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Une juge déboutée en appel

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Élisabeth Fleury

2025-07-10 10:15:13

Réprimandée par le Conseil de la magistrature, une juge municipale voit son pourvoi rejeté par la Cour d’appel.

Chantal Paré


La Cour d’appel du Québec rejette le pourvoi d’une juge de la Cour municipale de Laval qui a fait l’objet d’une réprimande du Conseil de la magistrature.

La décision de réprimander la juge Chantal Paré en raison d'un manquement à son devoir de réserve, de courtoisie et de sérénité dans l'exercice de ses fonctions était raisonnable, ont tranché les juges Suzanne Gagné, Stephen W. Hamilton et Peter Kalichman de la Cour d’appel du Québec dans un jugement rendu le 2 juillet.

Giuseppe Batttista (source : Battista Turcot Israel)

La juge Paré était représentée par Me Giuseppe Batttista, du cabinet Battista Turcot Israel.

Le Conseil de la magistrature du Québec était par ailleurs représentée par Me Olivier Desjardins, de Desjardins Riverin Avocats

La juge à la Cour municipale de la Ville de Laval en avait contre un jugement rectifié rendu le 11 janvier 2024 par le juge de la Cour supérieure Bernard Tremblay, qui a rejeté son pourvoi en contrôle judiciaire à l’encontre du rapport du Comité d’enquête institué par le Conseil de la magistrature du Québec.

Les faits

Olivier Desjardins (source : Desjardins Riverin Avocats)

Petit rappel des faits. La juge Chantal Paré, qui siège à la Cour municipale de Laval depuis 2015, rend, le 20 janvier 2022, un jugement séance tenante dans le dossier de Mathieu Guay-Tousignant, le mis en cause. Une ordonnance de ne pas troubler l’ordre public fondée sur l’article 810 du Code criminel avait été sollicitée contre ce dernier par une de ses locataires.

La juge Paré rejette la demande. Elle lit son jugement longuement motivé pendant 20 minutes, puis cet échange entre elle et M. Guay-Tousignant a lieu:

  • L’appelante: Pour ces motifs, le tribunal rejette la demande d’ordonnance. C’est complet Monsieur, vous pouvez quitter.
  • Le mis en cause: En avez-vous une copie pour moi ?
  • L’appelante: Non Monsieur, je n’ai pas l’obligation de rendre un jugement écrit. C’est terminé. Merci, bonne journée.
  • Le mis en cause: Comment est-ce que je me procure une copie ?
  • L’appelante: Faites votre demande Monsieur. Vous n’aurez pas une copie écrite mais faire une demande de CD data. Faites votre demande au greffe. Moi, la loi ne m’oblige pas à déposer un jugement écrit.
  • Le mis en cause: Correct, pas obligée de t’énerver.
  • L’appelante: Pardon?
  • Le mis en cause: J’ai juste demandé comment obtenir une copie.
  • L’appelante: Madame la greffière, madame Lecompte, appelez la sécurité, j’ordonne qu’on détienne Monsieur. Je vais décider si je vous cite pour outrage au tribunal. Vous demeurez dans la salle. On va vous détenir, on va rappeler votre dossier un petit peu plus tard et je vais décider si je vais vous citer pour outrage au tribunal. On va prendre charge de votre personne.
  • L’appelante: Alors vous allez détenir Monsieur. Je vais décider si je vais le citer ou non pour outrage au Tribunal. Je vais faire cela dans les prochaines minutes. On va détenir Monsieur en attendant. Voilà.

L’appelante suspend l’audience, quitte la salle et se rend à son bureau. Un des membres de la sécurité intervient pour conduire le mis en cause en dehors de la salle, dans le hall. Il le surveille, sans le menotter, rapporte la Cour d’appel dans sa décision.

Environ cinq minutes plus tard, après son délibéré, l’appelante regagne la salle d’audience et convoque le mis en cause. Elle l’admoneste pour son usage du tutoiement à son égard, puis l’informe qu’il ne sera pas cité pour outrage et qu’il peut partir, relate encore la Cour d’appel.

La plainte devant le Conseil de la magistrature

Le mis en cause porte plainte contre la juge Paré auprès du Conseil de la magistrature le 20 février 2022. Il estime que la juge a agi de façon disproportionnée avec lui.

Devant le Conseil, l’appelante explique avoir ordonné la détention pour s’assurer « d’avoir monsieur présent à mon retour » en salle d’audience afin de pouvoir l’informer de sa décision.

