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Un avocat radié doit dédommager un ancien client

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Élisabeth Fleury

Élisabeth Fleury

2025-11-27 15:00:09

Il a fait saisir les comptes de ses propres clients par négligence professionnelle. Maintenant il doit rembourser…


Mathieu Piché-Messier - source : archives


L’avocat de formation Constantin Kyritsis, sous le coup d'une radiation temporaire de six mois, doit dédommager en partie ses anciens clients, Les Services de béton universel Ltée et son dirigeant Gavin Chortyk, pour une série de fautes ayant mené à la saisie des comptes de l'entreprise.

Le jugement a été rendu le 21 novembre par le juge de la Cour supérieure Mathieu Piché-Messier.

Les Services de béton universel Ltée et Gavin Chortyk, les demandeurs, étaient représentés par Me Aleksander Paradissis et Me Yacine Agnaou de Dupuis Paquin, avocats et conseillers d’affaires inc.

Constantin Kyristis était défendu par un avocat du Fonds d’assurance responsabilité du Barreau, Me Luc Séguin (Timmons Séguin Tremblay).

Aleksander Paradissis et Yacine Agnaou - source : Dupuis Paquin, avocats et conseillers d’affaires inc.
Le contexte


En février 2019, Groupe Main d'œuvre inc. intente une poursuite de 30 256,97 $ contre Services de béton universel Ltée. Constantin Kyritsis est mandaté en novembre 2019 pour assurer la défense de l'entreprise.

Malgré le mandat clair et l'envoi de 500 $ en acompte, l'avocat multiplie les omissions : il ne dépose pas de réponse au recours, omet de se présenter à l'appel du rôle provisoire et laisse le dossier tomber par défaut. Un jugement est finalement rendu en l'absence de défense en mai 2020.

C'est en septembre 2020 que la situation atteint son paroxysme. Les comptes bancaires de Services de béton universel Ltée sont saisis par les procureurs de Groupe Main d'œuvre en vertu du jugement par défaut.

Le requérant, Gavin Chortyk, tente alors désespérément de joindre son avocat pour qu'une demande en rétractation de jugement soit déposée. Constantin Kyritsis promet d'agir, mentionnant même une « erreur administrative » pour rassurer son client, mais ne fait rien. Les demandeurs mettront fin à son mandat le 19 septembre 2020.

Les positions des parties

Les demandeurs réclamaient initialement une somme de 97 290,54$ en dommages-intérêts et 250 000$ en dommages punitifs.

Ils recherchaient aussi une déclaration d’abus à l’égard de la défense du défendeur et lui réclamaient 500 000$ en dommages punitifs, plus les honoraires d’avocats encourus à ce jour dans le présent dossier, d’un montant de 139 801,97$.

Le défendeur a admis avoir reçu le mandat et avoir commis certaines fautes professionnelles, mais il a plaidé l’absence de lien de causalité entre ces fautes et les dommages réclamés, lesquels seraient au surplus « grossièrement exagérés ».

Les fautes admises

Les deux erreurs professionnelles fondamentales admises par Constantin Kyritsis dans le traitement du dossier du Groupe Main d’oeuvre sont les suivantes :

  • Avoir omis de déposer une réponse officielle pour la partie demanderesse.
  • Avoir omis de demander le report de l'affaire à un prochain appel du rôle provisoire le 30 janvier 2020, contribuant au jugement par défaut subséquent.

Les reproches additionnels

En plus de ces admissions, les demandeurs ont allégué une série de manquements graves, témoignant, selon eux, d'une « insouciance déréglée et de témérité » :

  • Le défaut de communiquer avec l'avocate de la partie adverse, Me Caroline Gagnon.
  • Avoir faussement invoqué une « erreur administrative » pour expliquer son absence à l'audience.
  • Prétendre avoir travaillé sur des projets de procédures en rétractation de jugement alors qu'il n'aurait rien fait.
  • Avoir facturé la demanderesse pour un travail non effectué.
  • Une conduite qui s'inscrirait dans un modus operandi généralisé d'abus envers sa clientèle.

Constantin Kyritsis a nié l'ensemble de ces allégations supplémentaires. Il a soutenu que les projets de procédures en rétractation étaient presque terminés et qu'il attendait les commentaires et éléments essentiels de la part de son client.

