Vers une dématérialisation des cabinets d’avocats ?
Céline Gobert
2015-06-18 15:00:00
Des cabinets virtuels pour demain ?
On pourrait constater une présence de plus en plus accrue de ce que Me Dominic Jaar, associé au sein de KPMG Canada où il est le leader national des services technojuridiques, appelle des cabinets « virtuels », des cabinets « sans adresse physique. »
Le cabinet serait « entièrement informatisé de l’arrière-guichet au guichet et les services juridiques seraient entièrement offerts par les systèmes sans intervention humaine autre que pour la programmation initiale, la maintenance et le support technique », explique-t-il dans « Pratiques virtuelles – déontologie réelle », article à paraître dans le cadre d’une conférence qu’il va donner sur les développements récents en déontologie du Barreau du Québec et qu’il a co-signé avec Me François Senécal, avocat chez KPMG au sein du groupe Gestion de l’information et administration de la preuve électronique, et membre du Comité sur la sécurité des technologies de l’information du Barreau du Québec.
La documentation serait numérique en tout temps, via une plate-forme sécurisée d’échange de documents et de logiciels hébergés. Tout se ferait en ligne, explique l’article de Me Jaar qui est aussi directeur du Comité sur la sécurité des technologies de l’information du Barreau du Québec : la facturation, le paiement, la diffusion de l’information se ferait sur intra/extranet hébergé. L’entrée de temps et la comptabilité, elles, seraient confiées à des prestataires de service.
De profondes transformations
Plusieurs experts croient que les bureaux d’avocats vont subir encore de profondes transformations avec le développement de l’intelligence artificielle et de la technologie de reconnaissance vocale, rapporte Bloomberg. Me André Vautour, président du conseil d’administration du cabinet Lavery, conseiller juridique auprès de nombreuses entreprises, et expert en droit de l'informatique, imagine quant à lui sans peine un futur où la machine remplace l’avocat.
Ce n’est d’ailleurs plus de la science-fiction lorsque l’on sait qu’une start-up de Toronto vient de lancer un moteur de recherche intelligent qui peut parcourir des milliers de documents lors de la phase de contrôle diligent lors de fusions-acquisitions. Un travail qui prend ainsi plus de six heures à deux avocats juniors ne prendrait que deux heures et demie à un seul avocat utilisant le moteur de recherche Kira, selon les dires d’un avocat de BayStreet qui a préféré garder l’anonymat.
Dans le cadre d’une déposition, en plus de la transcription du texte, Tim Tuttle, directeur général de la compagnie Al basée à San Francisco, dont les investisseurs incluent Google et Samsung, imagine un système qui irait rechercher des renseignements, données ou témoignages, pertinents au contexte dans une grande base de données. Pour vous donner une idée, ces systèmes connaissent aujourd’hui quelques millions de mots. « Même la personne la plus intelligente que vous connaissez possède un vocabulaire de seulement 50 000 mots ! »
D’après Tuttle, les salles de conférence des cabinets seront dotées de murs intelligents qui pourront répondre à vos questions. Imaginez : vous êtes en pleine réunion d’équipe lorsque soudain vous souhaitez vous rappeler de telle jurisprudence dans telle affaire de telle année. Vous n’aurez alors qu’à vous adresser au mur, tel Tony Spark dans Iron Man. L’ordinateur sera alors capable d’aller fouiller une base de données et de vous donner immédiatement la réponse.
Dans deux cabinets canadiens, Me Jaar a d’ailleurs déjà croisé des « white board intelligents », où le tableau sur lequel l’avocat inscrit au feutre des données est en fait un écran d’ordinateur qui enregistre les données.
Réorganisation de l’espace et ... économie de loyer ?
Ces changements vont nécessiter une réorganisation de l’espace des cabinets et des bureaux, comme nous l’explique Me Christian Jacques, associé en droit des affaires, spécialiste en financement, fusions, acquisitions et valeurs mobilières chez Fasken Martineau à Montréal.
Alors que le bail de son cabinet arrive bientôt à son terme : l’heure est venue de s’interroger sur l’intégration intelligente de ces derniers aux structures existantes, explique l’associé. « Déménage-t-on ? Rénove-t-on ? Pour répondre, et c’est l’un de mes mandats, nous devons anticiper les changements technologiques dans 10, 15, 25 ans », développe-t-il, précisant que des rencontres sont d’ores et déjà prévues avec Microsoft afin de discuter de ces questions.
Une chose est certaine : l’organisation typique des bureaux devra être entièrement « revue » et repensée.
« Un monde 100 % dématérialisé dans le domaine du droit n’est pas possible », tempère Me Jaar, ajoutant qu’il y a des domaines, tel en arbitrage ou en litige, où le rôle humain d’un conseiller et l’aspect psychologique sont plus qu’importants. Dans certains cas, les gens éprouvent le besoin d’aller s’exprimer en cour.
Dans d’autres domaines de droit, ce serait l’inverse. Me André Rivest de Gowlings explique qu’il a déjà observé des bureaux aux États-Unis sans place d’affaires et connu une avocate en exercice qui a pratiqué tout un hiver depuis une plage du Costa Rica ! « On pourrait observer cela en droit publicitaire. »
« À Montréal, la tendance du télétravail va se confirmer avec les futurs chantiers routiers que l’on va voir, comme celui du pont Champlain. » Les avocats vont vouloir des heures plus flexibles où ils pourront travailler « de chez eux, de leur chalet ou d’un café », ajoute Me Vautour.
On pourrait assister selon Me Jaar à la généralisation du concept « d’hotelling » que pratique déjà KPMG qui permet de rationaliser l’espace en n’offrant pas de bureau assigné. L’avocat doit réserver sa place, selon s’il travaille ou non au bureau, ce qui a pour but une utilisation « optimale » de l’espace, explique-t-il.
Une chose non négligeable : à l’heure où le prix du pied carré en centre-ville atteint parfois des sommes impensables, la dématérialisation des cabinets pourrait permettre aux cabinets montréalais de réaliser de grosses économies financières…