Elle affirme aussi avoir rapidement pris conscience de « l’erreur d’opportunité » que constituerait une citation pour outrage dans ce dossier, qui n’appelait pas une mesure exceptionnelle.

Elle se déclare en outre « mécontente » de ne pas s’être aperçue, sans suspendre l’audience, que la citation pour outrage « n’était pas opportune », rapporte la Cour d’appel.

Le rapport du Conseil

Dans son rapport unanime déposé le 28 mars 2023, le Comité d’enquête du Conseil de la magistrature conclut que l’appelante, en ordonnant l’arrestation et la détention du mis en cause en réaction à la demande banale de ce dernier d’obtenir une version écrite de ses motifs et au tutoiement, avait réagi disproportionnellement à la situation, au mépris de son devoir de « faire preuve de réserve, de courtoisie et de sérénité », prévu à l’article 8 du Code de déontologie de la magistrature, que le Comité juge plus pertinent que l’article 2 évoqué par l’avocate ayant assisté le Conseil.

Il conclut en revanche que l’appelante, en déterminant erronément que la détention du mis en cause était nécessaire « puisqu’elle croyait perdre juridiction » pendant qu’elle envisageait de le citer ou non à comparaître pour outrage au tribunal, n’avait pas manqué à son devoir « de rendre justice dans le cadre du droit » au sens de l’article 1 du Code.

Comme l’appelante semblait « consciente du caractère inapproprié de ses actes » et n’avait pas d’antécédents, le Comité recommande une simple réprimande.

Les motifs de l’appelante

Dans son pourvoi en contrôle judiciaire devant la Cour supérieure, l’appelante soutient que le Comité a porté atteinte à l’équité procédurale en fondant sa décision sur l’article 8 du Code alors que le débat et les observations lors de l’audition ont porté uniquement sur les articles 1 et 2 de ce code.

Elle plaide également que la décision du Comité est déraisonnable.

Le jugement de la Cour supérieure

Selon le juge de la Cour supérieure, le Comité n’avait pas l’obligation d’identifier dès le début de son enquête ni à un autre moment durant celle-ci les dispositions du Code retenant son attention aux fins d’évaluer la présence ou non d’un manquement de la part de l’appelante.

Tout en soulignant qu’il aurait rendu une décision différente de celle du Comité d’enquête, le juge Bernard Tremblay choisit de ne pas intervenir sur le second moyen parce que « le Comité pouvait rendre la décision qu’il a rendue puisqu’elle appartient aux issues possibles dans cette affaire au regard des faits et du droit ».

Les motifs de l’appelante devant la Cour d’appel

Devant la Cour d’appel, l’appelante soulève que le juge de première instance a erré en droit en concluant que le Comité n’a pas enfreint les règles d’équité procédurale lors de la tenue de l’enquête.

Elle plaide également qu’il a erré droit en concluant que la décision du Comité est fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent et qu’elle est justifiée à la lumière des contraintes juridiques et factuelles.

Le jugement de la Cour d’appel

Dans leur décision, les juges de la Cour d’appel rappellent que le rôle de la Cour, en appel d’un pourvoi en contrôle judiciaire de la décision d’un organisme administratif, consiste simplement à décider si le tribunal de première instance a employé la norme de contrôle appropriée et s’il l’a correctement appliquée.

Ce qui est le cas, selon la Cour d’appel.

Il était d'ailleurs superflu pour le juge de la Cour supérieure d'affirmer qu’il aurait rendu une décision différente de celle du Comité, son rôle se limitant à analyser la raisonnabilité de la décision attaquée, souligne la Cour d’appel.

« Il n’est ni pertinent ni utile pour lui de spéculer sur les conclusions qu’il aurait lui-même tirées. Une telle déclaration ne peut que miner la crédibilité de la décision contestée et de son jugement et semer la confusion », déplore-t-elle.

Selon les juges Gagné, Hamilton et Kalichman, la décision du Comité de recommander de réprimander l’appelante « était une conclusion raisonnable, ne souffrant d’aucune incohérence et s’appuyant sur des considérations de principe bien sensées ».

Ni la juge Chantal Paré ni le cabinet la représentant n’ont souhaité commenter le jugement de la Cour d’appel auprès de Droit-inc.

L’avocat du Conseil de la magistrature a lui aussi préféré s’abstenir de commenter l’arrêt.

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