Décisions récentes sur les politiques de vaccination obligatoire
Andrea Talarico
2021-12-06 11:15:00
Récentes sentences arbitrales en Ontario
En l’espace d’une semaine, deux arbitres de griefs ont rendu des sentences en apparence contradictoires.
Dans une sentence rendue le 9 novembre 2021, l’arbitre Von Veh a rejeté le grief d’un syndicat contestant la politique de vaccination obligatoire de Paragon Protection Inc. Paragon est une entreprise offrant des services de protection à plus de quatre cents clients. En septembre, l’employeur avait avisé les salariés de sa politique de vaccination obligatoire, politique qui fut contestée par grief.
L’arbitre Von Veh est arrivé à la conclusion que la politique de l’employeur est conforme à la convention collective et au Code des droits de la personne de l’Ontario et que la politique respecte l’obligation de l’employeur de fournir un milieu de travail sécuritaire. Un fait déterminant, dans ce dossier, est une disposition de la convention collective à laquelle l’arbitre s’est référé pour dégager le consentement du syndicat. Cette disposition, adoptée plusieurs années avant la pandémie, précise que les agents de sécurité doivent respecter les politiques de vaccination des milieux de travail où ils sont assignés. Enfin, l’arbitre a distingué une sentence arbitrale de 2018 qui accueillait un grief contestant une politique de vaccination obligatoire contre l’influenza en invoquant le caractère plus dangereux de la COVID-19.
Deux jours plus tard, soit le 11 novembre 2021, l’arbitre Stout accueillait un grief contestant une politique de vaccination obligatoire chez la Electrical Safety Authority. Il est à noter que la Electrical Safety Authority n’avait jamais requis la vaccination auparavant et que rien dans la convention collective ne traitait de vaccination. En l’absence d’une telle disposition, l’arbitre a conclu qu’il existe des moyens moins intrusifs d’assurer la sécurité des salariés, tout en précisant qu’une politique de vaccination obligatoire peut être justifiée dans des milieux à haut degré de risque.
Au fédéral
Le gouvernement fédéral a adopté une politique de vaccination des tiers fournisseurs dispensant des services sur les lieux de travail du gouvernement fédéral. Cette politique est entrée en vigueur le 15 novembre 2021. Monsieur Lavergne-Poitras a contesté la constitutionalité de cette politique et demandé une injonction interlocutoire pour en suspendre l’application. Sans se prononcer sur la constitutionalité de la politique, la Cour fédérale a rejeté la demande d’injonction le 13 novembre 2021. Il est à noter que les arguments de monsieur Lavergne-Poitras ont été évalués par rapport à l’objectif légitime du gouvernement de fournir des milieux de travail sécuritaires.
Application au Québec
Le 1er septembre 2021, le gouvernement du Québec a adopté un décret énumérant une liste d’activités et de lieux pour lesquels la preuve de vaccination était requise. Ce décret a été contesté devant la Cour supérieure et, le 13 novembre 2021, la Cour supérieure s’est prononcée sur la demande de sursis présentée par les demandeurs.
En rejetant la demande de sursis, la Cour supérieure a insisté sur le fait que les lieux visés par le décret sont des lieux fréquentés pour pratiquer des activités sociales et non pour obtenir des services essentiels. Ainsi, les demandeurs éprouveraient tout au plus « une déception, un inconvénient ou un désagrément », et non un préjudice irréparable, soit le critère requis pour acquiescer à une demande de sursis. Enfin, la Cour supérieure s’est penchée sur le critère de la balance des inconvénients, critère qualifié de « déterminant dans le cadre d’une demande de sursis qui implique les droits et libertés garantis par les Chartes en raison de la nécessité de tenir compte de l’intérêt public ». Sur ce critère, la Cour supérieure a conclu que l’intérêt public en contexte de pandémie faisait pencher la balance des inconvénients en faveur du gouvernement québécois.
Plus récemment, l’arbitre Denis Nadeau a évalué le droit d’un employeur de s’informer du statut vaccinal des salariés1. Selon l’arbitre :
''Après analyse, je suis d’avis que l’exigence de fournir une attestation vaccinale porte atteinte au droit au respect de la vie privée prévu à l’article 5 de la Charte québécoise. Par ailleurs, à la lumière du premier alinéa de l’article 9.1 de la Charte, j’estime que cette condition est justifiée au regard de « l’ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec. » Les employeurs pourront donc recueillir, avec un cadre limité, les renseignements relatifs au statut vaccinal des personnes salariées qui sont affectées aux édifices des clients qui formulent cette exigence.''
Dans les circonstances, l’arbitre Nadeau a conclu que le transfert administratif des salariés non vaccinés (qui ne peuvent travailler chez certains clients) est une mesure justifiée en vertu de la convention collective en vigueur, et ce, puisque les salariés non vaccinés ne peuvent effectuer une partie de leur prestation de travail.
Quelles conclusions devons-nous en tirer?
Les sentences arbitrales n’ont pas force de précédent, c’est-à-dire qu’elles ne peuvent lier les décideurs. Ceci est d’autant plus vrai pour les sentences ontariennes. Il est toutefois possible de dégager certains principes qui seraient utiles aux employeurs québécois.
Les employeurs ont l’obligation d’assurer la santé et la sécurité de leurs travailleurs. Même si une politique de vaccination porte nécessairement atteinte à l’intégrité physique du salarié, cette politique pourrait vraisemblablement se justifier dans certaines circonstances. Une analyse exhaustive de la convention collective (en milieu syndiqué) et des risques propres au milieu de travail devrait précéder l’adoption de toute politique de vaccination.
Andrea Talarico est avocate en droit du travail et de l’emploi chez Langlois Avocats. Sa pratique se concentre sur les rapports collectifs du travail.
Référence :
#Union des employés et employées de service, section locale 800, et Services ménagers Roy ltée (grief syndical), 2021 QCTA 570 (CanLII)