette décision à Halifax, un autre juge pourrait rendre un jugement totalement opposé dans une autre cause semblable.
L’organisme Stella souhaite une solution universelle : la décriminalisation de tous les aspects du travail du sexe au Canada.
Sandra Wesley espère que la décision rendue aux petites créances et la médiatisation de l’affaire vont envoyer un message fort aux politiciens qui ont le pouvoir de corriger les erreurs de la loi.
« Ce qu'on espère, c'est que si le public est d’accord avec cette décision-là, qui dit qu'une travailleuse du sexe, ultimement, a le droit de se faire payer, a le droit de travailler et de se faire respecter par ses clients, [c’est] de lancer ce message-là à nos élus pour faire changer la loi au niveau fédéral », dit Sandra Wesley.
''D’après le reportage d’Héloïse Rodriguez''
DSG
il y a un anThat's because usually when a sex worker doesn't get paid, her pimp will break the client's head. Trying to legitimize this awful industry through the courts is immoral and unconstitutional. Whether or not prostitution is legal is up to the people and as such, it is up to the legislators to decide and not the courts.
Anonyme
il y a un anyour logic is that pimps are more efficient than courts, and therefore sex workers don't deserve to get paid through the courts? You are bringing up an interesting fact however. It is indeed cheaper to hire someone who breaks legs than to bring a case to court. Duly noted.
Anonyme
il y a un anLa question soulevée par le commentaire de DSG n'appelle pas à se demander si les "travailleuses du sexe" méritent ou non de pouvoir recourir au tribunaux pour se faire payer, mais plutôt de savoir si les tribunaux devraient pouvoir prononcer ce genre de réparation.
Cette affaire révèle un cas où ça a fonctionné, mais ça n'empêche pas de ce questionner sur le bienfondé de cette décision.
Le commentaire ci-dessous, qui articule cette question autour de la notion de cause contractuelle (contraire ou non à l'ordre public), en lien avec l'immunité contre les poursuite (dont l'effet n'efface pas le caractère illégal de l'activité pour celui qui vend ses services), est ce à quoi un tribunal Québécois devrait répondre, pour décider d'une telle chose, et à priori la réponse à cette question n'est pas favorable aux demanderesses (puisqu'il s'agit surtout de femmes), même si la notion de "cause", en droit des contrats, est en pleine évolution.
Bref, le gouvernement Harper se trouvait brillant en implantant le modèle "scandinave", mais on a peut-être là une autre faiblesse qui alimentera l'imagination des juges "libéraux" de la Cour suprême du Canada.
Anonyme
il y a un anA-t-on un jugement écrit ?
Il me semblait que l'activité était également illégale pour la personne qui vend, mais qu'elle était protétée par une immunité contre les poursuites.
Si c'est le cas, comment le tribunal civil traite-t-il la question de l'ordre public ?
Anonyme
il y a un anVoici la référence du jugement: Shanahan v. Samuelson, 2023 NSSM 27 (CanLII). Il s'agit d'un jugement de la Cour des petites créances de la Nouvelle-Écosse.