Le nœud de sa défense reposait sur la prétention que c'est le demandeur Gavin Chortyk qui a omis d'agir, n'ayant pas répondu à ses courriels entre mai et septembre 2020. Il a également nié avoir reçu de l'argent spécifiquement pour ce dossier et a réfuté en bloc les accusations d'un modus operandi abusif.

La décision du tribunal : pas de dommages punitifs

Le tribunal n’a que très partiellement donné raison aux demandeurs. Le juge Piché-Messier a établi le lien de causalité entre la négligence de M. Kyritsis et le préjudice subi par l'entreprise :

  • Le tribunal a noté que l'avocat avait la responsabilité d'agir avec diligence et compétence, ce qu'il n'a pas fait.
  • Le défaut de déposer une réponse ou de demander un report a créé un dommage direct : le jugement par défaut et les saisies.
  • Concernant l'argument du client qui n'a pas signé l'affidavit, le juge a souligné que c'est l'absence totale d'action de l'avocat avant ce stade qui a envenimé la situation.

« Les fautes commises par le défendeur ont directement entraîné la nécessité, pour les avocats de la demanderesse, de préparer, déposer et plaider une demande en rétractation de jugement. Les frais relatifs à la saisie-exécution découlent également, mais seulement en partie, des manquements du défendeur. La demanderesse doit en assumer aussi une part de responsabilité en raison de son inaction, de son désintérêt et de sa négligence à agir avec la célérité requise », a conclu le juge.

Devant une preuve incomplète ne permettant pas de distinguer avec exactitude les honoraires relatifs à la rétractation de jugement de ceux afférents à la contestation de la saisie-exécution, le tribunal a exercé son pouvoir discrétionnaire afin d’arbitrer le montant des dommages. Il a ainsi limité la réclamation des demandeurs à 17 206,79$ (les deux tiers de la somme réclamée, incluant les taxes), avec les intérêts et l’indemnité additionnelle.

Le juge a refusé d’octroyer les dommages punitifs réclamés, estimant que, bien que fautive, la conduite du défendeur n'atteignait pas le seuil juridique requis pour une telle sanction.

Le tribunal a rappelé que les dommages punitifs sont l'exception et non la règle.

Selon le juge Piché-Messier, Constantin Kyritsis a témoigné avec « humilité » que ses erreurs étaient des « oublis malheureux attribuables à une confusion et à des problèmes de communication », et non à de la mauvaise foi. Le défendeur n'a pas agi « en pleine conscience des effets de ses gestes sur les demandeurs », a retenu le tribunal.

Quant à la réclamation pour abus de défense, la Cour a estimé que Constantin Kyritsis était justifié de présenter une défense, notamment pour contester le caractère déraisonnable des montants réclamés et l'absence de lien de causalité pour certains dommages.

La « barre demeure élevée et doit le rester, afin d’éviter de banaliser la notion de procédure abusive », a conclu le juge.

L’avocat représentant Constantin Kyritsis a préféré ne pas commenter la décision du tribunal.

Déception chez les demandeurs

Du côté des demandeurs, leur avocat Yacine Agnaou nous a transmis une déclaration écrite de la part du président des Services de Béton Universel Ltée.

« Les Services de Béton Universel Ltée tente depuis plus de quatre ans et demi de corriger ce qu’elle considère être une injustice évidente, et en tant que propriétaire, j’en ai ressenti les impacts personnellement. Cette expérience démontre à quel point il est difficile pour une entreprise — ou pour toute personne — d’obtenir une compensation équitable lorsque les frais juridiques nécessaires pour faire valoir ses droits dépassent ce que le système est prêt à rembourser. Un système de justice devrait réparer le tort, et non l’amplifier », dénonce Gavin Chortyk.

M. Chortyk estime aussi que le système de justice actuel « récompense, de façon involontaire, ceux qui ont présumément causé le préjudice ». « Lorsque les frais juridiques ne sont pas compensés, cela crée une situation où la partie présumément responsable du dommage assume moins de risques que celle qui cherche à faire corriger l’injustice qu’elle allègue », déplore-t-il.

« Ce constat est encore plus frappant quand il s’agit de réclamer justice aux avocats. Avec l’appui du Fonds d’assurance responsabilité professionnelle du Barreau, les avocats ne déboursent pas un sou pour se défendre de leurs fautes présumées, alors que leurs clients saignent, financièrement et émotionnellement, durant les procédures », s’indigne M. Chortyr.

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